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Les applaudissements résonnaient comme un tonnerre lointain, un bruit sourd qui ne signifiait rien pour moi. Le défilé de la Maison Valois était un triomphe, mais dans les coulisses, l'air était glacial. Je rangeais les dernières robes sur leurs portants, mes doigts endoloris par des heures de couture ininterrompue.
Trois ans.
Trois ans que je travaillais comme petite main ici, trois ans que j'étais le fantôme de ma sœur, Chloé.
La porte de l'atelier s'ouvrit violemment. C'était lui. Maxence, le directeur créatif. Un génie, disaient-ils. Un tyran, je le savais.
Depuis que Chloé l'avait quitté pour un homme plus riche, il avait reporté toute sa haine sur moi. Je lui ressemblais, mais j'étais la version effacée, silencieuse. Le parfait défouloir.
« Amélie. »
Sa voix était tranchante. Je ne me suis pas retournée. Je savais ce qui allait arriver.
« Regarde-moi quand je te parle. »
J'ai obéi. Ses yeux sombres me fixaient, brûlants de colère. Il s'est approché, son ombre me recouvrant.
« Ce défilé était parfait. Mais toi, tu es une déception constante. »
Chaque mot était une humiliation calculée. Il aimait me briser devant les autres, mais ce soir, nous étions seuls. La pénombre de l'atelier rendait son visage encore plus dur.
Il s'est approché encore, si près que je pouvais sentir l'odeur de cigarette sur son costume cher. Sa main s'est levée et a touché ma joue. Le contact était froid, presque clinique.
« Chloé... » a-t-il murmuré.
Puis, il m'a embrassée. Ce n'était pas un baiser tendre. C'était un acte de possession, de confusion et de rage. Ça n'a duré qu'une seconde. Il s'est reculé brusquement, le dégoût se peignant sur ses traits.
« Sors. »
Je suis partie sans un mot, le goût amer de son regret sur mes lèvres. Cette nuit-là, j'ai pris ma décision. Je ne pouvais plus continuer.
Le lendemain, j'ai posé ma lettre de démission sur son bureau. Il l'a lue, un sourire cruel aux lèvres.
« Tu crois que tu peux partir comme ça ? »
« Je ne supporte plus... »
« Si tu quittes cette maison, je m'assurerai que tu ne trouves plus jamais de travail dans la mode. Pas même pour recoudre un bouton. Tu seras sur liste noire. Partout. »
Le désespoir m'a submergée. Il me tenait.
Ce soir-là, dans mon petit appartement, j'ai sorti une vieille carte de visite de mon portefeuille. Le papier était usé. Un seul nom y était inscrit : Julien.
Je l'avais sauvé il y a des années, une situation dangereuse dont je ne connaissais pas les détails. Il m'avait fait une promesse.
« Si un jour tu as besoin de disparaître, appelle-moi. »
Mes doigts tremblaient en composant le numéro.
« Allô ? » Sa voix était calme, profonde.
« Julien ? C'est Amélie. »
Un silence.
« J'ai besoin de toi. La promesse... est-ce qu'elle tient toujours ? »
« Toujours, » a-t-il répondu sans une once d'hésitation. « Dis-moi ce dont tu as besoin. »
« Je veux mourir, » ai-je dit, ma voix brisée. « Je veux qu'ils croient tous que je suis morte. »