Je l'ai rencontrée pour la première fois il y a 6 mois . Ce jour-là, elle avait franchi la porte de mon cabinet avec une hésitation feutrée, mais son regard disait autre chose. C'était un mélange curieux de défi et de fragilité. J'ai appris, avec les années, à voir au-delà des mots de mes patients, à décrypter ce qu'ils ne disent pas. Et Camille... elle ne disait pas beaucoup. Mais elle transmettait tout.
Ce n'était pas seulement une patiente. Dès notre première interaction, quelque chose en elle semblait vouloir traverser la barrière professionnelle que je m'efforce de maintenir. Ce n'est pas qu'elle le faisait intentionnellement - non, ce serait injuste de penser cela. Mais il y avait une lumière en elle, une énergie qui rendait difficile de rester impassible.
Aujourd'hui, je repensais souvent à ces derniers instants de notre première consultation. Sa phrase m'avait frappé plus que je ne voulais l'admettre : _"Vous avez l'air de porter beaucoup sur vos épaules, docteur Morel."_
J'ai entendu des milliers de mots dans ce cabinet, mais peu avaient laissé une empreinte comme ceux-là. Ils étaient à la fois déroutants et révélateurs. Camille avait vu quelque chose que je m'efforçais de cacher, quelque chose que personne d'autre ne semblait remarquer.
À présent, alors que le silence de mon bureau était interrompu seulement par le tic-tac de l'horloge, je me retrouvais à attendre avec une impatience mal dissimulée son prochain rendez-vous. Une partie de moi savait que ce n'était pas juste. Elle était ma patiente. Je devais rester à ma place. Mais une autre partie, celle que je m'efforçais d'étouffer, brûlait de la revoir, de comprendre ce mystère qu'elle portait en elle.
Je me surprends parfois à examiner la manière dont je gère mes interactions avec les autres. Avec Camille, c'est différent. Je n'arrive pas à me détacher de cette étrange envie d'apprendre à la connaître, au-delà des murs de ce cabinet. Et pourtant, je me réprimande à chaque fois que cette pensée surgit.
Elle mérite un médecin attentif et professionnel, et non un homme qui remet en question ses propres limites. Mais cette contradiction me torture. Si j'ai hâte de ce prochain rendez-vous, ce n'est pas seulement pour son suivi médical. J'ai honte de l'admettre, mais c'est pour cette chance fugace de partager un moment avec elle, de lire entre les lignes de ses silences, de l'écouter parler d'elle-même.
Je suis conscient du danger de ce chemin. Et pourtant, me voilà, une fois encore, à tourner en rond dans mon esprit, à anticiper cet instant où elle franchira la porte de mon cabinet, m'offrant cette présence lumineuse qui, inexplicablement, a commencé à combler un vide que je n'avais jamais osé regarder en face.
LE POINT DE VUE DE CAMILLE
Je referme la porte derrière moi en soupirant. La fraîcheur de l'appartement me change de l'atmosphère glaciale du cabinet médical, mais mon corps est toujours en ébullition. Mon ventre est noué d'un mélange étrange d'excitation et de honte, et je déteste l'effet qu'il a sur moi.
J'enlève mes chaussures et me dirige vers le salon, espérant pouvoir me réfugier quelques instants dans le silence, mais c'était sans compter sur ma sœur, Lisa.
- Alors, t'as vu Docteur Charmant aujourd'hui ?
Je me fige une seconde avant de rouler des yeux en me servant un verre d'eau.
- Il s'appelle Dr Morel, Lisa.
- Je sais, je sais. Mais franchement, son nom importe peu, c'est son charme qui nous intéresse, non ?
Elle me lance un regard amusé en mordillant un biscuit, installée en tailleur sur le canapé.
- Comment tu sais que j'étais là-bas ?
- Oh, s'il te plaît, Camille. Tu n'as rien, t'es en parfaite santé. Mais t'as quand même pris rendez-vous chez le gynéco. Et ce n'est pas la première fois.
Je manque de m'étrangler avec mon eau et lui lance un regard noir.
- Tu dis n'importe quoi. J'ai des raisons médicales, je te signale.
Lisa éclate de rire.
- Vraiment ? Et c'est quoi, ces raisons médicales ?
Je garde le silence. Elle arque un sourcil.
- Voilà. T'as rien trouvé.
Je souffle d'agacement et me laisse tomber sur le canapé en évitant son regard.
- Arrête de dire des bêtises.
- Mais j'ai raison. Avoue, tu vas là-bas juste pour le voir.
Je ne réponds pas. Mon cœur bat un peu trop vite. Parce qu'elle n'a pas totalement tort, et ça me perturbe encore plus que son insistance. Lisa s'approche de moi et me fixe avec un sourire en coin.
- Il est sexy, hein ?
Je croise les bras, l'air faussement blasé.
- Je ne vais pas parler de ça avec toi.
- Oh, allez, Camille, arrête de faire ta coincée ! Je te connais. Si tu vas là-bas aussi souvent, c'est pas parce que tu t'inquiètes pour ta santé gynécologique.
Je lève les yeux au ciel, mais elle continue :
- Sérieusement, c'est quoi ton délire avec lui ? Tu fantasmes sur ton gynéco ?
Mon estomac se serre.
- N'importe quoi.
- Allez, avoue.
Je me mordille la lèvre. Lisa et moi avons toujours eu ce genre de discussions ouvertes, mais jamais sur un sujet aussi... sensible. Je devrais nier encore, mais à quoi bon ?
Je soupire et me frotte le visage.
- Je sais pas... Il a quelque chose, c'est vrai. Il est...
- Canon.
Je ris malgré moi.
- C'est pas juste ça. Il a une présence. Il est calme, sûr de lui. Trop sûr de lui, même. Et...
Je me tais brusquement, réalisant que j'en dis déjà trop. Mais Lisa a capté l'essentiel.
- Et quoi ?
Je secoue la tête.
- Rien.
- Oh non, non, non ! Dis-moi tout, là ! Il s'est passé un truc aujourd'hui ?
Je serre les lèvres. Une image fulgurante du spéculum s'imposant en moi, de ses doigts glissant sur ma peau, de mon propre corps réagissant de manière inappropriée, me traverse l'esprit. Je chasse rapidement cette pensée.
- Non, rien du tout. C'était une consultation normale.
Lisa plisse les yeux, sceptique.
- Mouais. Tu mens mal.
Je me lève brusquement, cherchant une échappatoire.
- Je vais prendre une douche.
- Une douche froide, tu veux dire ?
Je lui lance un coussin à la figure avant de filer dans ma chambre sous ses rires moqueurs. Lisa a peut-être raison.
Mais je ne suis pas encore prête à l'admettre.