Ma mère, Erya, se tenait près de la table, son regard de louve acéré fixant ma silhouette comme une proie. Ses yeux, d'un gris froid comme l'acier, lançaient des éclairs de colère contenue. Mon père, Kael, était en retrait, silencieux, une montagne de calme apparent, mais dont les mâchoires crispées trahissaient une tension insupportable.
- **Tu ne peux pas partir, Sélène,** siffla ma mère, sa voix tremblant d'une fureur qui menaçait d'éclater.
- **Je n'ai plus le choix,** répondis-je, le cœur serré mais la voix aussi ferme que je pouvais le supporter. « Tu sais pourquoi. Tu l'as vu. »
- **Non !** Elle avança d'un pas brusque, les poings serrés. « Ce n'est pas ainsi que les choses se règlent. La meute est ta famille. Tu ne l'abandonnes pas au premier obstacle. Nous t'avons préparée à être forte. À te battre pour ce qui est tien ! »
- **C'est justement ce que je fais.** Je baissai légèrement la tête, puis la redressai, les yeux brûlant d'émotions contradictoires. « Maman, je ne peux pas rester ici. Pas après... lui. »
L'évocation implicite de Ronan fit vaciller son masque de colère. Je vis une ombre de douleur passer dans ses yeux. Peut-être revoyait-elle ses propres échecs, ses propres blessures du passé. Mais son expression se durcit aussitôt.
- **Et donc tu préfères fuir comme une lâche ? Tu préfères... nous laisser ?** Sa voix se brisa presque sur les derniers mots, un éclat de vulnérabilité qu'elle n'aurait jamais voulu laisser transparaître.
- **Je ne vous laisse pas,** murmurai-je, les larmes menaçant de couler malgré moi. « Je cherche une nouvelle voie. Pour moi. Pour ce que je suis... »
Elle voulut répondre, mais Kael posa une main sur son épaule, un geste calme qui semblait contenir le tumulte de ses pensées.
- **Laisse-la parler, Erya,** dit-il doucement. Ses yeux bruns, pleins de sagesse et de tristesse, se posèrent sur moi. « Sélène, tu es ma fille. Ma fierté. Mais la meute... la famille... est-ce si facile à abandonner ? »
- **Papa... ce n'est pas facile. C'est la chose la plus dure que j'aie jamais faite.** Je me tournai vers lui, la voix pleine de sincérité. « Mais je ne peux plus vivre ici comme avant. Chaque pierre, chaque arbre me rappellera ce que j'ai perdu, ce qu'il m'a pris. »
- **Il ne t'a rien pris,** intervint sèchement Erya. « Ce que Ronan a fait ne t'enlève ni ta force ni ta valeur. »
- **Il m'a prise pour une idiote ! Il m'a piétinée devant tout le monde, et tu veux que je reste là à sourire comme si de rien n'était ?** La colère monta, remplaçant temporairement la douleur dans ma poitrine. « Il a choisi une alliance politique, pas un lien d'âme. Je ne peux pas me battre contre ça. »
Le silence retomba, lourd et chargé. Les souvenirs, eux, ne se taisaient pas. Je revoyais les nuits passées à écouter les histoires de Kael sur les grandes batailles de la meute, les matinées où Erya m'entraînait avec une rigueur impitoyable. La chaleur de leur présence, les rires volés sous la pleine lune.
- **Tu es ma fille,** dit Kael enfin, sa voix pleine de douceur et d'une gravité infinie. « Mais tu n'es pas seulement cela. Tu es toi-même. Si ta route t'appelle loin d'ici, alors... pars avec notre bénédiction. Mais pars en sachant que tu auras toujours un foyer ici. Toujours. »
Ma gorge se serra si fort que je ne pus répondre. Un simple hochement de tête suffit.
Erya détourna le regard, comme pour cacher ses émotions, mais je vis ses épaules se tendre davantage. « Si tu pars, tu ne seras plus protégée par la meute. Chaque pas que tu feras hors de ces terres sera un danger. Tu sais ce que cela signifie ? »
- **Oui.**
- **Et tu es prête ?**
Je pris une inspiration tremblante. « Je dois l'être. »
***
La forêt m'entourait de ses ombres profondes, chaque craquement de branche éveillant mes sens tendus à l'extrême. Le sac battait mon dos à mesure que je marchais, mais je ne ralentissais pas. L'air était froid, chargé des senteurs humides de la nuit. Je laissais derrière moi tout ce que j'avais connu, mais mon cœur, malgré la douleur, brûlait d'une nouvelle flamme : la liberté.
La lune, pleine et éclatante, me guidait comme un phare silencieux. J'avais toujours été liée à elle, ma force tirant sa puissance de ses phases changeantes. Mais maintenant, elle n'était plus une bénédiction, mais un rappel cruel des chaînes du destin que je cherchais à briser.
Chaque pas que je faisais loin du territoire de la Lune Obscure m'éloignait un peu plus des souvenirs d'enfance, des éclats de rire avec Myra, des leçons sévères mais aimantes d'Erya. Je serrai les poings, me promettant de ne pas regarder en arrière.
Le vent me porta des bruits au loin. Une voix grave. Un ricanement.
- **Ne te fatigue pas, elle n'ira pas loin.**
Je m'arrêtai net, mes sens aiguisés captant la menace. Des mercenaires humains. Leurs odeurs me parvinrent ensuite, mélange de sueur, de fer et de cuir vieilli.
- **Ce loup-là rapportera gros.**
Un frisson glacial parcourut mon échine. J'entendis les pas se rapprocher. Je glissai mes doigts sur la dague que j'avais attachée à ma ceinture. Une arme rudimentaire, mais efficace.
Ils surgirent de l'ombre, trois hommes aux sourires pleins de dents jaunies, des épées lourdes à la main.
- **Regardez-moi ça, une jolie petite fugitive,** murmura l'un d'eux en léchant ses lèvres.
- **Dégagez.** Ma voix était calme, mais mes yeux brillaient d'un éclat dangereux.
Ils éclatèrent de rire.
- **On dirait qu'elle a du mordant.**
- **Je vous ai prévenus.**
La première attaque fut rapide. Mais pas assez pour moi.
Je pivotai, esquivant l'épée qui sifflait dans l'air. Mon loup grondait en moi, mes griffes apparaissant alors que je frappai, lacérant le bras d'un des hommes. Son cri de douleur me donna une satisfaction brutale.
Le combat devint une danse mortelle, chaque mouvement rythmé par l'instinct et la rage. Le sang éclaboussa la terre humide. Je respirais fort, mais je restais debout.
Quand le dernier mercenaire s'écroula, je restai immobile, le souffle court, mes griffes tremblantes sous la lune. Ce n'était que le début.