Dehors, l'air frais de la nuit me frappe le visage. Je marche, sans but, jusqu'à ma voiture. Je m'assois derrière le volant, les mains tremblantes. La trahison est une chose froide et nette. Elle ne laisse pas de place au doute.
Mon don, cette capacité à lire le mensonge dans les yeux des gens, a toujours été ma malédiction. Ce soir, il vient de signer la fin de mon mariage.
Je sors mon téléphone. Mon doigt ne tremble plus. Il est guidé par une nouvelle détermination, froide et tranchante. J'ouvre mon application bancaire. Le compte commun. Il y a une somme conséquente, les économies de plusieurs années de travail. Mon travail.
Je fais un virement. Une grosse partie de la somme. C'est pour l'acompte. L'acompte pour cette petite parcelle de vigne oubliée, à quelques kilomètres d'ici. Un terroir difficile, abandonné, mais avec un potentiel que seule moi avais décelé. C'était mon projet secret, mon rêve, celui que j'avais mis de côté pour me consacrer au domaine d'Antoine.
La transaction est validée. C'est fait.
Ensuite, je cherche un contact dans mon répertoire. Lucas. Un nom que je n'ai pas composé depuis des années. Il dirige son propre domaine en Bourgogne, un vigneron innovant, respecté. Nous étions à l'école d'œnologie ensemble. Il a toujours cru en mon talent, sans jamais me demander de rester dans l'ombre. Sa proposition de partenariat datait de nos diplômes. "Si un jour tu veux créer quelque chose qui te ressemble vraiment, appelle-moi."
Le téléphone sonne deux fois.
« Allô ? »
Sa voix est la même, chaude et directe.
« Lucas ? C'est Élise. »
Un silence. Puis :
« Élise. Je ne m'attendais pas à ton appel. Tout va bien ? »
« Ta proposition, » je dis, ma voix est ferme. « Elle tient toujours ? »
Un autre silence, plus court cette fois. Je l'entends sourire à travers le combiné.
« Elle tiendra toujours, Élise. Tu le sais. »
« Bien. Alors j'accepte. »
Je raccroche avant qu'il ne puisse poser d'autres questions.
Mon dernier appel est pour un numéro enregistré sous "Notaire". Je prends rendez-vous pour le lendemain matin. Le motif : procédure de divorce.
J'ai détruit ma vie en dix minutes. Ou peut-être que je viens juste de la sauver.