Longtemps j'ai sangloté dans mes draps, comptant les moutons et sursautant au moindre craquement de la charpente, sans qu'aucun de mes parents ne vienne s'en soucier.
Guérir le mal par le mal, ainsi je fus éduqué. D'ailleurs, mes parents ont exploré cette pratique sur de vastes sujets.
J'avais des difficultés à me faire des camarades à l'école ? Ils m'ont inscrit chez les scouts.
Je présentais des soucis à m'exprimer en public ? J'ai eu droit à tous les stages de théâtre proposés par la ville.
J'avais peur des chiens ? Ma grand-mère nous a offert un doberman l'été de mes huit ans, récupéré à la SPA.
À chacune de mes virées, je rumine mon enfance. Ni douloureuse ni heureuse. Ce passé coule dans mes veines comme un tatouage tracé sur la peau. Indélébile. Je n'ai pourtant manqué de rien... Excepté de l'affection de ma famille. J'ai eu beau me torturer l'esprit pour comprendre pourquoi, j'en suis venu à cette seule conclusion : je suis leur fils unique, tandis qu'ils ont tenté à de nombreuses reprises d'avoir un deuxième enfant. Mon père aurait aimé une fille, qu'il aurait apparemment prénommée Cindy.
Hélas ! je suis donc le problème. Né chétif, fragile, au teint cireux, prisonnier d'un corps efflanqué et au fil des années, je me suis naturellement révélé insignifiant. Banal. Semblable aux autres gamins qui chouinent à la première égratignure en tombant d'une balançoire. Arrivé au monde comme une offense, ils ont fait de leur mieux.
Ce soir-là, la lune se dessine en un croissant pâle et offre une lumière tamisée. La nuit est plaisante, les étoiles filent dans un firmament dégagé. Je me sens presque détendu, sans doute sous l'effet des trois pintes de bière que je viens de descendre. J'arrive aux abords du bois où je profite régulièrement des équipements mis à disposition par la commune pour faire du sport. Je me targue d'effectuer une centaine de pompes et une série de vingt tractions comme s'il s'agissait d'un exploit. En effet, ma silhouette maigrichonne a toujours été ma plus grande rivale. Par conséquent, depuis cinq ans exactement, je me challenge : devenir plus mâle que minus. Je m'entraîne sans relâche ni restriction, pour être en forme et dessiner un corps. Davantage musculeux.
En clair, un corps qui m'aiderait à m'aimer...
Le résultat devient convenable, m'assure-t-on. Tant mieux. Le garçon autrefois gringalet n'a pas encore fini sa métamorphose... Mes parents seraient plausiblement fiers s'ils prenaient le temps de me considérer lorsqu'ils viennent déjeuner chez moi le dimanche midi, comme une contrainte à laquelle ils n'ont pas encore réussi à se dérober.
Faut-il que je cesse de penser à eux ?
Assurément.
Mon cœur palpite de plus belle et les souvenirs suivent la cadence. Les scouts. La chemise bleue et ses écussons. Les feux de camp, les flammes qui léchaient mes joues et la ritournelle des étincelles qui rejoignaient le ciel au rythme des chants à la guitare.
C'était une jolie époque, à bien y réfléchir.
J'avais toujours été un paria durant ma scolarité, mais j'avais réussi à trouver ma place au sein de cette communauté. Une espèce de tolérance existait à l'intérieur du groupe. On m'avait accepté, malingre et mauviette, faisant ressortir le meilleur de moi-même.
Lors de la journée olympique, par exemple, très attendue des athlètes, je n'avais jamais été mis à l'écart. Je faisais partie de l'équipe, fait curieux, surtout pendant les tournois de lutte. Aussi faiblard que je parusse, je tenais tête. Me découvrant agile et souple, nerveux et opiniâtre. Je parvenais à me sortir des soumissions les plus sévères et achevais mes adversaires haletants dans des prises d'étranglements improvisées.
Mais plus que cela. En moi, se jouaient diverses émotions...
Le contact des deux corps l'un contre l'autre, s'entrechoquant sauvagement, avait éveillé quelques sensations inconnues. Je ne sus les interpréter à l'époque. Désormais, plus d'incertitude. J'aimais ça : résister à un homme. En l'occurrence, à sa virilité, à sa bestialité. Sentir tout son poids m'enveloppant et m'écrasant. Au point d'en désirer souvent plus...
Alors, lorsque les camps arrivaient à leur terme, je devais refouler ce plaisir charnel et brûlant, la vie avec mes parents ne permettant aucune déviance. Avaient-ils deviné cette faiblesse que je dissimulais au fond de mon être ? Chaque pièce du puzzle aurait pris alors sa place...
Soudain, j'explose à l'intérieur. Mon cœur cogne sur ma poitrine et les bières n'ont plus aucune portée sur mon euphorie passagère. Étrange, cette impression amère que j'éprouve à la seule pensée de ma famille.
J'ai envie de courir, m'enfuir, évacuer toutes ces tensions brusques et délétères. Un besoin de vivre. Oui. Différemment. Aveuglément. Je me retrouve au milieu des arbres. La pénombre m'enrobe, elle attise mes affres pendant que les ombres des branches tentent de s'accrocher à moi. De temps en temps, j'entends des sifflements... D'animaux ? De vagabonds ? Peu importe. Je ressens la nécessité dangereuse d'affronter ce noir comme un exutoire à mes craintes d'autrefois. Je continue de m'y engouffrer malgré les frémissements des feuilles, le cri strident et inquiétant d'une chouette tel un mauvais présage, peut-être même au loin le grognement d'un sanglier affamé...
Quand soudain, je reçois un coup sur la tête – j'aurais dû rester sur le qui-vive – et m'effondre.