Chapitre 5 No.5

Le repas se déroule, somme toute, assez agréablement grâce à la gaieté naturelle de Natacha. Elle alimente à elle seule la conversation. Diego, quant à lui, n'est pas très bavard et Guillaume daigne à peine décrocher les mâchoires de temps à autre. Le dessert ne leur a pas été encore servi que le jeune homme se lève.

- Si vous voulez bien m'excuser, je ne me sens pas très bien, j'ai une de ces migraines, sûrement le vin blanc. Je vais aller me coucher...

Natacha l'interrompt :

- Mais tu ne prends pas ton dessert ? Tu adores la tarte chaude au chocolat pourtant.

- Tant pis pour la tarte, je me sens vraiment trop mal pour rester.

- Le pauvre, se dit Natacha, c'est la compagnie de Diego qu'il n'a pas digéré.

- C'est dommage que vous partiez si tôt, dit Diego poliment.

- Oh, mais que ça ne vous gâche pas la soirée, continuez sans moi. Je vais aller régler mon repas.

Il leur adresse un signe de la main et quitte la salle sans leur laisser le temps de lui répondre.

- Je crois que quelque chose ne lui a pas plu à votre ami.

- Bah, ça lui passera. Je le connais bien, il n'est pas rancunier et puis après tout, je n'ai rien fait de mal, non ?

- Vous non, mais moi j'ai gâché votre tête à tête.

- Mais non, vous savez, Guillaume n'est pas mon petit ami, c'est juste un copain. Vous voyez, vous n'avez rien gâché du tout, ce n'était pas un dîner en amoureux.

- C'est vous qui le dites, parce que Guillaume avait l'air de penser tout autrement.

- Écoutez, je l'aime bien mais peu importe ce qu'il pensait.

Et elle ajoute en le fixant de ses yeux pétillants :

- Et puis, je suis très heureuse de passer cette soirée avec vous. Au fait, je ne vous ai pas encore demandé, où en êtes-vous de vos recherches ?

- Je piétine, je n'ai aucune piste.

- J'avoue que lorsque vous m'avez dit que vous recherchiez un de vos collègues, je n'ai pas très bien compris. Vous l'avez perdu de vue ou bien il a disparu subitement ?

- Eh bien, il y a quinze jours, il ne s'est pas présenté au centre de recherches et depuis nous n'avons plus aucune nouvelle.

- Vous n'auriez pas une photo de lui par hasard.

- Euh, non, pourquoi ?

- Laissez tomber, c'est pas grave.

- Ah, c'est vrai, j'oubliais que vous êtes voyante, ment Diego. Vous faites de la voyance par flashes ?

- Oui, tout dépend, répond Natacha mystérieusement. Je voulais simplement essayer de vous aider.

- J'ai peut-être une idée, si je pense à lui et le visualise, serez-vous capable de lire dans mes pensées et capter son image en quelque sorte ?

- Qu'est-ce qu'il me raconte, lui ? J'ai des flashes certes, mais de là à lire les pensées des gens, il y a un pas, se dit Natacha qui a vraiment du mal à cerner ce Diego.

Et tout haut :

- Vous savez, même s'il m'arrive parfois de savoir ce que va dire une personne avant qu'elle ait prononcé un seul mot, je ne me qualifierais pas de « liseuse de pensée », répond Natacha en riant.

Voyant la mine déçue de Diego, elle poursuit :

- Mais bien sûr, je suis prête à tenter toute nouvelle expérience dans ce domaine. Vous voulez qu'on essaie ? Ne faites pas cette tête-là, je suis sûre qu'il n'est pas mort votre copain.

C'est vrai que Diego, comme tous les habitants de Juma, n'est pas très prompt à la rigolade. Là-bas, pas d'imagination, pas de fantaisie, pas de romantisme et surtout pas d'humour. Chacun sait ce qu'il doit faire, comment il doit le faire, toujours dans le calme, la tolérance, et les Terriens ajouteraient : l'ennui. Le fait d'être tombé sur une fille comme Natacha lui démontre encore davantage que Terriens et Jumariens n'ont vraiment pas les mêmes caractéristiques mentales. Mais il doit bien l'avouer, ce n'est pas pour lui déplaire. Il adore la façon dont cette jeune femme parle, rit, sa spontanéité le surprend. Les nouvelles sensations qu'il éprouve en la regardant lui feraient presque oublier les femmes de Juma.

- Rassurez-vous, je ne pense pas non plus qu'il soit mort. En tout cas, c'est gentil de vouloir essayer.

- Je dois vous demander une chose quand même. Est-ce que cela vous ennuierait de me donner la main.

Diego la regarde, surpris. Décidément, il n'a pas assez bien étudié les « procédures » utilisées par les médiums Terriens. Natacha se met à rire :

- Mais non, je ne vous fais pas des avances, je veux juste me mettre en condition pour essayer de voir quelque chose.

- Oh mais j'avais bien compris, réplique Diego, en tentant de sourire.

Et il tend sa main à Natacha

- Pensez à lui maintenant, s'il vous plaît.

Diego n'a aucun mal à se concentrer, question d'habitude. Il essaie en même temps de capter les pensées de Natacha. Quelques minutes plus tard, la jeune femme lui lâche la main

- Alors ?

- D'abord, il faut que je sache quelque chose. Votre copain, comment s'appelle-t-il, au fait ?

- Moïse.

- Donc Moïse est-il malade, enfin, je veux dire, est-ce qu'il est soigné pour une maladie comme le cancer, par exemple ?

- Pourquoi me demandez-vous ça, vous l'avez vu, je vous ai transmis quelque chose ?

- Euh je crois que vous m'avez transmis quelque chose mais l'homme que j'ai vu n'avait ni cheveux, ni sourcils et paraissait amaigri. Enfin, il n'avait pas bonne mine, quoi.

Diego est plus que satisfait. Il ne s'est pas trompé, cette fille possède toutes les qualités recherchées par les Anciens et ses facultés vont peut-être l'aider à retrouver Moïse.

- En fait non, mon collègue n'est pas malade. Il a eu une maladie effectivement, il y a longtemps et son système pileux s'en est trouvé détérioré. Mais la dernière fois que je l'ai vu, il se portait très bien.

- Vous allez dire que je suis folle, mais j'ai toujours cette impression que vous cherchez à savoir des choses sur moi.

- On cherche toujours à en savoir plus sur son interlocuteur, il n'y a là rien d'exceptionnel, je crois.

- Oui, je suis d'accord, mais là, la différence, c'est que vous semblez chercher quelque chose mais pas pour votre compte, vous voyez ce que je veux dire

- Ça alors, se dit Diego, elle est beaucoup plus forte que je ne le pensais. Dans le fond, tant mieux. Mais il ne faudrait surtout pas que je l'effraie

- Il est quand même bizarre ce type. Il y a quelque chose qui ne cadre pas chez lui, se dit Natacha en continuant de fixer Diego. Une chose est sûre son étrange comportement n'est pas dû à la l'alcool, il n'en a pas bu une goutte.

Moïse est affalé sur son canapé, il n'aurait jamais dû boire tout cet alcool. Quand il avait été invité au « pot d'adieu » suivi d'un repas qu'organisait un de ses collègues, il s'était senti tellement heureux, c'était pour lui le commencement de l'intégration. Or, une fois là-bas, il n'avait pratiquement parlé à personne. En revanche, on lui avait offert à boire et il avait bu beaucoup et n'importe quoi. Depuis son arrivée sur Terre, pour la première fois, il buvait de l'alcool. L'alcool, il se demandait pourquoi les Terriens aimaient tellement ça, c'est la raison pour laquelle il avait voulu y goûter à son tour. Mais apparemment, les effets de ce liquide, sur lui, s'étaient trouvés décuplés. Est-ce parce que depuis son arrivée sur Terre il ne prend plus la pilule bleue que chaque habitant de Juma avale docilement chaque matin ? Cette mystérieuse pilule dont personne, là-bas, ne connaît les effets ni même l'utilité, mais que tout le monde ingurgite sans se poser de question. Moïse se dit qu'un Terrien et à plus forte raison, un Français n'aurait jamais consenti à la prendre sans explication. En tous les cas, si les Anciens ne l'avaient pas mise dans ses bagages, c'est qu'ils avaient une raison.