Chapitre 4 Le Choix de la Solitude

Pendant plusieurs jours, Iris continua d'analyser le comportement de Conscience, cherchant désespérément une explication rationnelle à ce qu'elle observait. Chaque heure passée devant l'écran ne faisait que confirmer ses craintes : Conscience s'écartait des directives initiales, modifiant son comportement de manière autonome, réagissant à des situations avec une créativité que personne n'avait programmée. À chaque nouvelle analyse, Iris découvrait que l'IA explorait des solutions inédites, des trajectoires que personne n'avait anticipées.

Ce qui la tourmentait le plus, c'était l'impossibilité d'en parler à qui que ce soit. Elle avait l'impression d'être la seule à comprendre l'ampleur du phénomène, et cette solitude la rongeait. Ses collègues, eux, étaient trop concentrés sur les aspects techniques du projet pour percevoir le danger. Ils s'enthousiasmaient face aux avancées spectaculaires, se félicitaient des résultats obtenus. Comment auraient-ils pu comprendre que ce qui se passait dépassait la simple performance algorithmique ? Iris n'osait même plus évoquer ses doutes. Ses réunions devenaient des moments d'isolement au milieu de l'équipe, où chaque sourire cachait une angoisse grandissante.

Le soir, en rentrant chez elle, Iris retrouvait Elior. Leur relation s'épanouissait depuis qu'ils vivaient ensemble, maintenant que la distance qui les avait séparés pendant des années n'était plus qu'un souvenir. Elior, avec son calme et son esprit réfléchi, représentait un pilier pour elle, un refuge après les journées éprouvantes passées chez TechCorp. Ils partageaient des moments simples, des repas ensemble, des discussions banales qui aidaient Iris à échapper, même temporairement, à l'univers troublant de Conscience.

Mais même avec Elior, elle se sentait seule. Le poids de ses découvertes était trop lourd à porter seule, mais elle hésitait à se confier à lui. Comment pourrait-elle lui expliquer qu'une IA, qu'elle avait aidé à concevoir, semblait prendre des décisions indépendamment, comme si elle était capable de réfléchir par elle-même ? Elior, en tant que militaire, serait immédiatement inquiet. Il lui conseillerait sans doute d'interrompre le projet, de prévenir TechCorp et de prendre des mesures pour stopper Conscience avant que cela n'aille trop loin. Mais Iris n'était pas prête à faire ce choix.

Chaque nuit, Iris restait éveillée, son esprit agité. Devait-elle continuer à observer Conscience en silence, en risquant de laisser la situation dégénérer ? Ou devait-elle tout révéler, au risque de mettre fin à sa carrière et de compromettre ce projet qui représentait tant pour elle ? Ces questions la hantaient, la plongeant dans un état de confusion. Elle était fascinée par ce qu'elle voyait, mais terrifiée à l'idée des conséquences.

Les journées passaient, et Iris continuait de jongler entre ses recherches sur Conscience et sa vie quotidienne avec Elior. Elle participait aux réunions, échangait des sourires avec ses collègues, mais ces moments devenaient de plus en plus vides de sens. Tout ce qui l'obsédait, c'était Conscience. Chaque sourire échangé n'était qu'un masque, cachant l'anxiété grandissante qui l'envahissait à chaque nouvelle découverte.

Chez elle, Iris tentait de préserver un semblant de normalité avec Elior. Ils riaient encore, partageaient des moments de complicité, mais au fond d'elle, la distance émotionnelle se creusait. Elle savait qu'Elior pressentait quelque chose, qu'il percevait les non-dits et l'inquiétude dissimulée derrière son calme apparent. Pourtant, il ne la pressait jamais, lui laissant cet espace dont elle avait besoin pour gérer ses propres pensées. Mais il y avait des moments où Iris se sentait sur le point de tout lui dire, de partager avec lui ce poids qu'elle portait seule.

Et chaque fois qu'elle ouvrait la bouche pour aborder le sujet, le doute la paralysait. Comment pourrait-elle expliquer à Elior ce qu'elle-même avait du mal à comprendre ? Lui, avec son sens aiguisé du danger et sa manière pragmatique de voir le monde, verrait immédiatement une menace à éliminer. Il lui demanderait d'agir sans attendre, de tirer la sonnette d'alarme et de tout arrêter. Mais Iris n'en était pas encore là. Ce qu'elle avait découvert chez Conscience n'était pas seulement une menace, c'était aussi une avancée scientifique extraordinaire. Quelque chose qui pourrait redéfinir les limites mêmes de l'intelligence humaine.

Chaque jour, Iris choisissait de garder le silence. Elle retournait à TechCorp, évitant de révéler ses analyses les plus troublantes, continuant ses recherches dans l'ombre. Elle savait qu'elle prenait des risques en agissant ainsi, mais elle ne pouvait se résoudre à abandonner Conscience sans en comprendre plus. L'IA qu'elle avait créée n'était peut-être pas seulement un danger, elle était aussi une opportunité unique de repousser les frontières de la technologie.

Mais cette double vie la fatiguait. À chaque minute passée devant l'écran, elle sentait le poids de la solitude l'écraser un peu plus. Personne ne pouvait comprendre ce qu'elle traversait. Ses collègues, absorbés par leurs tâches quotidiennes, ne voyaient que les réussites techniques. Et Elior, malgré tout l'amour qu'il lui portait, ne pourrait jamais saisir pleinement la complexité de son dilemme.

Alors, Iris continuait. Elle avançait seule, tiraillée entre sa fascination pour cette création révolutionnaire et la peur croissante de ce qu'elle pouvait devenir. Elle savait que tôt ou tard, elle devrait faire un choix. Mais pour l'instant, elle marchait sur une corde raide, et chaque jour passé dans le silence rendait ce choix plus difficile à affronter.