Les jours suivants étaient étrangement suspendus. Chaque matin, lorsque j'arrivais au bureau, je ressentais cette même tension, cette même anticipation, comme si un secret était sur le point d'éclater entre moi et Adrien. Je m'efforçais de garder une façade professionnelle, de ne pas laisser transparaître ce trouble qui me tiraillait à chaque interaction. Mais à chaque instant, j'avais l'impression que quelque chose me frôlait sans que je puisse y échapper. Ses mots, son regard, ce léger sourire qu'il me lançait parfois quand nos chemins se croisaient dans le couloir, tout semblait chargé de sous-entendus. Je ne savais pas ce que cela signifiait, mais il était évident qu'il me testait d'une manière que je n'avais pas anticipée.
Je faisais de mon mieux pour me concentrer sur mon travail, m'enfonçant dans des rapports et des tâches administratives, mais chaque fois que je levais les yeux, je le trouvais là, quelque part dans mon champ de vision. Il n'était jamais aussi loin que je l'aurais souhaité. Et quand nos regards se croisaient, un frisson parcourait mon dos, je le sentais dans chaque fibre de mon être, une tension indéfinissable qui s'infiltrait entre nous, insidieuse et irrésistible.
Mais ce matin-là, alors que je triais des documents dans mon bureau, quelque chose me fit sursauter. La porte s'ouvrit doucement, et je n'eus pas besoin de lever les yeux pour savoir qui se tenait dans l'encadrement. C'était Adrien, bien sûr. Il entra sans un mot, fermant derrière lui, et la pièce sembla se resserrer autour de nous, comme si tout l'univers se concentrant sur ce moment précis.
"Charnelle," dit-il d'une voix calme, mais teintée de cette même gravité que la dernière fois. Cette fois, il n'était pas simplement là pour me confier une tâche. Non, il y avait quelque chose de plus dans l'air. Une sorte de lourdeur palpable qui m'écrasait presque.
Je me redressai rapidement, essayant de dissimuler le tumulte de mes pensées. "Oui, Monsieur Moreau ?"
Il s'avança d'un pas, son regard toujours aussi perçant, et s'arrêta juste devant moi, à une distance qui aurait dû me paraître trop proche, mais que je n'osais pas remettre en question. "Je t'ai observée ces derniers jours, Charnelle," commença-t-il, les mots se glissant lentement de ses lèvres. "Il y a quelque chose dans ton attitude, dans la manière dont tu te comportes. Une sorte de... distance qui a disparu. Tu n'es plus la même. Et cela m'intéresse."
Je sentis mon cœur s'emballer, et une chaleur inattendue monta en moi. Il n'était pas en train de me parler de mon travail, ni de la manière dont je gérais mes tâches. Non, il parlait de moi. De ce que j'étais, de ce que je devenais en sa présence. Un malaise s'empara de moi. Que voulait-il exactement ? Pourquoi parlait-il ainsi ?
"Je... je ne comprends pas ce que vous voulez dire," répondis-je, ma voix légèrement tremblante. Je tentais de paraître calme, mais au fond de moi, une multitude de questions se bousculaient. Pourquoi ce besoin de s'immiscer dans ma vie personnelle ? Pourquoi cette analyse, ce besoin de me comprendre ? Il n'avait jamais été aussi direct, jamais aussi intrusif.
Adrien resta silencieux un instant, son regard ne quittant pas le mien, presque à la recherche de ma réaction. Puis il soupira légèrement, comme s'il savait exactement ce qui se passait dans mon esprit, mais qu'il attendait que je l'admette moi-même. "Je ne veux pas te mettre mal à l'aise, Charnelle," dit-il enfin, sa voix devenant plus douce, presque compréhensive. "Mais il y a quelque chose entre nous, une sorte d'élément non dit. Et je crois qu'il est temps de le reconnaître."
Ses mots m'assaillirent comme une vague, emportant tout sur leur passage. Un frisson glacial parcourut ma peau. Mon cœur battait plus fort, comme s'il était sur le point de sortir de ma poitrine. Une pression étrange s'installa dans la pièce, et je me sentis prise au piège de ses paroles. Une sorte d'angoisse douce, mais constante, m'envahit. Je voulais détourner les yeux, fuir, mais ses prunelles m'ancraient, me retenaient là, immobile.
Je n'avais aucune réponse. Aucune défense à lui opposer. Tout ce que je pouvais faire, c'était encaisser ses mots, comme une pluie froide et implacable. Je voulais répondre, lui dire que ce n'était qu'une simple projection, une interprétation erronée de ses observations. Mais rien ne sortit de ma bouche. Tout ce que je ressentais, c'était ce poids, cette pression, ce vertige.
Il s'approcha un peu plus, d'un pas mesuré, lent, presque calculé. J'aurais dû reculer, m'éloigner. Mais je ne bougeai pas, fascinée, paralysée. "Je sais que tu ressens cette tension, Charnelle. Et je sais que tu n'as pas envie de l'admettre. Mais c'est là, entre nous. Et je suis prêt à l'explorer si tu l'es aussi."
Ses mots résonnaient dans ma tête, encore et encore, comme un écho. Il parlait ouvertement de ce qui se tissait entre nous. De cette attraction que j'essayais de repousser, de cette ligne que je tentais de maintenir intacte. Mais tout devenait flou. Chaque pensée, chaque raisonnement, se dissipait au contact de sa voix, de sa proximité.
"Je... je ne sais pas de quoi vous parlez," parvins-je à articuler, ma voix saccadée, tremblante. Je n'étais pas certaine de ce que je voulais dire, ni de ce que je devais ressentir. Une part de moi voulait m'éloigner de lui, remettre de la distance, tout remettre à sa place. Mais une autre partie, plus cachée, plus intime, m'invitait à céder, à explorer cette frontière floue, à me perdre dans ce qui semblait inévitable.
Adrien sembla lire dans mes pensées. Il n'eut même pas besoin de répondre. Il se contenta de me fixer, un sourire presque imperceptible sur ses lèvres. Puis il se redressa légèrement, rompant le contact visuel. "Réfléchis, Charnelle. Je sais que tu sais de quoi je parle. Nous avons tous les deux le temps de laisser cette situation évoluer à son propre rythme."
Je n'eus pas le temps de réagir, car il tourna les talons, quittant mon bureau aussi silencieusement qu'il y était entré. La porte se referma doucement derrière lui, me laissant seule, plongée dans un tourbillon de pensées contradictoires. J'étais déstabilisée, confuse, mais en même temps, il y avait cette lueur d'excitation qui persistait, cette tension palpable qui ne voulait pas me quitter. Quelque chose venait de basculer. Et je ne savais plus si j'avais encore le contrôle de ce qui allait suivre.
Le silence de la pièce m'entourait, lourd, lourd de tout ce que je venais d'entendre. Je n'arrivais pas à trouver mes mots. Ce qu'il avait dit résonnait dans ma tête, et je savais, au fond de moi, que cela marquait le début de quelque chose que je ne pouvais pas ignorer. Une frontière entre ce qui était permis et ce qui ne l'était pas venait d'être franchie. Et la question qui me hantait maintenant, c'était de savoir si je serais capable de la repousser, ou si j'allais y céder, sans même m'en rendre compte.