Je me suis réveillée à l'hôpital, une douleur sourde dans le crâne. La dernière chose dont je me souviens, c'est l'odeur de métal et de vin renversé, puis le noir total.
Une infirmière est entrée, son visage plein de pitié.
« Mademoiselle de Vigny, vous avez eu de la chance. Une chute dans les escaliers... vous vous en sortez avec une commotion. »
De la chance. Le mot a résonné bizarrement.
Ma soi-disant sœur, Chloé, était assise près du lit. Elle tenait ma main, ses yeux brillants de larmes feintes.
« Amélie, tu m'as fait si peur. Quand je t'ai vue t'effondrer comme ça à la dégustation... »
La dégustation. Tout est revenu d'un coup.
Les regards méprisants des invités. Les murmures sur les bleus sur mes bras, le suçon à peine caché sur mon cou. La voix de mon fiancé, Louis, glaciale, demandant à mon père d'annuler nos fiançailles. Et mes parents, Jean-Pierre et Isabelle, leurs visages pétrifiés par la honte.
Ils ne m'ont jamais crue. Pour eux, j'étais la fille vulgaire de Marseille, une erreur dans leur monde parfait. Chloé, elle, était leur princesse, élevée dans le luxe de leur domaine viticole à Bordeaux.
Moi, j'étais la vraie fille. Eux, ils ne le savaient pas encore.
Mais cette fois, c'était différent. En me réveillant, j'ai tout compris. Ce n'était pas un simple malaise. C'était la fin de ma vie précédente, une vie où j'étais morte de chagrin et d'épuisement, accusée de tous les maux.
Et la cause de tout ça, c'était elle. Chloé.
Et sa broche. Une antiquité familiale, deux pièces identiques, censées "détourner le mauvais sort".
En réalité, elle détournait bien plus que ça. Elle me transférait toutes les traces de ses nuits de débauche à Paris. La fatigue, les ecchymoses, les marques d'amants inconnus. Tout.
Je l'ai regardée, son visage d'ange parfait.
« Ne t'inquiète pas, Chloé. Je vais mieux. »
Ma voix était calme. Trop calme.
Elle a semblé surprise. Elle s'attendait à des larmes, des cris, des dénégations hystériques. Pas à ce sang-froid.
Mes parents sont entrés, leur déception visible.
« Amélie, encore un scandale, » a commencé mon père, Jean-Pierre. « Louis veut rompre. Il dit que ta réputation est une honte pour sa famille. »
« Il a raison, » a ajouté ma mère, Isabelle, sans même me regarder. « Regarde-toi. On dirait que tu sors d'une taverne. »
Dans ma vie passée, j'aurais pleuré. J'aurais juré que je n'avais rien fait.
Cette fois, j'ai simplement hoché la tête.
« Je suis désolée de vous avoir inquiétés. Je demanderai au médecin de faire un bilan complet. Pour être sûre que tout va bien. »
Leur colère s'est heurtée à un mur de calme. Ils ne savaient plus quoi dire.
Chloé, elle, a senti le vent tourner. Elle s'est approchée, ajustant la broche sur mon chemisier d'hôpital.
« C'est ma faute. J'aurais dû mieux veiller sur toi. Tiens, garde ma broche porte-bonheur. Elle te protégera. »
J'ai baissé les yeux sur l'objet maudit. Le début de ma revanche.
J'ai souri. Un vrai sourire, pour la première fois depuis longtemps.
« Merci, Chloé. C'est très gentil à toi. »
La partie venait de commencer. Et cette fois, je connaissais les règles.