Le Retour de la Pupille Oubliée
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Chapitre 1

L'air de Paris, quatre ans plus tard, avait un goût étranger. Ce n'était plus le parfum de mon enfance, mêlé à l'odeur des vignes de Bourgogne que mes parents chérissaient tant. C'était l'odeur de l'essence et d'une solitude froide qui s'infiltrait dans mes poumons. Je me tenais devant l'immense hôtel particulier des de Valois, une cage dorée que j'avais autrefois appelée ma maison. Chaque pierre sculptée, chaque fenêtre haute me renvoyait le reflet d'une étrangère. Éléonore Dubois, ou "Éléa", n'était plus la jeune fille qui avait fui cet endroit en larmes.

Un souvenir, vif et cruel, a surgi sans crier gare. La voix d'Adrien, glaciale, résonnant dans son bureau immense. Il tenait mon carnet intime d'une main, comme s'il s'agissait d'un objet répugnant. « Un amour interdit ? Pour moi ? Éléonore, tu me dégoûtes. » Ses mots étaient des lames. « Tu vas partir. En Nouvelle-Zélande. Tu y étudieras l'œnologie. Et tu ne reviendras pas à Paris sans ma permission. » Je me souvenais de mon incompréhension, de la douleur sourde qui m'avait envahie. J'avais dix-huit ans. Il en avait vingt-huit. Mon tuteur. L'homme que j'aimais depuis que j'étais une enfant orpheline.

J'ai secoué la tête, chassant le fantôme de cette nuit-là. Cet homme, Adrien de Valois, je l'avais laissé derrière moi. Le ressentiment, la douleur, tout cela appartenait au passé. Je m'en étais convaincue pendant quatre longues années, à l'autre bout du monde. Je n'étais plus sa pupille éperdue. J'étais une femme, une œnologue diplômée, et j'allais me marier.

Mon téléphone a vibré dans ma poche. Le nom affiché sur l'écran a fait naître un sourire sincère sur mes lèvres : « Mon Ancre ». J'ai décroché.

« Tu es bien arrivée, mon amour ? »

La voix de Liam, chaude et rassurante, a traversé l'océan pour me parvenir.

« Oui, je suis devant la maison. C'est... étrange. »

« N'y reste pas trop longtemps. Fais ce que tu as à faire, et reviens-moi vite. Je t'aime. »

« Je t'aime aussi, Liam. »

Liam. Mon fiancé. L'architecte franco-néo-zélandais que j'avais rencontré pendant ma première année d'exil. Il m'avait trouvée brisée, seule, après qu'Adrien m'ait coupé les vivres pour me punir davantage. Il m'avait soutenue, m'avait appris à me tenir debout à nouveau. Il m'avait offert un amour sain, un amour qui ne jugeait pas, qui ne punissait pas. Il était mon salut.

Mon retour à Paris avait un double objectif. D'abord, me recueillir sur la tombe de mes parents, un pèlerinage que je m'étais promis de faire. Ensuite, par pure formalité, annoncer mon mariage à Adrien. Il était toujours mon tuteur légal jusqu'à mes vingt-cinq ans, et le respect que mes parents lui portaient m'obligeait à cette dernière démarche. C'était une façon de clore définitivement ce chapitre.

J'ai pris une profonde inspiration et j'ai poussé la lourde porte. L'intérieur était le même, mais une présence étrangère flottait dans l'air. Des sacs de luxe de marques criardes étaient posés près de l'escalier. Puis, une voix que je n'avais que trop bien connue au lycée a retenti depuis le grand salon.

« Éléonore ? C'est bien toi ? »

Chloé Renaud se tenait dans l'encadrement de la porte, un sourire venimeux aux lèvres. Ma rivale de toujours, la fille qui avait fait de mes années de lycée un enfer. Que faisait-elle ici ? Mon estomac s'est noué.

Juste à ce moment, Adrien est apparu derrière elle, posant une main possessive sur sa taille. Son regard s'est posé sur moi, froid, calculateur. Il n'y avait aucune surprise, seulement une méfiance glaciale.

« Chloé vit ici maintenant, » a-t-il déclaré d'un ton qui n'admettait aucune discussion. « Elle est ma fiancée. »

Le choc m'a laissée sans voix. Chloé, sa fiancée. La pièce a semblé rétrécir. La colère, une vieille amie que je pensais avoir domptée, a commencé à gronder en moi.

J'ai ouvert la bouche pour parler du harcèlement de Chloé au lycée, pour lui dire la vérité sur cette femme.

« Adrien, tu ne peux pas... Chloé... »

« Assez, » m'a-t-il coupé, son regard s'assombrissant. Il a clairement choisi son camp, comme il l'avait toujours fait.

Un autre souvenir m'a frappée. Un appel de ses parents, il y a quelques mois. Ils m'avaient prévenue. « Éléa, ma chérie, Adrien s'est fiancé. Avec Chloé Renaud. Tu te souviens d'elle ? Cette fille qui te tourmentait... Il ne nous écoute pas. Fais attention à toi. » J'avais cru que la distance me protégerait. Quelle idiote.

Adrien a fait un pas vers moi, son visage une forteresse impénétrable.

« Tu vas te comporter correctement pendant ton séjour. Chloé est la future Madame de Valois. Tu lui dois le respect. »

Il a ensuite tourné les talons, entraînant Chloé avec lui, me laissant seule dans le hall immense, humiliée et furieuse.

Je suis restée figée, le cœur battant à tout rompre. L'amertume avait un goût de cendre dans ma bouche. Très bien. J'allais me recueillir sur la tombe de mes parents, je lui annoncerais mon mariage, et je disparaîtrais de sa vie pour toujours. Cette fois, ce serait ma décision.

Je me suis dirigée vers la salle à manger, un besoin impérieux de m'éloigner d'eux. Sur la table, une nappe en dentelle ancienne, un des rares souvenirs de ma mère, était dressée. J'ai caressé le tissu délicat, un pincement au cœur. C'était la seule chose que j'avais voulu récupérer.

« Adrien, mon amour, » a piaillé Chloé en entrant dans la pièce, un verre de vin rouge à la main. « Regarde ce que j'ai trouvé, un vieux millésime de tes caves ! »

Elle s'est approchée de la table, son regard croisant le mien avec une lueur mauvaise. Elle a trébuché, de manière très théâtrale. Le verre de vin s'est renversé, son contenu d'un rouge profond s'étalant comme une blessure sur la dentelle blanche immaculée.

« Oh, mon Dieu ! » a-t-elle crié, se tournant vers Adrien qui venait d'entrer. « C'est Éléonore ! Elle m'a bousculée ! Elle a ruiné cette nappe ! »

Adrien n'a même pas cherché à comprendre. Il s'est avancé vers moi, le visage déformé par la fureur.

« Excuse-toi. Immédiatement. »

J'ai regardé la tache, puis son visage. Une tristesse infinie m'a submergée, éteignant la colère.

« J'ai eu tort, » ai-je murmuré, les mots sortant d'eux-mêmes. « J'ai toujours eu tort de revenir ici. »

            
            

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