Chloé se recula imperceptiblement.
"Je suis un peu fatiguée, Antoine."
Son ton était neutre, presque froid. Il ne parut pas le remarquer, ou ne voulut pas le remarquer. Il était trop absorbé par lui-même, par ses projets.
Soudain, Sophie apparut à l'entrée du salon, une main sur son ventre, le visage défait.
"Antoine... je ne me sens pas très bien. Des crampes..."
Antoine se précipita vers elle, toute son attention focalisée sur la jeune femme.
"Qu'est-ce qui se passe ? Viens, assieds-toi. Chloé, appelle le médecin !"
Chloé le regarda, un dégoût profond montant en elle. Elle ne bougea pas.
"Tu as son numéro," dit-elle simplement.
Antoine la fusilla du regard, mais se tourna vivement vers Sophie, la guidant vers un fauteuil, lui parlant avec une douceur mielleuse. Il lui apporta un verre d'eau, ajusta un coussin dans son dos. Il vérifia sa température, s'inquiétant pour le bébé. Chloé observait la scène, une amertume familière lui tordant l'estomac. Elle était invisible, une simple spectatrice de cette comédie bien rodée. Lui, si attentif à Sophie, ne voyait même pas la pâleur de Chloé, les cernes sous ses yeux.
Chloé se leva lentement. Elle s'approcha d'Antoine, qui était toujours penché sur Sophie.
"Tu seras un excellent père, Antoine. Très dévoué."
Sa voix était dénuée d'émotion, mais chaque mot portait un sous-entendu cinglant. Antoine se redressa, surpris par son ton. Il vit enfin quelque chose dans ses yeux, une distance, une résolution qu'il ne lui connaissait pas.
"Chloé... qu'est-ce que tu veux dire ?"
Il tenta de prendre sa main, mais elle l'esquiva.
"Rien, Antoine. Absolument rien."
Elle se détourna, se dirigeant vers la porte. Il la suivit, l'air inquiet, perdu.
"Attends, où vas-tu ? On devait parler de notre voyage en Toscane, tu te souviens ? Pour se retrouver, juste nous deux."
Il s'accrochait au passé, à une image d'elle qui n'existait plus.
Le lendemain matin, Antoine insista pour que Chloé l'accompagne pour une course urgente en ville. Elle accepta, lasse de se battre. À peine étaient-ils partis que son téléphone sonna. Sophie. D'une voix faible, elle se plaignait d'un malaise subit. Antoine fit demi-tour immédiatement, laissant Chloé régler seule ce pour quoi ils étaient sortis.
"Je suis désolé, mon cœur, mais tu comprends... le bébé."
Chloé comprit. Elle comprit qu'elle ne comptait plus.
Chloé se retrouva donc seule, sous une pluie fine et persistante, à chercher une boutique d'herboriste spécifique. Elle avait besoin d'ingrédients rares pour une nouvelle formule sur laquelle elle travaillait, un parfum qui serait le symbole de sa renaissance. La pluie redoubla, le vent se leva, mais elle persista, arpentant les rues pavées, le col de son manteau relevé. C'était une quête solitaire, un avant-goût de la vie qui l'attendait. Elle trouva enfin la boutique, nichée dans une ruelle sombre.
Le surlendemain, Chloé se rendit au cabinet de son avocat pour déposer officiellement les documents du divorce. Elle espérait que tout serait réglé rapidement. Mais l'assistante juridique l'informa qu'il y aurait un délai administratif, quelques semaines, peut-être un mois. Une pointe de déception, mais aussi le sentiment que les choses avançaient, inexorablement. Elle sortit du cabinet, le cœur un peu plus léger.
En sortant du bâtiment, Chloé remarqua que le ciel s'était dégagé. Un rayon de soleil timide perçait les nuages. C'était comme un signe. Un sourire imperceptible étira ses lèvres. L'espoir, malgré tout, persistait. Elle avait ses carnets, son talent. Elle avait un avenir à construire, même s'il était encore incertain.
Quand elle rentra à l'appartement, elle trouva Antoine et Sophie dans la cuisine, en train de préparer le dîner ensemble. Ils riaient, complices, comme un vieux couple. Sophie portait un des tabliers de Chloé. La scène était intime, presque conjugale. Chloé se sentit comme une intruse dans sa propre maison. Elle passa sans un mot, se réfugiant dans sa chambre, qui lui semblait de plus en plus une cellule.
Quelques jours plus tard, Chloé tomba malade. Une forte fièvre, des frissons, une toux persistante. Elle resta alitée, faible et misérable. Antoine passa la voir brièvement, lui apporta un verre d'eau, puis repartit s'occuper de Sophie, qui avait prétendument besoin de repos et d'une surveillance constante. Il ne prit pas sa température, ne lui demanda pas si elle avait besoin de quelque chose. Il était distant, préoccupé par l'autre.
Chloé, grelottante sous ses couvertures, se souvint d'une époque où, pour un simple rhume, Antoine aurait remué ciel et terre. Il lui aurait préparé des bouillons chauds, veillé à son chevet, lu des histoires. Cette sollicitude passée rendait sa négligence actuelle encore plus cruelle. Les larmes lui montèrent aux yeux, des larmes de tristesse et de rage contenue. Elle était seule, terriblement seule, face à la maladie et à l'indifférence de celui qu'elle avait tant aimé.