Chapitre 4 No.4

Pris d'une impulsion soudaine, il décide d'entrer dans la cathédrale. C'est la première fois qu'il le fait depuis son arrivée. Lorsqu'il en franchit le seuil, il est saisi tout d'abord par la différence de température avec l'extérieur. En effet, en regard de la chaleur étouffante qui règne en ville, l'intérieur de l'église est un havre de fraîcheur

- Comme c'est sombre ici.

Il porte un regard étonné sur les vitraux, puis ses yeux se posent sur le chœur.

- C'est vraiment bizarre, je me demande pourquoi ils ont besoin de toutes ces fioritures, tout cet apparat inutile.

Il avance d'un pas lent le long de la travée centrale et se dirige vers l'autel. Après avoir gravi trois marches, il se rapproche de celui-ci et, alors qu'il pose ses deux mains à plat sur le tissu qui le recouvre, sent une main lui toucher l'épaule. Il se retourne brusquement et se trouve face un homme de taille moyenne vêtu d'une veste sombre, qui arbore une petite croix d'or au revers de celle-ci.

- Que faites-vous ? demande sèchement l'homme que Moïse suppose être à juste titre un prêtre ou un autre membre du clergé.

- Bonjour monsieur, je euh je visite l'église, répond Moïse décontenancé.

- Je comprends. Mais vous savez qu'habituellement les visiteurs ne sont pas censés venir poser leurs mains sur l'autel. Si vous souhaitez vous recueillir, il y a des bancs et des prie-Dieu un peu partout dans la cathédrale.

- Vous êtes prêtre sans doute ?

- On ne peut rien vous cacher. Je suis effectivement le curé de cette paroisse.

- Eh bien, se dit Moïse, je n'aimerais pas être un de ses paroissiens. C'est donc ça le clergé ? On ne peut pas dire que l'on soit très bien accueilli dans la maison de leur Dieu

Et tout haut :

- Bon et bien, je vais vous laisser, je suis heureux d'avoir pu admirer votre église malgré tout.

- C'est la première fois que je vous vois, je crois. Vous devriez venir assister à une messe, je pense que cela vous apporterez quelque réconfort, dit le prêtre en observant Moïse avec un regard empreint d'une compassion qu'il n'a pourtant pas l'air d'éprouver réellement.

- Ah, ça y est, pense Moïse, il doit s'imaginer que je suis atteint d'une maladie grave, parce que je suis maigre et que je n'ai ni cheveux ni sourcils. Je l'ai bien vu dans son regard. Malgré tout, il n'avait pas l'air très sincère. Je déteste ce genre de personne. Qu'est-ce qu'il croyait ? Que j'allais le lui voler son autel ? Pourtant, il a l'air d'oublier qu'à une époque, ce sont des hommes d'Église qui ont détruit les idoles des descendants du peuple Maya.

S'apercevant soudain que le prêtre est en train de le fixer bizarrement, Moïse se dit qu'il vaut mieux qu'il quitte ce lieu qui lui inspire tout sauf l'amour d'un quelconque dieu. Le prêtre le voyant se diriger vers la sortie l'apostrophe :

- Attendez ! Vous ne pouvez pas partir comme ça.

- Et pourquoi donc, s'il vous plaît ?

Le curé paraît un instant décontenancé mais se ressaisit bien vite :

- Eh bien, je voudrais m'excuser pour tout à l'heure. Je ne voulais pas être désagréable avec vous, mais vous comprenez, je me méfie, il y a déjà eu des actes de vandalisme ici.

- Je vois, je comprends mieux maintenant, mais quoi qu'il en soit, je dois tout de même m'en aller.

- Au revoir alors, revenez quand vous voudrez.

- Au revoir, répond Moïse, en repoussant la lourde porte.

La chaleur du dehors le surprend et quelques instants plus tard, des gouttes de sueur perlent déjà à son front. Il est déçu. En fait, tout le déçoit : les Terriens, leur mode de vie, et maintenant leur Église. Il se demande ce qu'il fait là. S'il le pouvait, il quitterait cette Terre immédiatement. Mais malheureusement, même s'il a jeté son capteur d'ondes vibratoires, il ne peut se résoudre pour autant à abandonner sa mission.

- Enfin, pour l'instant, se dit-il, en s'essuyant le front avec un mouchoir en papier.

Et ses pas le ramènent vers le jardin public tandis qu'il se demande encore si un Jumarien est vraiment capable de cohabiter avec un Terrien, et un religieux de surcroît.

Natacha est dans sa salle de bain, c'est samedi et ce soir Guillaume l'emmène au restaurant. Ce n'est ni son petit ami, ni particulièrement son type d'homme, mais plutôt que de rester à la maison regarder la télévision. Et puis, elle a surtout envie de se faire belle pour quelqu'un, vérifier si son potentiel de séduction est toujours intact. Même si elle n'est âgée que de vingt-cinq ans, elle a eu pas mal de petits amis déjà. Mais depuis qu'elle a rompu avec le dernier en date, six mois plus tôt, elle mène une vie quasi monacale. Il faut dire que son travail la passionne et la monopolise tellement qu'elle en oublierait presque qu'il y a une vie en dehors de la voyance. Enfin, c'était quand même un de ses « flashes » qui lui avaient permis de savoir que son ex-petit ami la trompait. Aussi, depuis, elle n'accorde plus sa confiance aussi facilement.

- Hum, voyons, si j'attache mes cheveux ?

Après s'être regardée dans le miroir, elle décide de les relever et les enserre dans une grosse pince. Elle laisse s'échapper volontairement une fine mèche qui vient frôler le coin externe de son œil droit

- Bon, je crois que ça ira. Il ne me reste plus qu'à me maquiller.

Une touche de fond de teint doré, un peu de mascara sur les cils, du rouge à lèvres couleur abricot, et voilà Natacha fin prête. Elle se contemple une dernière fois dans le miroir et, satisfaite de son image, gagne sa chambre pour attraper des chaussures. Elle opte pour des sandales à lanières dorées qui se nouent à la cheville et mettent en valeur ses belles jambes bronzées.

- J'ai bien fait de me mettre en robe, se dit-elle, Guillaume va être surpris de me voir autrement qu'en jeans.

Mais déjà, la sonnette de l'entrée retentit.

- Entre Guillaume, je suis prête

Le jeune homme émet un sifflement admiratif lorsqu'il franchit le seuil de la porte et aperçoit Natacha.

- Salut Nat, dit-il en l'embrassant sur les deux joues, tu devrais te mettre en robe plus souvent, tu es ravissante.

- Merci, quel flatteur tu fais. Bon, on y va ?

Vingt minutes plus tard, ils sont déjà attablés dans le restaurant de poissons choisi par Natacha.

- Il y a très longtemps que je n'étais pas revenue ici, j'adore cet endroit, tous ces aquariums, les filets de pêche et les bougies sur les tables et puis c'est climatisé, termine-t-elle en riant.

Mais, à peine a-t-elle fini sa phrase que la porte d'entrée s'ouvre brusquement livrant le passage à un bel homme brun d'une trentaine d'années.

- Tu as vu un revenant ou quoi ? lui demande Guillaume qui, de sa place, ne peut voir l'entrée.

Natacha a ressenti comme une décharge électrique. Elle ne rêve pas, c'est bien le type qu'elle a rencontré hier à la bibliothèque. Elle ne saurait dire si elle est heureuse de le revoir ou si son arrivée la met mal à l'aise.

- Euh, non pas du tout. Je viens de voir un homme que j'ai rencontré hier à la bibliothèque. Je n'aurais jamais pensé le voir ici.

Diego se dirige de leur côté. Depuis la veille qu'il espionne la jeune femme, il va enfin pouvoir l'aborder à nouveau. Quand il passe près de leur table, Natacha ne peut s'empêcher de l'interpeller.

- Diego ?

Il se tourne vers la jeune femme et lui sourit.

- Ça alors, Natacha ! Quelle coïncidence ! dit-il d'un ton qui sonne faux à l'oreille de la jeune femme.

- Apparemment, vous connaissez déjà les bons restaurants, lui fait-elle remarquer.

- Non, en fait, je ne le connais pas, on me l'a juste conseillé. Eh bien, écoutez, je vais vous laisser dîner. Bonne soirée.

- Vous êtes seul ?

- Oui, pourquoi.

- Eh bien, si vous voulez, vous pouvez vous joindre à nous, lance-t-elle sans réfléchir, ignorant le regard noir que lui lance Guillaume.

- C'est que, je ne voudrais pas vous déranger.

- Oh, mais pas du tout, n'est-ce pas Guillaume ?

- Si tu le dis, répond sèchement ce dernier.

- On va appeler le serveur, notre table est grande de toute façon et puis nous n'avions pas encore commandé.

- Bon, puisque vous insistez, c'est d'accord. C'est très gentil en tout cas.

Guillaume est furieux et a du mal à cacher sa contrariété. Pour une fois qu'il allait avoir l'occasion de passer une soirée entière seul à seul avec Natacha, voilà que ce type venait fiche tous ses plans en l'air. Natacha remarquant son air renfrogné lui fait les gros yeux. C'est vrai qu'elle n'aurait peut-être pas dû proposer à Diego de se joindre à eux, c'est un fait, mais comme d'habitude, elle n'avait pas su modérer son impulsivité.

- Après tout, se dit-elle, je ne suis pas mariée ni même fiancée à Guillaume, c'est un copain, c'est tout.