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Résumé

Quatre hommes, que tout oppose, se réveillent dans un milieu hostile. Que font-ils là ? Qui les a piégés ? Ils devront dès lors lutter pour leur survie et vaincre leur propre noirceur. Quelles limites seront-ils prêts à franchir pour sauver leur peau ?

Chapitre 1 Jo

Mon verre de vin, un pessac-léognan d'un délicat rouge rubis, est toujours à portée de main. Quand je ne suis pas au travail, je bois. Pas au point de m'en rendre malade, bien entendu, mais assez pour me sentir bien. Oublier tous ces papillons noirs qui agitent parfois le creux de mon ventre... « L'alcool pâlit beaucoup de maux », m'a-t-on répété, tout gosse, tandis que ma mère rentrait saoule de ses fêtes sans modération entre copines.

Fils unique, j'ai appris à me débrouiller seul rapidement. À l'âge de neuf ans, plus personne ne m'accompagnait à l'école. Même le premier jour de la rentrée. À treize, je me préparais le dîner, mangeais et passais des soirées devant des jeux vidéo de type survival horror, attendant patiemment le retour de ma mère. Elle rentrait souvent tard, encore plus pintée que la veille. Mon cocon n'avait rien de familial. À seize, j'ai pris mon indépendance grâce à mon premier job : peintre en bâtiment. Je louais alors un studio dans les combles aménagés d'un couple de retraités, avec le strict minimum. Dix ans plus tard, je me délecte dans mon deux-pièces et suis désormais agent de sécurité dans une centrale nucléaire. J'assure mes fonctions la nuit.

Bien que le jour je dorme beaucoup, je consacre l'autre moitié de mon temps libre à peaufiner ma cave à vin, arrangée dans mon cellier. Un petit caviste me reçoit une fois par mois et me propose de découvrir de nouvelles saveurs, de nouveaux crus. J'ai un faible pour les vins terreux, à la robe foncée, avec un arrière-goût de végétaux, de sous-bois. Si la dégustation me convainc, je mets le prix et conserve les bouteilles pour les savourer à leur juste maturité. Sans attendre une occasion particulière. Occasion que je ne déclencherai pas... En revanche, il m'arrive également d'acheter de la piquette, pour m'enivrer à grosses lampées. Transmission sûrement maternelle.

Je n'ai pas d'amis, je n'en ai jamais eu. Au collège, évidemment, quelques potes avec qui je fumais à l'abri des regards, derrière une vieille usine abandonnée. Mais dès le premier jour de mon émancipation, je me suis confiné à l'intérieur d'une bulle, appréciant de plus en plus ces instants en retrait, loin des bains de foule et de toutes les facilités de la société. Je me suis accommodé à la vie solitaire, apprenant à m'en satisfaire.

Malgré cela, je me considère comme un garçon sympathique. Je m'entends de manière cordiale avec ceux qui m'entourent. Sans véritable effort. Je salue amicalement mes voisins et mes collègues, ceux qui prennent la relève à l'aube. Je téléphone une fois par semaine à ma mère, qui semble vouloir garder les mêmes habitudes qu'à l'époque de mes treize ans. Je crois volontiers qu'elle est rassurée d'entendre le timbre paisible de ma voix. Elle papote un quart d'heure et a toujours une anecdote agréable. Néanmoins, elle ne pose jamais de questions sur mon travail, ma santé, mes éventuelles relations... On n'évoque pas ces choses-là : chacun son intimité, comme un sanctuaire bien gardé. Secret. Le superflu nous suffit, nous apaise. On ne propose jamais de se voir plus que de raison. Nos rituels sont actés : le réveillon de Noël et les anniversaires, où j'apporte une bouteille de vin. La meilleure.

Mon père, lui, a disparu de mon existence depuis fort longtemps.

Je me souviens de son départ. Je revenais de l'école, réjoui d'être en week-end. Je l'ai surpris sur le parking de la résidence, remplissant le coffre de la voiture de plusieurs cartons et sacs de voyage. Il était stupéfait de me voir : il ne m'attendait visiblement pas si tôt...

Naïvement, j'ai cru qu'il nous préparait une surprise, un périple quelque part à la montagne. Lorsque j'étais tout petit, on allait souvent dans les Alpes, tous les trois, pour randonner à travers les cimes majestueuses. On dormait sous une tente, à la sauvage. On avait froid, alors la proximité de nos corps nous réchauffait. À l'instar d'une famille unie.

Seulement, je faisais erreur.

J'ai mis du temps à comprendre qu'on ne ferait pas partie de son évasion. Ni ma mère ni moi. Je me rappelle seulement de cette femme à la peau métissée, aux yeux pers, assise sur le côté passager, peut-être navrée, et mon père qui m'a pris dans ses bras et m'a glissé à l'oreille : « Dis à maman qu'il faudra payer le loyer avant la fin de la semaine. Je dois m'en aller quelques jours ».

Quelques jours : la blague.

Je ne l'ai plus revu et il ne m'a pas recontacté. Terminé : privé d'un père à dix ans. Simplement ces derniers mots en mémoire, un baiser furtif sur la joue et la vision d'une voiture qui s'éloigne. En trombe. Sans jamais faire demi-tour. J'ai monté quatre à quatre les escaliers menant à l'appartement, le cartable m'écrasant les épaules et cherché une lettre, un mot d'explication. Rien. Un abandon pur et simple.

S'en sont suivis l'incompréhension de ma mère, ses crises d'angoisse et de larmes, sa déchéance, l'ivresse... Et ma prise de conscience qu'il me faudrait apprendre à vivre seul.

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