Ce soir marquait notre cinquième anniversaire de mariage. J'avais préparé son plat préféré, du bœuf bourguignon qui mijotait doucement, mais Étienne n'était pas rentré.
Il n'avait pas non plus répondu à mes appels.
Une mauvaise prémonition m'a saisie, et j'ai décidé de le chercher dans son bar habituel à Saint-Germain-des-Prés.
Je l'ai trouvé, non pas seul au comptoir, mais au centre d'un groupe d'amis bruyants. Une femme était assise près de lui, sa main posée familièrement sur son bras. C'était Chloé, son ex-petite amie, une influenceuse mode que je n'avais jamais appréciée.
Je me suis cachée derrière un pilier, le cœur battant.
La voix d'Étienne, amplifiée par l'alcool, a traversé le brouhaha du bar.
« Amélie ? C'est une sainte-nitouche, elle m'aime à en mourir. Elle ne me quittera jamais, même si elle découvrait tout. Elle est trop ennuyeuse. »
Un de ses amis a ri. « Tu es sûr de ça, Étienne ? »
« Absolument. Elle passe ses journées à renifler de la térébenthine et du vernis. Regardez Chloé, elle sent le luxe, la vie. Amélie, elle, sent le passé, la poussière. »
Il a attiré Chloé plus près de lui, humant son cou de manière théâtrale. Le groupe a éclaté de rire.
Je suis restée figée, le souffle coupé. Chaque mot était une gifle.
La térébenthine. L'odeur de mon travail, ma passion. La restauration d'art. Le même métier que Léo.
Léo, mon premier amour, mon fiancé. Mort il y a cinq ans.
Son dernier acte sur cette terre a été de donner sa moelle osseuse.
Cette moelle osseuse qui coule maintenant dans les veines de l'homme qui se moquait de moi, mon mari, Étienne.
Mon mariage n'a jamais été une histoire d'amour. C'était une mission. Une surveillance silencieuse pour protéger le dernier cadeau de Léo.
Je me suis retournée et j'ai quitté le bar sans un bruit.
La nourriture que j'avais préparée avec tant de soin semblait soudainement n'être qu'une blague amère.
Mon mariage tout entier était une blague.
Et j'étais la seule à ne pas en rire.