Leyna observa l'agitation depuis la voiture, les mains posées sur ses genoux pour masquer leur légère crispation. Ce n'était pas sa première soirée mondaine, mais c'était la première où elle porterait le nom de Blackwood. Et cela changeait tout.
À ses côtés, Elias restait impassible, une main négligemment posée sur l'accoudoir. Il n'avait pas besoin de parler pour imposer sa présence. Tout, dans son attitude, indiquait qu'il n'avait aucune crainte à avoir.
- Ce n'est qu'un jeu, finit-il par murmurer en tournant légèrement la tête vers elle.
Elle haussa un sourcil.
- Un jeu où chaque faux pas peut être fatal, j'imagine ?
Un léger rictus effleura ses lèvres.
- Exactement.
La portière s'ouvrit. Elias descendit le premier, puis lui tendit une main. Lorsqu'elle la prit, elle sentit la fermeté de sa prise, comme s'il lui rappelait subtilement qu'il contrôlait l'instant, qu'il la guidait dans un univers où chaque regard serait une évaluation, chaque sourire un calcul.
Dès qu'ils pénétrèrent dans le hall, tous les visages se tournèrent vers eux. Un murmure discret parcourut la foule, des regards échangés, des évaluations silencieuses.
Leyna ne baissa pas les yeux.
Elle avait grandi dans ce monde, même si sa famille n'avait jamais eu le poids des Blackwood. Elle connaissait les règles. Et la première était simple : ne jamais montrer d'hésitation.
Elias l'emmena à travers la salle, saluant d'un simple signe de tête ceux qui méritaient son attention, ignorant royalement ceux qui n'étaient que des figurants dans ce théâtre du pouvoir.
- Monsieur Blackwood, quelle surprise de vous voir ce soir.
Leyna tourna légèrement la tête vers la voix qui venait de s'élever à leur gauche. Un homme d'une cinquantaine d'années s'approchait, accompagné d'une femme au sourire figé par les apparences.
- Lockridge, répondit Elias d'un ton neutre.
Ainsi donc, c'était leur hôte.
L'homme jeta un regard appuyé à Leyna avant de lui adresser un sourire calculé.
- Et voici donc la nouvelle Madame Blackwood. Un plaisir de vous rencontrer.
- Enchantée, répondit-elle en tendant légèrement la main.
Il la serra avec juste ce qu'il fallait de pression pour affirmer son autorité, avant de reporter son attention sur Elias.
- Je dois dire que ce mariage a été une surprise pour beaucoup d'entre nous.
- Il est dans la nature des Blackwood d'avoir toujours une longueur d'avance, répondit Elias avec ce calme tranchant qui lui était propre.
Un rire poli suivit, mais Leyna perçut l'échange de regards entre Lockridge et sa femme. Il y avait quelque chose sous cette conversation anodine, un non-dit qu'elle ne parvenait pas encore à saisir.
La soirée se poursuivit sous une cadence millimétrée. Chaque interaction était une danse, chaque parole pesée, chaque sourire une arme dissimulée derrière le velours de la bienséance.
Leyna se laissa porter par l'exercice, s'habituant au rythme, aux attentes. Mais ce fut lorsqu'elle croisa un regard particulier à l'autre bout de la pièce que son souffle se coupa un instant.
Un homme se tenait là, seul, un verre à la main. Il n'avait pas le raffinement calculé des autres invités. Son costume, bien que sur mesure, semblait déplacé sur lui, comme s'il n'appartenait pas vraiment à ce monde. Mais ce qui frappa Leyna, ce fut l'intensité de son regard posé sur elle.
Un regard qui la connaissait.
Un frisson la traversa.
- Qui est-ce ? demanda-t-elle doucement, sans détourner les yeux.
Elias suivit son regard.
Il y eut une pause.
- Adrian Vega.
Un nom qui ne lui disait rien.
- Et qu'est-ce qu'il fait ici ?
- Il observe.
Elias se tourna légèrement vers elle.
- Il y a certaines choses que tu n'as pas encore besoin de savoir.
Leyna serra discrètement les dents. Il venait de lui rappeler, en une seule phrase, que si elle était entrée dans ce monde, elle n'en connaissait encore que la surface.
Mais elle comptait bien creuser.
Et Adrian Vega semblait être un bon point de départ.
Chapitre 8 – L'Ombre d'Adrian Vega
Leyna détourna enfin les yeux d'Adrian Vega, mais son esprit restait en alerte. Elle connaissait cette sensation. Celle d'être scrutée, évaluée, disséquée en silence. Pourtant, ce regard-là était différent. Il n'avait rien d'un regard mondain ou d'une simple curiosité. C'était une analyse froide, presque méthodique. Comme si l'homme cherchait à comprendre quelque chose d'elle.
À ses côtés, Elias ne montrait aucun signe d'agitation. S'il ressentait quoi que ce soit face à la présence d'Adrian, il le dissimulait parfaitement. Mais Leyna le connaissait déjà assez pour savoir qu'il ne faisait jamais rien au hasard. Il savait quelque chose sur cet homme, et il avait délibérément choisi de ne pas le partager avec elle.
Un jeu, lui avait-il dit.
Et un jeu, il fallait bien en apprendre les règles avant d'y participer pleinement.
- Viens, dit Elias en posant légèrement sa main dans le creux de son dos.
Ce simple contact lui fit prendre conscience qu'ils avaient déjà attiré assez d'attention pour la soirée. En tant que nouveaux mariés, chaque mouvement était scruté, chaque expression disséquée. Leyna devait se montrer irréprochable.
Il l'entraîna vers un autre cercle d'invités, la forçant à laisser Adrian derrière elle. Mais même en souriant aux nouveaux visages, en échangeant des banalités sur la beauté du lieu et la réussite de l'événement, elle ne pouvait s'empêcher de sentir ce regard peser sur elle.
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Un peu plus tard dans la soirée, alors qu'elle profitait d'un instant de répit près d'une grande baie vitrée, un serveur s'approcha d'elle, un plateau en main.
- Un mot pour vous, Madame Blackwood.
Elle arqua un sourcil mais prit la petite carte glissée entre les verres de champagne.
"Il y a des vérités que même un nom ne peut cacher. – A.V."
Son cœur rata un battement.
Elle leva rapidement les yeux, cherchant à repérer Adrian dans la foule, mais il avait disparu.
Un frisson lui parcourut l'échine.
Elle était peut-être entrée dans un mariage arrangé, dans une famille où le pouvoir dictait tout, mais elle venait de comprendre que l'histoire était bien plus vaste que ce qu'on lui avait laissé entendre.
Et Adrian Vega venait de l'inviter à en découvrir les vérités cachées.
Elle serra la note entre ses doigts et prit une profonde inspiration.
Le jeu venait réellement de commencer.