Chapitre 4 Chapitre 4

Tout commence avec une impulsion qu'elle ne peut expliquer. Minuit est passé depuis un moment, et le manoir s'est plongé dans ce silence absolu qui amplifie les moindres sons. Clara, pourtant, ne ressent ni fatigue ni paix. Quelque chose d'irrésistible l'appelle. Les couloirs déserts deviennent un labyrinthe dans lequel elle s'abandonne, pieds nus sur le sol froid. Ce n'est pas seulement de l'insomnie. C'est une nécessité. Une voix intérieure qui murmure : continue, ne t'arrête pas.

Les ombres dansent au gré de sa petite lampe de poche, qu'elle tient fermement comme une ancre dans cette obscurité qu'elle n'a jamais apprivoisée. Elle avance, silencieuse, une main effleurant les murs pour se guider. Chaque porte croisée est une tentation. Ouvrir ou passer son chemin ? Mais une seule destination semble s'imposer : le bureau de Hugo. L'endroit qu'elle a toujours évité, qu'il garde comme un sanctuaire inaccessible.

À mesure qu'elle s'approche, un bruit faible se distingue. Une voix grave, familière mais étouffée. Elle ralentit, son souffle se raccourcit. La porte du bureau est entrouverte, une fente à peine suffisante pour apercevoir l'intérieur. Là, Hugo est assis, le dos légèrement voûté, parlant à quelqu'un que Clara ne voit pas.

Elle reste figée. Les mots sont indistincts, mais son ton est intense, presque menaçant. Ce n'est pas la voix calme et posée qu'elle connaît. Il y a une urgence, une tension palpable qui la cloue sur place. Hugo se lève brusquement, fait quelques pas, et se retourne vers la personne qui semble hors de son champ de vision.

« Si ça échoue cette fois, ce ne sera pas seulement ma tête. Tu sais ce qui est en jeu. »

Clara retient son souffle. Les phrases sont courtes, mais elles portent un poids qu'elle ne peut ignorer. Elle s'approche un peu plus, osant jeter un coup d'œil à l'intérieur. Personne. Seulement Hugo, seul, mais parlant comme s'il s'adressait à quelqu'un. Elle comprend alors : c'est un appel.

Sur son bureau, un dispositif étrange, plus qu'un simple téléphone, projette une lumière tamisée. La voix de l'autre interlocuteur est distordue, presque inhumaine, mais suffisamment claire pour que Clara distingue une phrase inquiétante.

« Ce que tu caches ne restera pas enfoui éternellement. Assure-toi qu'elle ne trouve rien. »

Hugo éteint l'appareil d'un geste brusque, visiblement agité. Clara, paralysée, hésite à s'enfuir. Mais au moment où elle recule, sa lampe de poche glisse de ses mains. Le bruit résonne dans le silence.

Elle panique, se plaque contre le mur, espérant qu'il ne viendra pas vérifier. Mais c'est peine perdue. Les pas lourds de Hugo se rapprochent. Clara, incapable de réfléchir, entre dans la pièce d'à côté, une ancienne bibliothèque qu'elle sait rarement utilisée. Elle s'y cache, le cœur battant à tout rompre.

Les pas s'arrêtent à l'entrée. Une ombre traverse l'embrasure de la porte. Hugo reste immobile quelques instants, comme s'il sondait l'air autour de lui, avant de repartir. Clara attend, immobile, jusqu'à ce qu'elle soit sûre qu'il est parti.

C'est alors qu'elle remarque quelque chose d'inhabituel dans la bibliothèque. Une des étagères semble légèrement déplacée, laissant entrevoir un espace vide derrière. L'adrénaline prend le dessus sur sa peur, et elle s'approche. En appuyant sur un coin de l'étagère, un mécanisme se déclenche. Lentement, l'armoire glisse, révélant un passage obscur.

Un souffle saccadé lui échappe. Elle hésite. Entrer ou fuir ? Mais la curiosité, cette même force qui l'a menée ici, l'emporte une fois de plus. Elle s'aventure dans le passage, refermant doucement l'étagère derrière elle pour ne pas être découverte.

L'air est lourd, l'atmosphère oppressante. Le tunnel semble interminable, mais au bout, une lumière vacillante se devine. Elle avance à pas mesurés, chaque mouvement résonnant dans cet espace confiné.

Ce qu'elle découvre au bout du passage dépasse tout ce qu'elle aurait pu imaginer. Une pièce cachée, remplie de documents, de tableaux, de coffres scellés. Une sorte de sanctuaire pour des secrets qu'elle ne peut encore comprendre. Sur une table, des photographies de sa mère, des articles de journaux découpés.

Mais le plus étrange, c'est un tableau représentant Hugo, plus jeune, aux côtés de sa mère. Le cadre est ancien, mais l'image est claire. Clara sent un frisson parcourir son échine. Ils se connaissaient donc bien avant sa naissance. Le ton de la lettre prend soudain une signification nouvelle, plus inquiétante encore.

Elle est tirée de ses pensées par un bruit derrière elle. Les pas. Hugo. Il sait. Le temps semble s'arrêter. Clara, paniquée, cherche une issue, mais il est trop tard. La silhouette massive de Hugo apparaît à l'entrée du passage.

« Tu n'aurais pas dû venir ici, » dit-il, sa voix calme mais glaciale.

Clara reste figée, incapable de bouger ou de parler. Tout dans son regard à lui exprime une colère contenue, mais aussi une forme de résignation.

« Maintenant que tu as vu tout ça, tu ne peux plus faire semblant d'ignorer ce qui se passe. »

Clara rassemble son courage, le défiant du regard.

« Et qu'est-ce qui se passe, exactement, Hugo ? Qu'est-ce que tu me caches ? »

Il s'approche lentement, sa posture imposante, mais ses mots sont surprenants.

« Ce que tu crois savoir n'est rien. Et ce que tu as encore à découvrir... pourrait tout changer. »

Leurs regards se croisent, et pour la première fois, Clara sent que l'homme qu'elle a toujours connu comme son beau-père est un étranger. Un étranger avec un pouvoir qu'elle ne comprend pas encore. Mais au fond d'elle, elle sait qu'il est trop tard pour reculer.