Le lendemain matin, la gouvernante m'a trouvée, prostrée et tremblante, quand elle est venue chercher une bouteille pour le déjeuner. Elle n'a posé aucune question, son visage un masque de pitié et de désapprobation silencieuse envers son maître.
Quelques jours plus tard, la tension dans la maison était palpable. Vincent m'ignorait, et Camille se pavanait comme si elle était la nouvelle maîtresse des lieux.
Pour échapper à l'atmosphère suffocante, je suis allée me promener dans les vignobles. Le soleil d'automne était pâle, mais l'air frais me faisait du bien.
Vincent et Camille sont sortis me rejoindre. Une promenade forcée pour maintenir les apparences.
Soudain, un des chiens de chasse du domaine, un énorme dogue de Bordeaux que je n'avais jamais aimé, a déboulé d'entre les rangs de vigne, aboyant furieusement. Il avait les babines retroussées, les yeux injectés de sang.
Il a couru droit sur nous.
L'instant a semblé se figer.
J'ai vu le mouvement de Vincent. Un réflexe pur, instinctif.
Il a attrapé Camille et l'a tirée violemment derrière lui, la protégeant de son propre corps.
Et dans le même mouvement, son autre bras m'a poussée. Fort.
Je n'ai pas eu le temps de réagir. J'ai été projetée en avant, directement sur la trajectoire du chien enragé.
La douleur a été fulgurante. Les crocs de la bête se sont refermés sur mon mollet, le déchiquetant. J'ai crié, un son aigu de pure agonie, et je me suis effondrée au sol.
Le chien a relâché sa prise, secouant la tête, du sang giclant de sa gueule.
Vincent n'a même pas regardé dans ma direction.
« Camille, ça va ? Tu n'as rien ? » a-t-il demandé, sa voix pleine d'une panique que je ne lui avais jamais entendue. Il tenait son visage entre ses mains, inspectant chaque centimètre de sa peau comme si elle était en porcelaine.
« J'ai eu si peur, » a-t-elle pleuré contre sa poitrine.
Pendant ce temps, j'étais à terre, ma jambe en sang, le monde tournant autour de moi. Le sang s'écoulait de la blessure, tachant la terre sèche du vignoble.
Ce n'est que lorsque le jardinier, attiré par mes cris, est arrivé en courant et a juré en voyant l'état de ma jambe que Vincent a finalement tourné la tête vers moi.
Il y avait de l'agacement dans ses yeux. Comme si ma blessure était un inconvénient, une interruption de son moment héroïque avec Camille.
« Bon sang, Éléonore. Tu ne pouvais pas faire attention ? »
Il n'a pas bougé pour m'aider. Il est resté là, tenant Camille dans ses bras, pendant que le jardinier déchirait sa propre chemise pour faire un garrot sur ma jambe.