Chapitre 3

Je me souvenais d'une autre fois, des années auparavant. Mon père avait voulu tester la loyauté d'Élise. Il lui avait ordonné de nettoyer les écuries, une tâche bien en dessous de son statut. Ce n'était pas pour l'humilier, mais pour lui apprendre que faire partie de la famille de Valois signifiait parfois faire des sacrifices.

J'avais eu pitié d'elle. Je m'étais faufilé la nuit pour l'aider, nettoyant la moitié des box pendant qu'elle dormait. Elle ne l'a jamais su.

Aujourd'hui, en la regardant servir Léo avec une dévotion aveugle, je ressentais une douleur amère. Elle qui avait trouvé dégradant de servir la famille qui lui avait tout donné, servait maintenant volontairement l'homme qui complotait pour détruire cette même famille. L'hypocrisie était suffocante.

Pour échapper à cette vision, j'ai lancé mon cheval au galop, me dirigeant vers le parcours d'obstacles. Le vent fouettant mon visage était un soulagement.

J'ai poussé ma monture, la faisant accélérer, me concentrant sur le rythme des sabots martelant le sol.

J'approchais d'un obstacle assez haut, un oxer. C'était un saut que j'avais fait des centaines de fois.

Au moment où le cheval a pris son impulsion, j'ai senti quelque chose céder.

Un bruit sec.

La sangle de la selle venait de se rompre.

J'ai perdu l'équilibre, la selle glissant sur le côté. Le monde a tournoyé. J'ai été projeté en l'air avant de heurter le sol avec une violence inouïe.

Une douleur fulgurante a traversé mon épaule et ma jambe. J'ai essayé de me relever, mais ma vision s'est brouillée.

Au loin, j'entendais des cris. Élise était toujours près de Léo, figée un instant, l'horreur sur le visage.

« Adrien ! »

Sa voix semblait venir d'un autre monde.

Elle a finalement réagi, courant vers moi. Mais il était trop tard. La négligence était évidente. Si elle avait vérifié la sangle correctement, cela ne serait jamais arrivé.

La dernière chose que j'ai vue avant de perdre connaissance était son visage penché sur le mien, une panique étrange dans ses yeux.

Je me suis réveillé à l'hôpital. Mon bras était dans le plâtre, ma jambe bandée. Les côtes cassées, une épaule démise. J'avais eu de la chance, selon les médecins.

Pendant les jours qui ont suivi, Élise a été à mon chevet.

Elle me soignait avec une attention méticuleuse. Elle changeait mes bandages, m'aidait à manger, veillait à ce que je prenne mes médicaments. Elle était silencieuse, concentrée, presque tendre.

Une partie de moi, la partie stupide qui l'avait tant aimée, a commencé à douter. Et si c'était un véritable accident ? Et si ses soins étaient sincères ?

Puis, un soir, alors que je faisais semblant de dormir, Isabelle est entrée dans la chambre.

« Comment va-t-il ? » a-t-elle murmuré.

« Il s'en remettra, » a répondu Élise, sa voix basse et fatiguée.

« Tu as failli le tuer, Élise. C'était stupide. »

Mon cœur s'est arrêté.

Élise a soupiré. « Je sais. J'ai juste... légèrement saboté la sangle. Je voulais lui donner une petite leçon pour ce qu'il a fait à Léo dans les escaliers. Une petite chute, rien de plus. Je n'avais pas prévu qu'il sauterait cet oxer. C'était une erreur de calcul. »

Une erreur de calcul.

« Et tous ces soins ? » a demandé Isabelle.

« C'est une compensation, » a dit Élise d'une voix plate. « Pour ne pas éveiller les soupçons. Je répare juste mon erreur. »

Le monde s'est effondré autour de moi une seconde fois. Ce n'était pas de la négligence. C'était intentionnel. Elle avait essayé de me blesser. Ses soins n'étaient pas de l'amour ou du remords. C'était une façade pour couvrir son crime.

La dévastation était totale. Il n'y avait plus de doute, plus d'espoir. Seulement une certitude glaciale.

Elle était mon ennemie.