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La nuit s'étendait sur le royaume telle une mer d'encre, seulement troublée par la pâle lumière de la lune qui caressait le sommet des arbres et les remparts du palais royal. Le vent, léger, soulevait par instants la poussière sur les chemins pavés, portant avec lui l'écho lointain des sabots frappant la terre battue. L'odeur du bois brûlé flottait encore dans l'air, vestige d'un récent assaut sur un avant-poste de la garde.
Sélène chevauchait à travers la forêt, ses sens en alerte. L'animal sous elle, une jument au pelage d'un noir profond, avançait d'un pas rapide mais silencieux, évitant naturellement les racines traîtresses qui serpentait sous les feuillages. La capuche de son manteau dissimulait ses traits, mais le regard qu'elle posait sur l'horizon était dur, empreint de la détermination glaciale qu'elle cultivait depuis son enfance.
Chaque retour au palais était un rappel amer de ce qu'elle avait perdu. Mais cette fois, l'amertume s'accompagnait d'une mission. Kael l'avait mandée en urgence.
La rumeur courait que les traîtres s'étaient infiltrés jusqu'au cœur de la cour royale. Une insurrection, sourde et insidieuse, se tramait dans l'ombre. Des soldats avaient disparu. D'autres avaient été retrouvés morts, la gorge tranchée avec une précision qui n'appartenait qu'aux assassins d'élite. Un message implicite envoyé à ceux qui osaient creuser trop profondément.
Le vent se fit plus froid à mesure que les hautes tours du palais apparaissaient au loin. Les gardes postés sur les remparts ne firent aucun geste hostile à son approche. Son insigne – une louve d'argent incrustée d'onyx – suffisait à garantir son passage.
Les portes massives s'ouvrirent dans un grondement sourd, révélant la cour intérieure, baignée d'une lueur tremblotante. Des torches brûlaient le long des murs de pierre, projetant des ombres mouvantes sur les visages des soldats qui montaient la garde. L'odeur du fer et du cuir emplissait l'air, mêlée à celle, plus subtile, de la terre humide.
Sélène mit pied à terre et passa les rênes à un écuyer avant de s'engouffrer dans les couloirs silencieux du palais. Ses bottes frappaient les dalles de marbre avec une cadence régulière, brisant par instants le silence oppressant qui régnait en ces lieux.
Lorsqu'elle poussa la porte des appartements du prince régent, elle trouva Kael assis à son bureau, une carte du royaume étalée sous ses doigts. Il releva la tête à son entrée, et malgré l'heure avancée, son regard ne trahissait aucune fatigue.
- Tu es revenue plus tôt que prévu.
Sélène referma la porte derrière elle, croisant les bras.
- Quand un prince vous envoie un message scellé d'urgence, on ne prend pas le temps de savourer le voyage.
Kael eut un sourire fugace, mais son expression redevint grave en un instant. Il tapota la carte devant lui.
- La situation est pire que ce que nous pensions.
Sélène s'approcha, jetant un œil aux annotations griffonnées à l'encre rouge. Des cercles entouraient plusieurs noms de villes, accompagnés de symboles codés qu'elle connaissait bien.
- Des postes attaqués, des convois pillés... et ces assassinats à l'intérieur même des murs.
- Ce n'est pas seulement une révolte. C'est une purge.
Kael hocha la tête, son regard devenant plus sombre.
- Il y a un ennemi dans nos rangs. Quelqu'un qui sait exactement où frapper pour affaiblir la couronne.
Sélène se redressa, le regard acéré.
- Tu veux que je le trouve.
Ce n'était pas une question. C'était une évidence.
Kael la fixa un instant, comme pour sonder son état d'esprit, avant d'acquiescer lentement.
- Je veux que tu fasses ce que tu fais le mieux. Démasquer les traîtres. Et les éliminer.
Le silence qui suivit était lourd de promesses et de danger. Sélène savait que cette mission la plongerait au cœur d'une guerre secrète.
Mais la guerre, elle y avait été préparée toute sa vie.
Et cette fois, elle comptait bien en sortir victorieuse.
Les couloirs du palais étaient silencieux à cette heure tardive, baignés dans une obscurité troublée seulement par la lueur tremblotante des torches accrochées aux murs de pierre. Sélène avançait d'un pas sûr, ses sens en éveil, consciente que même dans ce sanctuaire qu'elle connaissait depuis l'enfance, l'ennemi pouvait être tout proche.
Kael lui avait confié une mission, une tâche dont l'ampleur dépassait peut-être tout ce qu'elle avait accompli jusque-là. Débusquer un traître dans un nid de serpents.
Elle descendit un escalier étroit menant aux quartiers des soldats. L'odeur du cuir usé, de la sueur et du métal emplissait l'air. Une torche, plantée dans un support mural, projetait des ombres longues et menaçantes sur les murs rugueux. Des voix s'élevaient derrière une porte entrouverte, étouffées par la pierre.
Sélène s'arrêta, tendant l'oreille.
- ... je te dis que c'est un massacre, il en manque encore trois.
- Le capitaine refuse d'en parler, mais tout le monde sait que c'est lié. Ce n'est pas une simple attaque de bandits.
- Alors, quoi ? Tu crois à ces rumeurs ? Un complot contre le prince régent ?
Un silence pesant s'installa.
- Je crois que ceux qui posent trop de questions finissent égorgés dans leur lit.
Sélène n'attendit pas la suite. Elle s'éloigna sans bruit, analysant les informations qu'elle venait d'entendre. Les soldats parlaient à voix basse, inquiets. Et ils avaient raison de l'être.
Le danger était réel.
Elle rejoignit sa chambre sans croiser âme qui vive. À l'intérieur, l'espace était sobre, presque spartiate. Un lit, une table, une armoire. Elle n'avait jamais eu besoin de plus.
D'un geste, elle retira sa cape et s'agenouilla devant un coffre de bois renforcé de métal. La serrure cliqueta sous ses doigts habiles, révélant l'arsenal soigneusement rangé à l'intérieur. Lames aiguisées, dagues fines et tranchantes, poignards de lancer... et au centre, son arme de prédilection : une épée courte, au manche orné du symbole de sa famille.
Elle la prit en main, éprouvant son poids familier, et inspira profondément.
L'aube serait bientôt là.
Et avec elle, la chasse commencerait.
Le vent s'engouffra dans les corridors, soulevant les tentures accrochées aux murs de pierre. L'aube teintait le ciel d'un bleu profond, annonçant une nouvelle journée empreinte de tensions.
Sélène ajusta son armure de cuir sombre, serrant les sangles avec une précision mécanique. Chaque pièce, chaque détail avait été pensé pour allier agilité et protection. Elle n'était pas une simple héritière de sang royal ; elle était une combattante, forgée dans le fer et la douleur.
Un bruit derrière elle la fit se retourner d'un geste vif.
- Toujours aussi sur le qui-vive, murmura une voix moqueuse.
Nyssa s'appuyait contre le chambranle de la porte, les bras croisés sur sa poitrine. Vêtue d'une tunique noire ajustée, un poignard glissé dans sa ceinture, elle arborait cet éternel sourire indéchiffrable.
- Quand on dort parmi les loups, mieux vaut ne jamais relâcher sa garde, répliqua Sélène en glissant sa lame dans son fourreau.
Nyssa haussa un sourcil amusé et s'avança dans la pièce, ses pas feutrés trahissant son entraînement d'espionne.
- Kael t'attend dans la salle du conseil. Et devine quoi ? Notre cher Darius sera là aussi.
Sélène réprima un soupir. L'Alpha de la Meute de Sang. Un adversaire autant qu'un allié, un obstacle autant qu'un défi. Depuis son retour au palais, il semblait toujours se tenir en travers de son chemin.
- Alors ne faisons pas attendre Sa Majesté, lança Sélène en passant devant Nyssa, qui la suivit d'un pas léger.
Les couloirs du palais s'animaient peu à peu. Les serviteurs s'activaient en silence, les soldats croisaient leurs regards sans jamais s'attarder. L'atmosphère était lourde, comme si chacun sentait l'orage à venir.
Sélène et Nyssa franchirent les grandes portes de la salle du conseil.
Kael était déjà là, assis à la table de bois massif, une carte du royaume déployée devant lui. Ses traits étaient tirés, la fatigue marquant son regard d'ordinaire si vif.
Face à lui, Darius.
Drapé dans une cape de fourrure sombre, l'Alpha dominait la pièce de sa seule présence. Ses yeux dorés se posèrent sur Sélène avec une intensité calculée. Il était le prédateur incarné, un loup né pour commander.
- Veyrac, déclara-t-il en guise de salut, son ton neutre.
- Darius, répliqua-t-elle avec la même froideur maîtrisée.
Kael les ignora et pointa la carte du doigt.
- Trois attaques en moins d'un mois. Des garnisons décimées, aucune trace des assaillants. Ce n'est plus une série de raids. C'est une guerre de l'ombre.
Nyssa siffla doucement.
- Et nous ne savons même pas qui tire les ficelles.
Sélène s'approcha, analysant les points marqués d'encre rouge. Tous situés à des carrefours stratégiques.
- Quelqu'un cherche à nous affaiblir avant de frapper au cœur du royaume, murmura-t-elle.
Darius croisa les bras.
- Si l'ennemi frappe depuis l'intérieur, c'est qu'il a déjà des alliés ici.
Son regard se planta dans celui de Sélène, un défi silencieux.
Elle le soutint sans ciller.
La chasse ne faisait que commencer.
Le silence tomba dans la salle du conseil, pesant comme une menace invisible. Kael passa une main lasse sur son visage avant de se redresser, son regard balayant la carte marquée de rouge.
- Nous avons un problème plus urgent, reprit-il d'une voix grave. Une nouvelle attaque a eu lieu cette nuit.
Il posa un parchemin devant eux, son sceau brisé. Sélène l'attrapa et parcourut rapidement les lignes tremblantes tracées à l'encre noire.
- Une embuscade sur la route nord... Nos éclaireurs ont été massacrés. Pas de survivants.
Darius laissa échapper un grondement sourd, ses muscles tendus sous sa cape de fourrure.
- Cela signifie qu'ils se rapprochent.
Kael hocha la tête, ses traits marqués par une inquiétude contenue.
- Nous devons agir avant qu'ils ne prennent d'assaut la capitale.
Nyssa, jusque-là silencieuse, se pencha sur la carte, ses doigts effleurant les symboles marqués en rouge.
- Il y a un schéma... Ils attaquent toujours sur des routes secondaires, jamais directement les avant-postes principaux.
Sélène comprit immédiatement où elle voulait en venir.
- Ils cherchent à couper nos lignes de ravitaillement, à nous isoler avant de frapper.
Darius la fixa un instant, son expression indéchiffrable, avant de lâcher dans un souffle :
- Intelligents. Et dangereux.
Le silence s'étira, chacun pesant les implications de cette nouvelle donnée.
Puis Kael releva la tête.
- J'enverrai des patrouilles renforcées sur ces routes.
Darius secoua la tête, son ton tranchant.
- Inutile. Ils ont déjà l'avantage. Il nous faut autre chose. Une diversion, un piège.
Sélène croisa les bras, son esprit analysant déjà les possibilités.
- Alors attirons-les où nous voulons.
Tous les regards se tournèrent vers elle.
Elle posa la main sur la carte, pointant un col montagneux situé à la lisière du territoire.
- Ici. Un passage qu'ils devront emprunter s'ils veulent continuer leur progression sans être repérés. Nous les y attendrons.
Kael hésita une seconde avant de hocher la tête.
- Ce plan pourrait fonctionner. Mais nous avons besoin d'un appât.
Nyssa esquissa un sourire en coin.
- Oh, je crois que nous avons déjà quelqu'un de parfait pour ça.
Sélène comprit avant même qu'elle ne poursuive.
Leur piège était en place. Mais elle en serait l'appât.