Elle se tenait près du bar, son regard perdu dans les lumières des chandeliers qui se reflétaient dans les verres. Chaque visage qu'elle croisa semblait appartenir à un personnage plus grand qu'elle, quelqu'un qui avait sa place dans cet univers. Mais elle, elle n'était qu'une ombre parmi les lumières éclatantes de la haute société. Un faux pas, et elle pourrait disparaître dans l'obscurité, noyée dans cette mer de privilèges et de faux-semblants.
Elle toucha discrètement la carte dans la poche de sa robe. Le message d'Adrian Vega tournait dans son esprit, troublant son calme. "Il y a des vérités que même un nom ne peut cacher." Ces mots étaient comme une invitation, un défi silencieux, mais il y avait quelque chose d'énigmatique qui la poussait à vouloir comprendre davantage. Pourquoi Adrian Vega, un homme dont elle n'avait jamais entendu parler auparavant, choisissait-il de lui envoyer ce message ? Que savait-il ?
- Vous semblez perdue dans vos pensées, n'est-ce pas, Leyna ?
La voix suave d'Elias la tira de ses réflexions. Elle se retourna pour le voir, un verre de vin rouge à la main. Ses yeux scrutaient la pièce avec une attention implacable, comme s'il mesurait chaque mouvement, chaque mot échangé.
- Je réfléchissais à cette soirée, répondit-elle d'un ton neutre. C'est... écrasant.
Elias sourit légèrement, ses lèvres se repliant en un rictus qui n'avait rien de rassurant. Il approcha son verre de ses lèvres sans jamais la quitter des yeux.
- C'est exactement ce que tout le monde ressent ici. Mais c'est la règle de ce jeu. Nous sommes tous des pions, Leyna, et les pions doivent apprendre à se mouvoir sans hésitation.
Elle hocha la tête, bien que l'angoisse dans ses entrailles ne fût pas apaisée. Elle savait qu'il avait raison, mais l'idée de n'être qu'un simple pion dans cette grande mécanique la dérangeait. Elle n'était pas certaine de vouloir jouer ainsi, mais en même temps, elle n'avait pas d'autre choix.
- Je sais ce que tu penses, reprit Elias, l'air un peu plus grave. Mais tu vas devoir t'y faire. Le monde des Blackwood n'est pas celui des rêves. C'est un monde de réalités. De décisions rapides et de sacrifices nécessaires.
- Et toi, tu es prêt à sacrifier tout ce que tu es pour ce monde ? demanda-t-elle, un défi glissant dans sa voix.
Elias la fixa, un éclair d'amusement dans ses yeux sombres. Il n'avait pas l'air de se sentir menacé par la question.
- Je suis déjà dans ce monde, Leyna. Je n'ai rien à sacrifier. Je n'ai plus rien à perdre.
Elle sentit un frisson d'inquiétude l'envahir. Cette réponse, sèche et pleine de vérité, la frappait plus que tout. Il avait raison. Elias ne cherchait pas à se faufiler dans ce monde, il en faisait déjà partie, au cœur même de son pouvoir.
Mais qu'en était-il d'elle ?
Elle n'était qu'une pièce qu'on avait déplacée sur l'échiquier. Et elle n'avait pas encore choisi quelle position elle occuperait.
Le bruit soudain d'un verre qui se brisait attira leur attention. Leyna tourna la tête juste à temps pour voir une silhouette se diriger précipitamment vers la sortie. C'était un jeune homme, légèrement plus âgé qu'elle, au visage marqué par l'anxiété. Les regards des invités se portèrent sur lui, mais personne ne fit un geste. Ce n'était qu'un incident, un détail insignifiant dans la grande danse de la soirée.
Elias observa la scène avec un calme froid, comme s'il ne ressentait aucune émotion face à cette perturbation. Mais Leyna, elle, sentit une étrange connexion. Il y avait quelque chose dans ce moment qui éveillait ses instincts.
- Qui est-ce ? demanda-t-elle, curieuse.
- Un garçon de la famille Lockridge, un membre plus distant, répondit Elias en haussant les épaules. Il est... impulsif. Trop impulsif pour ce monde.
Il n'ajouta rien d'autre. Mais la phrase résonna en elle, comme un avertissement. Un avertissement qu'elle sentait de plus en plus oppressant.
Elle jeta un dernier regard vers la silhouette qui disparaissait dans l'obscurité, puis se tourna vers Elias.
- Que se passe-t-il vraiment ici, Elias ?
Il la regarda un instant, une étincelle dans ses yeux, comme s'il se demandait s'il devait répondre. Puis, finalement, il fit un geste de la main.
- Un jour, tu comprendras. Mais il te faudra encore du temps. Il y a des choses que tu n'es pas encore prête à savoir. Tu dois apprendre à t'adapter. Sinon, ce monde te dévorera.
Leyna se contenta de hocher la tête, mais en elle, la question persistait. Que cachait ce monde ? Pourquoi les Blackwood étaient-ils si différents des autres ? Et pourquoi était-elle tombée dans ce piège de leur propre conception ?
Elle n'avait pas encore toutes les réponses, mais elle savait une chose avec certitude : elle allait les trouver.
Les vérités cachées n'étaient pas éternellement dissimulées. Et à mesure que la soirée avançait, Leyna se sentait de plus en plus attirée par ces secrets que personne ne semblait vouloir lui révéler.
Chapitre 10 – Le Poids des Secrets
La soirée s'étira comme un voile de soie, fluide et élégante, mais lourde de non-dits. Leyna se tenait à l'écart de l'agitation centrale, observant les visages marqués par des sourires calculés, les conversations à demi-mots, et les rires qui semblaient autant des masques que des vérités. Elle se sentait comme une étrangère dans cet univers qui, pourtant, devenait de plus en plus familier.
Son regard se posa à nouveau sur Adrian Vega, qui se trouvait à l'autre bout de la salle, toujours entouré de son cercle d'invités. Il la regardait rarement, mais chaque fois que ses yeux croisaient les siens, Leyna ressentait cette étrange sensation, comme une pression subtile sur sa poitrine. Elle avait du mal à définir ce qu'il attendait d'elle. Un geste, un mot, un regard... Que voulait-il réellement ?
La question se formait de plus en plus dans son esprit, mais elle n'avait ni la force, ni le courage de l'adresser à Elias. Ce dernier avait l'air détaché, absorbé dans ses propres préoccupations. Ou peut-être était-ce simplement le rôle qu'il jouait, celui du mari parfait, qui savait quand s'éclipser et quand être visible.
Dans un mouvement de malaise, elle s'éloigna un peu plus, longeant la pièce où les ombres dansaient contre les murs, guidée uniquement par la lueur d'un chandelier. Elle se retrouva bientôt seule, à l'extérieur, sur la grande terrasse qui dominait le jardin. Là, le silence était plus pesant, la brise plus fraîche.
Elle s'installa sur une chaise longue, les mains jointes sur ses genoux, son regard fixé sur la lointaine silhouette de la ville. Les lumières scintillantes semblaient si proches, presque à portée de main, mais Leyna savait que, tout comme ce monde, elles étaient hors de sa portée.
Un bruit de pas la tira de ses pensées. Elle se redressa légèrement, mais resta immobile.
- Tu sembles perdue dans tes pensées, Leyna.
Elle n'eut pas besoin de se retourner pour savoir que c'était Adrian. Sa voix était faible, mais pleine de cette autorité qu'il dégageait toujours. Elle se tourna lentement vers lui, lui lançant un regard qui oscillait entre la méfiance et la curiosité.
- Perdue, non. Mais il est facile de se perdre dans ce monde, répondit-elle, ses yeux se posant sur lui de façon délibérée.
Adrian s'approcha sans un mot, son regard perçant et insondable. Elle sentit une tension dans l'air, comme si un fil invisible les reliait tous les deux, tendu à la limite du palpable.
- Tu sembles penser que tu comprends tout. Que tu peux percer les mystères autour de toi. Mais je crains que tu n'aies pas encore vu toute l'ampleur du jeu, Leyna.
Elle haussait un sourcil, son esprit en alerte, son instinct la poussant à le défier, à l'interroger, mais quelque chose en elle la retenait.
- Et toi, Adrian ? Que sais-tu de moi pour parler ainsi ?
Un sourire en coin se dessina sur ses lèvres, mais il n'était pas joyeux. C'était celui d'un homme qui savait plus qu'il ne laissait paraître.
- Ce que je sais, c'est que tout ce que tu crois savoir sur ce monde, sur ce que tu appelles "le jeu", ne sont que des morceaux d'un puzzle plus vaste que tu n'imagines.
Il se tut un instant, observant la ville au loin, un regard lourd, presque mélancolique. Il n'avait pas l'air de vouloir en dire plus, mais Leyna n'était pas du genre à se laisser contenir par des demi-phrases.
- Alors, dis-moi. Qu'est-ce que tu veux que je sache, Adrian ? Pourquoi ces mots sur la carte ? Que cherches-tu à me faire comprendre ?
Adrian se tourna lentement vers elle, son regard maintenant plus intense que jamais. Il y avait quelque chose d'inquiétant dans son silence, comme si chaque mot prononcé serait une ouverture qu'il ne pourrait refermer.
- Tu veux savoir pourquoi je t'ai écrit ? Pourquoi je suis ici ? Parce que, Leyna, tu fais partie de ce puzzle. Parce que ta présence ici n'est pas un hasard. Tu n'es pas juste l'épouse d'Elias Blackwood, un membre d'une famille de plus. Tu as un rôle, bien plus important que tu ne le crois.
Elle sentit son cœur accélérer sous l'effet de ses mots, mais elle ne montra rien. Elle ne pouvait pas se permettre d'afficher la moindre émotion, la moindre vulnérabilité face à lui.
- Un rôle ? répéta-t-elle d'un ton neutre. Quel rôle ?
Adrian s'éloigna légèrement, les mains dans les poches de son costume impeccable. Il n'avait pas l'air pressé de répondre, comme s'il laissait à Leyna le soin de décoder ses paroles.
- Tu apprendras bientôt. Sois patiente. Mais souviens-toi d'une chose, Leyna. Dans ce monde, tout est question de pouvoir. Et pour le comprendre, il faut d'abord accepter que rien ne se fait sans sacrifice. Rien n'est jamais gratuit.
Le silence s'installa de nouveau, lourd et interminable. Leyna se sentit envahie par un malaise croissant, mais elle garda ses pensées pour elle. Elle n'était pas prête à laisser Adrian avoir trop d'emprise sur elle. Pas encore.
- Tu ne m'as pas répondu. Pourquoi ces messages ? Pourquoi ce "jeu" dont tu parles ?
Il la fixa, une lueur presque imperceptible dans ses yeux, avant de faire un geste vague comme pour chasser la question dans le vent.
- Parce que ce monde est rempli de secrets, Leyna. Et les secrets, comme les pièces du puzzle, finissent toujours par se dévoiler. Mais pas tout de suite. Pas tant que tu n'auras pas fait tes premiers pas dans la vérité.
Un frisson parcourut son dos alors qu'il s'éloignait. Leyna ne pouvait s'empêcher de se demander ce qu'il voulait dire. Que cachait cet homme ? Et pourquoi elle ? Pourquoi elle semblait si impliquée dans ce mystère ?
Elle se leva lentement, le regard posé sur la silhouette d'Adrian qui disparaissait dans la nuit. L'obscurité semblait maintenant plus oppressante, plus présente que jamais.
Elle avait voulu des réponses. Elle avait voulu comprendre. Mais à chaque rencontre avec ces hommes, chaque échange, la vérité se dérobait davantage, comme une promesse qui ne se réalisait jamais.
Ce monde... Ce monde avait plus de facettes qu'elle n'aurait jamais cru.