Chapitre 2 02

Alia continua son chemin, ses pas laissant des empreintes éphémères dans le sable, rapidement effacées par le vent chaud. Le désert semblait sans fin, chaque dune se fondant dans l'horizon. L'isolement la gagnait peu à peu, mais ce n'était pas de la solitude qu'elle avait peur. Non, ce qui la perturbait, c'était la sensation d'être observée, comme si quelque chose, ou quelqu'un, la suivait sans qu'elle n'en sache la raison.

Elle avait l'impression que ses pensées se perdaient dans l'immensité du désert. Les vagues de chaleur, le sable qui s'infiltrait dans ses bottes, les bruits lointains du vent devenaient des murmures qui se confondaient. Elle se força à se concentrer, à avancer. Il n'y avait pas de place pour les hésitations ici. C'était tout ou rien. Elle avait fait ce voyage pour fuir sa vie d'avant, pour échapper à la cage dorée dans laquelle elle avait été enfermée, à cette famille qui la gouvernait par ses attentes et ses règles. Elle n'avait plus le choix, il fallait qu'elle continue.

Mais alors qu'elle s'enfonçait plus profondément dans le désert, une pensée la frappa. Et si ce n'était pas seulement sa famille qu'elle fuyait, mais aussi elle-même ? Ses propres peurs, ses incertitudes ? Elle n'avait pas de réponses à ses questions. Elle n'avait que des certitudes floues, des désirs non formulés. Ce qu'elle fuyait, ce qu'elle recherchait, tout cela se mêlait dans un tourbillon difficile à appréhender.

Au bout de quelques heures, épuisée, Alia s'arrêta sous l'ombre d'un petit abri de fortune, une sorte de hutte en palmes qui semblait abandonnée depuis longtemps. Elle s'assit sur le sable, puis sortit une gourde d'eau de son sac, l'ouvrit et but par petites gorgées. Les quelques minutes de pause lui permirent de retrouver un peu de calme, mais son esprit restait agité, comme un navire pris dans une mer calme mais sans direction.

Ce fut alors qu'un bruit de sabots se fit entendre au loin. D'abord ténu, puis de plus en plus distinct. Alia se leva brusquement, le cœur battant plus vite. Elle n'avait pas croisé d'autres voyageurs depuis son arrivée, et l'idée que quelqu'un vienne vers elle, après l'incident de tout à l'heure, la fit se tendre immédiatement.

Elle se haussait légèrement sur la pointe des pieds, tentant de distinguer la silhouette à travers les ondulations du sable chaud. La silhouette se rapprochait rapidement, sa silhouette se dessinant peu à peu dans l'azur. Un cheval, monté par un homme. Alia sentit la peur l'envahir à nouveau, mais cette fois-ci, il n'était pas question de fuir. Il fallait faire face à ce qui venait.

L'homme, grand, vêtu de noir, avec un turban couvrant ses cheveux, semblait surgir du néant. Il s'approchait d'elle à une allure calme mais assurée, comme s'il savait déjà qu'elle ne pourrait pas s'échapper.

Alia se recula d'un pas, le regard fixé sur lui, mais elle ne pouvait plus se cacher. Elle était exposée. L'homme s'arrêta enfin à quelques mètres d'elle, son cheval piaffant légèrement sous lui. Il descendit d'un mouvement souple, puis fixa Alia avec la même intensité que celle qu'il avait eue plus tôt.

- "Mademoiselle Alia, il semble que nous soyons destinés à nous rencontrer de nouveau." La voix de l'homme était familière. Ce n'était pas l'accent que l'on aurait attendu de quelqu'un qui vivait dans ces régions. Elle n'aurait pas su dire pourquoi, mais il y avait quelque chose de particulier, comme si chaque mot qu'il prononçait portait un poids caché.

Elle croisa les bras, se redressant pour paraître plus assurée malgré l'angoisse qui la tenaillait. "Je vous ai dit que je ne voulais rien avoir à faire avec vous."

L'homme esquissa un sourire léger, presque imperceptible, et s'avança d'un pas, s'arrêtant juste devant elle. Le vent soufflait encore plus fort, dispersant des grains de sable autour d'eux.

- "Tu es têtue, Mademoiselle. Mais peut-être que ce n'est pas moi qui te cherche. Peut-être que c'est toi qui as besoin d'une direction."

Ses mots étaient comme des pierres lancées dans un étang calme. Alia se sentait perturbée par la façon dont il parlait, par cette certitude tranquille qu'il dégageait. Il était comme un guide, mais un guide dont elle ne voulait pas suivre la route.

- "Je n'ai besoin de personne," dit-elle d'une voix plus ferme, bien que l'incertitude résonne toujours dans son cœur. "Je suis seule ici, et c'est ce que je veux."

L'homme la regarda un instant, puis tourna légèrement la tête, comme s'il réfléchissait à ses paroles.

- "Le désert te teste, Mademoiselle. Nous avons tous besoin de quelque chose, même ceux qui prétendent pouvoir tout affronter seuls." Il fit une pause, ses yeux fixant l'horizon avant de revenir sur elle. "Mais peut-être que tu as raison. Peut-être que tu n'as besoin de personne. Ou peut-être que tu as besoin d'un autre type de compagnie."

Alia se sentit soudainement vulnérable, comme si cette conversation était bien plus qu'un simple échange de mots. C'était un affrontement silencieux, un jeu psychologique qu'elle n'était pas sûre de comprendre. Elle regarda autour d'elle, cherchant un moyen d'échapper à cette situation, mais tout autour n'était que sable, chaleur et solitude.

L'homme fit quelques pas en arrière, remontant tranquillement sur son cheval.

- "Nous nous reverrons, Mademoiselle Alia. Le désert est vaste, mais il finit toujours par nous ramener à ceux que nous cherchons à fuir."

Il tourna les talons et, d'un coup de talon, fit partir son cheval au galop. Alia le regarda s'éloigner dans la distance, se sentant plus perdue que jamais, et plus liée à lui par un fil invisible.

Le vent soufflait fort, balayait les dunes, mais dans le silence qui suivit, Alia savait que sa fuite venait de prendre un tour bien plus dangereux qu'elle n'avait imaginé.

Alia resta figée un instant, regardant l'homme disparaître dans les dunes. Le sable tourbillonnait autour d'elle, dansant dans le vent, comme pour lui rappeler que ce désert était bien plus qu'un simple paysage. C'était un espace vivant, imprégné d'histoires oubliées et de mystères enfouis sous des couches de sable. Mais à cet instant, tout ce qui comptait était le sentiment étrange qui s'était installé dans son esprit. Elle n'était plus seule. Et ce n'était pas simplement à cause de la silhouette de l'homme qui s'éloignait. Non, c'était l'idée même de sa présence qui s'était inscrite dans l'air, comme une ombre persistante, un écho de quelque chose qu'elle n'arrivait pas à saisir.

Elle ferma les yeux quelques secondes, se forçant à respirer profondément. Ce désert pouvait la consumer. Mais elle n'allait pas le laisser. Elle n'allait pas laisser cet homme, ou qui qu'il soit, l'influencer. Elle avait une mission. Une raison d'être ici. Et ce n'était pas pour se perdre dans des mystères qu'elle ne comprenait pas.

"Tu n'as pas d'autre choix que de continuer." Elle se murmura ces mots pour se donner du courage, puis, dans un souffle, elle se redressa, déterminée à avancer.

Elle jeta un dernier regard derrière elle, là où l'homme était parti. La silhouette de son cheval disparaissait lentement, jusqu'à ce qu'il ne reste plus que l'immensité du désert. Un désert qu'elle devait maintenant traverser seule.

Le soleil, haut dans le ciel, frappait sans pitié. La chaleur était insupportable, mais Alia savait qu'elle devait continuer. Elle ajusta son sac sur ses épaules, attrapa son chapeau et prit la direction opposée à celle qu'avait empruntée l'homme. Chaque pas dans le sable semblait plus difficile que le précédent, mais elle serra les dents et continua.

Les heures passèrent lentement. La lumière du jour devenait de plus en plus crue, et l'épuisement la gagnait. Elle avait à peine bu assez d'eau, mais le sentiment d'être suivie, de n'être jamais vraiment seule, était plus accablant que la chaleur.

Et soudain, alors qu'elle commençait à se dire qu'elle ne pourrait pas aller bien plus loin, un bruit lourd, comme un moteur, se fit entendre dans l'air. Elle s'arrêta brusquement, son cœur s'emballant. Était-ce l'homme de tout à l'heure ? Un autre voyageur ? Elle se coucha immédiatement à plat ventre, se cachant derrière une petite dune, et scruta l'horizon.

Au loin, une silhouette sombre se dessina. C'était un véhicule tout terrain, lourd et imposant, qui traversait le désert à grande vitesse. Un groupe de personnes à l'intérieur, ou du moins, elle en déduisait cela par les ombres qui bougeaient à travers les vitres teintées.

Son premier instinct fut de se cacher davantage. Mais quelque chose la poussa à observer. L'automobile ralentit au fur et à mesure qu'elle approchait d'elle, et finalement s'arrêta à quelques dizaines de mètres.

Les portes s'ouvrirent brusquement. Des hommes vêtus de vêtements similaires à ceux du cheikh, avec des turbans, descendirent du véhicule. Ils s'étaient arrêtés juste en face de l'endroit où Alia se trouvait cachée.

Elle se sentit prise au piège. Le désert s'était transformé en une vaste scène où chaque acteur, chaque mouvement, semblait calculé pour la mettre sous pression. Ils la cherchaient. Elle en était certaine. Mais pourquoi ?

L'un des hommes s'approcha, son regard scrutant les alentours. Il passa juste devant la dune où Alia se trouvait dissimulée, mais ne la remarqua pas. Le vent soufflait si fort qu'il couvrait à peine le bruit de ses mouvements. Elle retint son souffle.

Le groupe se dispersa légèrement, les hommes se dirigeant dans des directions différentes, comme s'ils cherchaient quelque chose... ou quelqu'un. La sueur perlait sur le front d'Alia. Chaque fibre de son être lui hurlait de se lever et de courir, mais elle savait que si elle faisait le moindre bruit, elle serait repérée.

L'un des hommes s'arrêta brusquement. Il semblait avoir vu quelque chose. Il se tourna lentement, son regard se posant directement sur l'endroit où Alia se cachait. Un frisson glacial parcourut sa colonne vertébrale. Le cœur battant, elle se leva lentement, prête à s'échapper si besoin.

Mais avant qu'il ne puisse faire un geste, une voix autoritaire éclata derrière elle.

- "Laissez-la."

Tous les regards se tournèrent vers la silhouette qui venait d'émerger des dunes. C'était lui. L'homme du cheval. Il s'était approché silencieusement, comme une ombre, et s'avançait maintenant d'un pas assuré, sans hésiter, vers les hommes qui l'avaient repérée.

- "Vous la laisserez tranquille, ou je vous fais savoir que vous ne pouvez pas l'approcher." Sa voix, ferme et calme, contrastait avec la tension palpable qui régnait autour de lui.

Les hommes échangèrent des regards, incertains, mais aucun ne bougea. Ils étaient apparemment sous l'autorité de cet homme. Celui-ci avança de quelques pas, les fixant de manière froide et calculatrice. Un silence pesant s'abattit sur eux tous. Alia, prise au piège dans cette confrontation, ne savait pas si elle était soulagée ou encore plus en danger.

L'homme du cheval se tourna alors vers elle, un regard perçant dans lequel se mêlaient l'incompréhension et la défiance.

- "Tu es d'un monde que je n'ai pas encore compris, Mademoiselle Alia," dit-il, son regard accrochant le sien. "Mais il semble que, pour le moment, tu sois sous ma protection."

Elle se sentit désemparée, mais aussi curieusement en sécurité, bien qu'elle ne comprît toujours pas qui il était ni ce qu'il attendait d'elle.

Avant qu'elle puisse répondre, il tourna les talons, se dirigeant vers le véhicule tout terrain. Les hommes, visiblement contre leur volonté, montèrent à bord et repartirent, laissant derrière eux une poussière rouge et chaude qui s'élevait lentement dans l'air.

Alia resta là, les bras tremblants, se demandant si la fuite qu'elle pensait avoir prise n'était en réalité qu'un piège plus vaste.

            
            

COPYRIGHT(©) 2022