Ivre de spleen
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Chapitre 2 No.2

Un lien ténu réapparaît dans ma vie. Je revois son visage au regard dur acier, la mine d'un enfant battu. Ô mon amour, mon doux, mon tendre amour, mon merveilleux amour. Tu es de retour. J'ai oublié tous les mots que je veux te dire, mais j'ai des étoiles plein les yeux. Ah, la vie ne m'a pas épargnée, mon histoire est vertigineuse, mais je te dirai qu'en deux ans, j'ai pu constituer trois œuvres non négligeables, et de registres différents, et une nouvelle œuvre est en train de germer, au fil des coups et des joies de la vie.

Je n'ai plus assez de tabac pour contempler le beau, j'écoute de la musique ringarde et j'ai peur de deux choses : la psychiatrie et de vivre à la rue si je déplais. Vois-tu, on a posé un sceau sur mon âme, mais je m'en libère tout doucement. Ah, je revois ton visage. Ce soir, Satan m'a attaqué et j'ai du mal à m'en remettre. Je suis devenu un combattant de la lumière, je fais jaillir la joie et l'extase, et je combats les mauvaises ombres. Je sais il faut une certaine réciprocité dans nos rapports. Je commence par là. Ta rencontre fut une brève éclaircie qui a traversé la trame de mon existence, fugace mais consistante.

Bonjour, Leyla,

Ce soir, j'ai vu un miracle, une lune éteinte, aux couleurs jaune, orange et rougeâtre, comme si la planète Mars était apparue, mais les cratères restent visibles. Je n'hésiterais pas à partager cette expérience, à quoi l'on répondra : « mais vous devez garder ça pour vous ! » À quoi je répondrais : « C'est mon instinct de survie que de tout partager sans réfléchir. » Peut-être qu'avec des meilleures conditions, en dehors de ce chaos, je me rendrai compte, a posteriori, de l'impudeur vis-à-vis de moi-même, mais je n'en suis pas encore là. L'école a été une perte terrible de temps. J'aurais pu laisser mon intuition enfantine me guider, éveiller mes sens déjà éveillés, lire des ouvrages de référence et cultiver mon esprit tranquillement, je lisais beaucoup déjà étant enfant, donc j'avais le mécanisme naturellement. Tous les amis que je me suis faits dans cette période ne riment à rien, car ils sont tous enfermés dans un mutisme de leur personne, qui se poursuit avec les exigences des parents qui ne connaissent pas la miséricorde et ne pardonnent pas les manquements à la société stupide. C'est donc le dernier argument qui tombe, celui de la socialisation, il y a donc tout à refaire. L'intuition est l'alphabet de Dieu, comme le dit Coelho, elle est étouffée, pour empêcher de l'atteindre et de changer réellement le monde corrompu. Il y a la psychiatrie, les denrées rares, et les médicaments.

La beauté du monde est saisissante. Les aventures s'enchaînent, les femmes, la fumée et le bonheur de l'esprit incapable de faire advenir une réalité qui s'échafaude petit à petit sans plan particulier. Des mélodies surtout, et la gloire du jour qui éveille l'esprit endormi, l'amour, le sexe, les cigarettes, la bonne bouffe, le travail aussi. Il était une fois, deux amis séparés par des mers. L'un s'astreint à une vie de devoir et étouffe son âme, l'autre embrasse son âme et fait jaillir les couleurs comme une fontaine. L'extase et la joie, séparées par des mers, ils s'envoient des courriers électroniques succincts, incapables de s'unir dans la trame d'existences si différentes. Il s'est marié, l'autre n'était pas là, occupé à décrocher les étoiles, à emplir son outre d'un liquide ingrat et brillant, comme une liqueur réservée aux vainqueurs qui donnent des étoiles plein les yeux et procure l'ivresse de la vie qui apparaît soudain vêtue de ses plus belles couleurs, et qui lui parle, qui lui transmet une parole divine, et rend le monde palpable comme une chair que l'on palpe à bout de main. Séparée par des mers, la musique les unit au point que cela brûle la peau, au point que cela devient poignant comme un enfant qui se noie. Il se fait plaisir, son cerveau marche par intermittence, l'harmonie doit jaillir de l'intérieur mais lui se laisse bercer par des chanteurs qui vendent le rêve. Et Dieu dans tout ça, dans leur cœur il chante, il laisse apparaître la substance de vie, les âmes vibrent, chantent, les petites voix se font entendre comme une chorale solitaire dans les tréfonds d'une terre en ruine. Moche laide, pleine d'égoïstes consommés, qui consomment comme des cochons, et se pavanent dans leur réussite précaire, le suicide guette toujours. Les roues du métro défilent, et n'écrasent personne. La misère nous prend au cou. La pauvre, elle est surmenée, elle va exploser, pendant un instant, j'ai oublié son existence, pendant un instant j'ai oublié que je serais assailli de toutes parts, et que la machine infernale reprendra. Toute l'après-midi, ivre, lascif, je laisse pendre le bras dans un courant multi couleurs, et mon bras se chauffe et ressort brillant. Je mets la main à la pâte, je suis un orfèvre du pain, que je décore de perles des océans, que je durcis dans le four, pour faire une œuvre d'art incroyable, comme des bananes d'or, je suis l'alchimiste du cœur qui transforme tout en or, mais je n'ai pas beaucoup de matériaux sous la main. Dans un domaine précaire, qui s'en ira, dans quelques minutes, la scène s'évanouira comme une réunion de nymphes et de satyres dans la forêt sylvestre qui s'envole à l'aube. Donc dans cette terre, qui ne laisse pas de répit, je m'exprime, je donne ma parole, et la motivation doit être grande, et la perspective de disparaître prochainement tarit la source. Incapable de s'élever, incapable de dénoncer, pris dans un jeu déshumanisant qui me laisse pâle et livide, le médicament n'existe plus. Les effets se sont envolés, je me gratte la panse avec enthousiasme en attendant mon prochain repas, qui me fera tomber de mon piédestal ascétique. Ah, je n'aimerais qu'écrire des heures durant, sur mon petit nuage, là-haut, personne ne m'emmerde, et un jour j'exploserai, je m'enflammerai, et le fusible sautera sous la tension électrique, et je tuerai quelqu'un et je finirai en prison. Les atomes et les âmes dansent, éperdus d'extase. Un jour, je serai roi et mon royaume défilera sous mes yeux, je régnerai dans l'éther, et j'inviterai le rêve dans la vie, et la vie éternelle prendra forme sous mes mains, il serait dommage que les rires et les pleurs ne mènent à rien. Ce vieux effrayant m'affirma avec aplomb qu'il ne croyait en rien, qu'il n'y a rien après, quelle tristesse indicible qui envahit mon torse à ce moment-là. Donc, je serai roi, sur mon trône, je parlerai aux donzelles, et ma prose fera de tous des élus, que le bonheur inonde. La menace est passée. Parlons du monde.

Hier, alors que j'écrivais, l'émotion me prit. Mon sexe bandait en une érection pour la vie, chose que je n'ai plus ressentie depuis un bout de temps. Ça, c'est avant que Dieu l'ingrat ne m'assaille de mauvais signes et d'insultes, destinés à me descendre de mon piédestal. Le monde s'ouvrait à moi magnifique et majestueux, et je pénétrai ses prémices, le cœur purifié, anarchiste au cœur pur, sauvage et dessillant, comme une déclaration enflammée au monde, au soleil surtout, qui dissipe l'ombre et les commérages, et les mauvais ragots, et les préjugés, et les idées préconçues, et ce que les gens pensent, pour que ne reste plus le vide de Bouddha en personne, que le monde est un vide vertigineux, ce qui en fait quelque chose de plein. Par le pouvoir de l'émotion, j'écrirais, je ne laisserais plus personne me faire taire, et surtout pas une divinité inconnue qui regarde la misère du monde sans rien faire. Aujourd'hui est un divorce puissant avec Dieu, qui s'est manifesté, qui m'a attiré à lui gentiment avant de m'asséner des coups de massue qui m'ont abattu, qui m'ont secoué jusqu'à l'os pour me laisser fragile et désemparé. Un orgue de guerre, comme si l'URSS envahissait maintenant les rues de Paris, encore une fantaisie sans doute. En tout cas, le divorce est consommé. Je suis allé acheter des cigarettes, des fraises tagada, et du coca, et après mon échange avec le libraire, je me suis dit que la normalité est incroyable, j'en suis ressorti comme après un bon bain et que l'on m'a gratté le dos avec une pierre ponce ou avec un gant très rugueux, qui épure ma peau de toute la peau morte qui roule en rouleaux, ou comme un masseur exotique qui m'a martelé le dos, jusqu'à ce que j'en eusse les larmes aux yeux, débarrassé de cette quête stupide et insensée, une reconnexion avec le réel avec tous ses charmes, son bonheur et sa joie spontanée, débarrassé de tout, libre, oui, enfin libre et beau, jaillissant comme un geyser tiède et chaud, qui réchauffe mes jambes comme ce soleil intemporel, comme cette douleur brisante qui dure la nuit et le matin sans trouver le repos ni l'oubli. Assailli sans doute, et mais tout est clair après une gorgée de coca qui arrache la gorge et ravit les papilles, et le vent qui hurle, et le chaos qui pénètre par chaque pore de la peau. Oh, l'écriture n'a jamais été aussi belle qu'en temps de troubles, le cerveau d'habitue si enclin à ordonner les harmonies ne se retrouve plus et erre, quand le rideau de la scène est tiré, et que le fleuve rugissant se fait ruisselet.

Il n'y a plus grand-chose à dire, il ne me reste plus que de grandes étendues à parcourir avec mon imagination sclérosée, j'ai toujours écrit dans le chaos et l'intranquillité, avec pour seule compagnie des voix lasses d'inquiétudes qui chante leur chant angoissant tandis que je baigne dans quelque chose d'autre de bien plus important. Je me dis que tout part, tout est éphémère on est des comètes célestes qui traverse le ciel, l'horizon, de certaines personnes et on y laisse de la poussière d'étoiles patiemment récoltée dans des systèmes lointains. Je n'ai jamais cherché à déranger personne. L'engouement, la flamme, la danse, les villes fumantes, les talons qui claquent sur les pavés, les filles en jupes courtes, le printemps au bord des fossettes, sur des joues qui brillent de fard, des sourires contraints, rien de bien beau, mais avec le temps l'illusion nous pénètre et l'on se retrouve à tout aimer comme il est, à se dire, que le monde est ainsi, oublié les grands idéaux. Tiens, tiens, les idéaux, ah qu'ils sont grands quand ils sont irrigués par l'énergie de la jeunesse, et par le désœuvrement, on se prend à rêver de mieux, mais qu'en sait on réellement, et puis quand on se mêle à l'homme, ils disparaissent, il ne reste plus que notre instinct grégaire, tellement heureux de se retrouver avec nos semblables, qu'on oublie les grandes idées et que l'on tâche à être compris. Sauf quelques illuminés irréductibles qui s'isolent sans cesse pour poursuivre leurs chimères pleines de sens. N'en suis-je pas un ? Je ne sais pas, la vérité, je viens de renvoyer mon père dans sa chambre sombre, pour avoir le salon que pour moi. Au lieu de retracer la chronique malheureuse de mon foyer, je veux m'enfoncer dans un onirisme. Ah l'onirisme, les belles de grâce sur leurs nuages suspendus, ces muses qui touchent de leurs doigts délicats leur harpe pour en tirer des sons merveilleux, pour en tirer une mélodie harmonique que les nuages dans leur intrépidité répandent sur la terre sous forme de pluie. Cœur fermé à Dieu mais ouvert à la création, on s'enfonce dans les méandres de la pensée importante, on se dit que le temps est comme la glace, plus il passe, plus de grands blocs s'effondrent et devant le vide, on prend peur et le cœur se serre, de se savoir si éphémères et si courts, sans prétention de répandre l'amour, un hédonisme intéressant, une fausse conception du destin et des idées noires balayées par le coca, au gré des envies, et de la liberté. Soudain, on se prend à espérer à rester seule pour exprimer l'absolu qui nous habite, une dimension incroyable comme l'à pic d'une falaise, comme l'Everest, anguleux et avec son écharpe blanche, le regard fixé sur son horizon. Je viens de rappeler mon père pour qu'il me tienne compagnie, je n'aimerais pas le balader plus longtemps, comme le renvoyer une nouvelle fois dans sa chambre, une loi m'échappe, il faut que je la comprenne. J'aimerais tellement m'habituer à ma solitude, pour que naisse l'œuvre véritable, celle qui vient de mes profondeurs, un chant pur et ininterrompu, mais je n'ai aucun contrôle sur rien, je me laisse emporter, mais un jour je serai seul. Mais assumer cette solitude sans coup férir, tenir le coup est un effort immense car l'homme est fait pour vivre en communauté.

            
            

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