MONSIEUR et madame Belmont avoient une petite fille de cinq ans, appelée Mimi ; elle étoit blanche comme du lait, et douce comme un petit agneau. Mimi ne désobéissoit jamais à sa maman. Pour ne point faire de bruit, elle prenoit sa poupée, s'asseyoit dans un coin de la chambre, et causoit avec elle. Mimi faisoit la maman. Zozo, c'est ainsi qu'elle nommoit sa poupée, était sa fille.
La petite maman répondoit pour Zozo, comme on peut le croire. Si la poupée répondoit bien, elle étoit récompensé ; si elle répondoit mal, elle étoit punie.
Dans ces conversations, Mimi répétoit exactement tout ce que lui disoit sa mère, qui s'en amusoit, et prenoit quelquefois part à ce léger badinage, sans que Mimi en fût plus déconcertée. Mimi prenoit aussi un grand plaisir à faire la petite maîtresse : Zozo étoit examinée le matin, après dîner,quand madame Belmont rentroit, en revenant de la promenade, et le soir avant de se coucher.
Partie 1
PREMIÈRE CONVERSATION.
MIMI est habillée ; elle a déjeuné, et seprépare à faire la toilette de sa fille, Mimi questionne ainsi sapoupée :
Zozo, avez-vous pleuré quand on vous adébarbouillée ? – Non, maman. – Avez-vous lavé vosmains ? – Oui, maman. – Avez-vous fait votre prière ? –Oui, maman. – C'est le bon Dieu, ma fille, qui vous a donné votrepapa et votre maman ; c'est lui qui tous les jours vous donnede quoi vous nourrir et vous habiller : il faut bienl'aimer ! Avez-vous souhaité le bonjour à papa et àmaman ? – Oui, maman. – Bien, ma fille ; je suis contentede vous. Jeannette, apportez la belle robe de crêpe rose de Zozo,celle qui est garnie de fleurs ; mais comme elle estdéchirée !... C'est vous, Zozo, qui avez fait cela ? –Maman, je ne le ferai plus ! – Mademoiselle, pour votrepénitence, vous mangerez votre pain sec... Il est bien temps depleurer ! – Ma petite maman, je ne déchirerai plus marobe ; jamais, jamais !... c'est un arbre du Luxembourg quim'a accrochée. – Comment, Zozo, je ne voyais pas, vraiment !cette robe est toute tachée !... Fi ! que c'est laid d'êtremalpropre !... Mademoiselle, vous mettrez aujourd'hui votre robesale. Allez, je ne veux plus vous voir ! (elle la conduit dansun coin.) Tournez-vous du côté du mur, et restez là. Oh ! lalaide ! oui, pleurez à présent. – Ce sont les confitures quiont taché ma robe. – Vous raisonnez, je crois ! Si ce sont lesconfitures, vous n'en aurez plus. Vous pleurez, encore plusfort ! ah ! mademoiselle, vous êtes gourmande ! jesuis bien aise de le savoir ! du pain sec, c'est ce qu'il fautaux gourmands. Allons, venez lire. Si vous dites bien votre leçon,je vous pardonnerai. Voyons, dites vos lettres.
ZOZO.
a, b, c, d, e, f, g, h, i, j, k, 1, m, n, o,p, q, r, s, t, u, v, x, y, z, etc.
MIMI.
Bien. Épelez à présent.
ZOZO.
ba, be, bi, bo, bu.
MIMI.
On ne dit pas bé, maisbe.
ZOZO.
ca, ce, ci, co, cu.
MIMI.
C'est, très mal, ça. On dit ka, ce, ci, ko,ku ; entendez-vous, mademoiselle, et souvenez-vous-en.
ZOZO.
da, de, di, do, du.
MIMI.
Toujours la même faute ! On ne dit pasdé mais de.Faites-y donc attention !
ZOZO.
fa, fe, fi, fo, fu.
MIMI.
Vous êtes incorrigible, Zozo. Ditesfe et non pas fé.
Mais en voilà assez. Comptez jusqu'àvingt.
ZOZO.
Un, deux, trois, quatre, cinq, six, sept,huit, neuf, dix, onze, douze, treize, quatorze, quinze, seize,dix-sept, dix-huit, dix-neuf, vingt.
MIMI.
Combien y a-t-il de voyelles ?
ZOZO.
Cinq : a, e, i, o, u.
MIMI.
Et de consonnes ?
ZOZO.
Dix-neuf : b, c, d, f, g, h, j, k, l, m,n, p, q, r, s, t, v, x, z.
MIMI.
Bien, ma fille, je suis contente de toi ;viens embrasser ta maman !
Si tu savois, Zozo, comme tu es gentille quandtu es sage, tu ne te ferois jamais gronder ! et puis tumangerois toujours de bonnes choses ; je te donnerois de beauxchiffons pour récompenses, tu serois caressée de tout lemonde ! Est-ce que tu n'aimes pas les bonbons et lesjoujoux ? – Pardonnez-moi, maman. – Eh bien ! Zozo, ilfaut être bien sage, et tu en auras.
Mimi et Zozo étaient fort bien ensemble,lorsque madame Belmont appela sa fille pour l'envoyer promener avecsa bonne, Mimi courut à sa maman, et par sa précipitation,renversa sa poupée, qui entraîna avec elle la boîte aux joujoux.Jeannette n'étant pas encore prête, Mimi revint auprès de Zozo,qu'elle trouva étendue par terre, le nez sur le parquet, et leschiffons éparpillés autour d'elle. Elle releva sa poupée, et luidemanda, en colère, qui avoit renversé ses chiffons ? – Cen'est pas moi, maman. – Vous mentez, Zozo ! personne n'estentré ici. Vous aurez voulu voir les fleurs d'or qui sont dans maboîte. Il ne faut jamais mentir, mademoiselle ; c'est fortmal ! vous allez avoir le fouet ! Jeannette, apportez-moiles verges. – Je ne le ferai plus, maman (elle pleure). Mimi, aprèsl'avoir fouettée : Ah ! ah ! je vous apprendrai àmentir ! fi ! rien n'est si vilain que cela ! Mimien étoit là de sa réprimande, quand madame Belmont l'appela denouveau. Après avoir rangé ses chiffons, la petite s'en alla avecJeannette. Elle voulut bien pardonner à Zozo, et l'emmena avecelle.
Quand elles furent au Luxembourg, Mimi racontaà sa bonne les grands sujets de mécontentement que Zozolui avoit donnés. Jeannette, qui avoit horreur du mensonge, lui raconta l'histoire suivante :