Ses poumons brûlaient, mais elle n'avait pas le droit de ralentir. L'air glacial s'engouffrait dans sa gorge, la lame d'un couteau invisible tranchant ses forces déjà vacillantes. Derrière elle, un bruissement. Un craquement. Une odeur portée par le vent.
Ils la suivaient.
Une meute de loups entraînés, rapides, impitoyables. Ils n'avaient pas besoin de la rattraper tout de suite. Ils se jouaient d'elle, la traquant comme une proie blessée. Ils savaient qu'elle finirait par s'écrouler, que sa nature d'Oméga la condamnerait avant même qu'ils n'aient à lever la main sur elle.
Mais ils avaient tort.
Elle ne s'arrêterait pas. Pas tant qu'elle respirerait encore.
Son corps protesta, ses muscles tendus hurlant sous l'effort. Une racine surgit devant elle. Elle l'évita de justesse, ses jambes manquant de flancher.
Un hurlement déchira le silence. Proche. Trop proche.
Le son vibra dans sa cage thoracique, souleva la moindre fibre de son être. Un avertissement.
Ses mains se crispèrent. Son cœur tambourinait contre ses côtes. Elle n'était pas assez rapide.
Les branches fouettaient son visage, lacérant sa peau, mais elle continua. L'odeur des loups se resserrait autour d'elle.
Un autre hurlement, plus rauque.
Ils allaient la prendre en étau.
Elle tourna brusquement, s'enfonçant plus profondément dans l'obscurité. L'adrénaline poussait son corps au-delà de ses limites. Chaque respiration était une lutte, chaque pas un défi contre l'inévitable.
Et puis elle les vit.
Trois silhouettes jaillirent devant elle. Hautes, imposantes, les muscles tendus sous leur peau.
Des guerriers d'Eros.
Leurs yeux luisaient dans l'obscurité, captant la lumière de la lune qui filtrait à travers les feuillages.
Elle fit volte-face.
Trop tard.
Deux autres surgissaient derrière elle, des ombres vivantes se mouvant avec la précision d'un chasseur sur sa proie.
Elle était encerclée.
Son souffle se brisa dans sa gorge.
Le premier avança. Un homme au regard dur, ses traits marqués par l'expérience du combat. Il la détailla, une lueur moqueuse traversant ses prunelles.
- L'Alpha a été clair, Oméga. Tu n'as plus ta place ici.
Sa voix était basse, tranchante, dénuée de la moindre pitié.
Les autres s'approchèrent à leur tour, un sourire cruel étirant leurs lèvres.
- On s'attendait à ce que tu prennes la fuite, mais pas que tu tiennes aussi longtemps, souffla l'un d'eux.
Un autre ricana.
- Ça ne change rien. On va s'assurer que tu ne reviennes jamais.
Son corps entier se tendit.
Ils allaient la tuer.
Peut-être pas tout de suite. Peut-être allaient-ils se contenter de la briser, de lui laisser une dernière humiliation avant de la jeter aux crocs de la nature.
Non.
Elle refusait de mourir ici.
Un grondement sourd s'échappa de sa gorge, instinctif, primitif.
Les guerriers échangèrent un regard, surpris.
- Qu'est-ce que...
Elle ne leur laissa pas le temps de terminer.
Elle se jeta sur le premier, toute sa force concentrée dans son attaque. Ses ongles s'enfoncèrent dans sa peau avant qu'il ne puisse réagir. Un cri de douleur éclata.
Le sang jaillit. Chaud. Métallique.
Le second attaqua.
Elle roula sur le côté, évitant de justesse le coup qui aurait pu lui briser la colonne.
Son corps savait. Son instinct hurlait. Frapper. Mordre. Survire.
Le troisième l'attrapa par le bras.
Elle pivota, planta ses dents dans sa chair.
Un hurlement bestial résonna à travers la forêt.
Elle arracha son bras à son emprise, l'odeur du sang se mêlant à la sueur et à la terre humide.
Ils étaient plus forts. Plus rapides.
Mais elle était enragée.
Elle n'avait plus rien à perdre.
Le chef des guerriers la regarda, du sang coulant de sa blessure, son expression troublée par quelque chose d'inattendu.
De la méfiance.
Comme si, soudainement, l'Oméga qu'ils avaient toujours connue n'était plus la même.
Elle le vit dans leurs yeux.
Un frisson parcourut son échine.
Puis elle courut.
Avant qu'ils ne puissent réagir, elle plongea dans l'obscurité, ses jambes brûlant sous l'effort.
Les cris s'élevèrent derrière elle.
- Rattrapez-la !
Mais cette fois, elle ne s'arrêta pas.
Parce qu'au fond d'elle, quelque chose venait de changer.
Quelque chose qui ne disparaîtrait jamais.
L'obscurité était son seul refuge. La forêt se refermait autour d'elle comme une cage mouvante, ses branches griffant sa peau, arrachant des lambeaux de tissu à sa robe souillée de terre et de sang. Son souffle était erratique, sa poitrine brûlante sous l'effort. Elle ne savait pas combien de temps elle avait couru. Les secondes s'étaient diluées dans l'urgence, dans la peur brute qui pulsait dans ses veines.
Derrière elle, les bruits de poursuite s'étaient estompés. Plus de cris. Plus de pas précipités. Mais elle n'osait pas ralentir.
Pas tant que son corps lui obéirait encore.
Ses jambes faiblissaient pourtant, chaque mouvement devenant une torture. Ses muscles, endoloris, tremblaient sous la contrainte. Elle trébucha sur une racine, manqua de s'effondrer, mais rassembla ce qui lui restait de forces pour continuer.
Le vent hurlait entre les arbres, portant avec lui l'odeur du sang.
Le sien.
Elle baissa les yeux. Une plaie s'ouvrait sur son flanc, profonde, suintante.
L'un des guerriers l'avait touchée. Elle n'avait même pas senti la morsure de la douleur dans le chaos de la fuite.
Maintenant, elle la sentait.
Une vague de vertige l'assaillit.
Elle posa une main sur l'écorce d'un arbre, tentant de reprendre son souffle.
Le monde vacillait autour d'elle, se déformant en un tableau flou et indistinct.
Elle serra les dents. Non. Elle ne tomberait pas ici.
Mais son corps ne lui obéissait plus.
Ses genoux cédèrent.
Le sol se déroba sous elle.
Le choc fut brutal, la douleur fulgurante.
Le froid l'engloutit aussitôt, perçant jusqu'à ses os.
Elle tenta de se redresser, de lutter contre l'engourdissement qui gagnait ses membres.
Mais l'obscurité fut plus forte.
Elle l'aspira dans son néant.
Un silence absolu s'installa.
Puis une voix s'éleva.
- Te voilà enfin.
Douce. Hypnotique. Une caresse de velours sur son esprit.
Lyana ne savait pas où elle était. Ni si elle rêvait ou si elle avait sombré dans quelque chose de plus profond que le sommeil.
Tout était flou, indistinct, comme si elle flottait entre deux mondes.
- Qui... es-tu ? souffla-t-elle.
Un rire s'éleva, bas, presque amusé.
- Une ombre. Une promesse. Une force oubliée depuis trop longtemps.
Une chaleur étrange parcourut son corps.
Elle ne voyait rien. Seulement des ténèbres mouvantes, vibrantes, un murmure qui s'enroulait autour d'elle comme une étreinte invisible.
- Pourquoi... pourquoi me parles-tu ?
- Parce que tu es prête.
Prête ?
Elle ne comprenait pas.
Mais la voix poursuivit, implacable, un murmure aussi froid que tranchant.
- Ils t'ont brisée. Humiliée. Ils t'ont rejetée. Tout ce que tu as aimé, tout ce que tu croyais être, a été piétiné. Et pourtant... tu as survécu.
Les souvenirs revinrent, brutaux, implacables.
Eros. Son regard indifférent.
Les moqueries. Les rires.
Les loups envoyés pour s'assurer qu'elle ne revienne jamais.
Son propre sang maculant la terre.
Une colère sourde se réveilla en elle.
- Je ne veux pas survivre, souffla-t-elle.
Elle voulait plus.
Elle voulait qu'ils paient.
La voix s'adoucit, comme un murmure conspirateur glissé à l'oreille d'un souverain déchu.
- Alors prends ce qui t'appartient.
Une énergie étrange s'infiltra en elle. Chaude, vibrante.
Son corps, meurtri, semblait s'imprégner de cette force, comme une terre asséchée absorbant la pluie après une éternité de sécheresse.
Son souffle se fit plus profond.
Son cœur, plus puissant.
- Accepte-moi, Lyana, et je t'offrirai bien plus que la vengeance.
Un frisson remonta le long de son échine.
Elle ne savait pas qui était cette voix. Ni d'où venait cette puissance qui s'infiltrait en elle comme un poison exquis.
Mais à cet instant, elle s'en moquait.
Elle était fatiguée d'être faible.
Fatiguée d'être rejetée.
Alors, elle ouvrit son esprit.
Et l'ombre s'y engouffra.