Chapitre 3 3

LA dame chez laquelle madame Belmont dînoit cejour-là, aimoit Mimi à la folie ; elle voulut l'avoir auprèsd'elle à table, et lui donna mille friandises. Mimi avoit beaucoupmangé quand on servit un plat de gâteaux qui lui plaisaient fort.Sa mère, qui ne la perdoit pas de vue, lui défendit par signes d'enmanger. Mimi fit semblant de ne point s'en apercevoir, et mangeades gâteaux au point d'en être incommodée. Madame Belmont se hâtade rentrer chez elle, déshabilla sa fille, et lui fit prendre duthé. On se doute bien qu'elle la gronda. Mimi, se trouvant mieux,courut prendre sa poupée.

Pendant que sa mère lisoit, elle eut avecZozo la conversation suivante :

Venez ici, mademoiselle, que je vous délasse.Jeannette, faites du thé pour cette petite gourmande, qui étouffepour avoir mangé des gâteaux, malgré la défense de sa maman.Fi ! que cela est vilain ! une grande fille de votreâge ! vous devriez être honteuse !... vous aviez pourtantmangé des macaronis, du biscuit, du raisin, des amandes, despoires ! Fi ! que c'est laid d'être gourmande, etdésobéissante à sa maman ! Je suis sûre que vous avez mangévotre viande sans pain ! – Non, maman ! – Mais vous avezdemandé du poulet, et cela n'est pas bien ! une petite fillene demande jamais rien ; elle attend que sa maman lui donne.Et puis, il faut que je vous gronde ; vous avez bu sans avoirvidé votre bouche ; vous avez répondu à madame B... ayant aussila bouche pleine, et c'est mal ; on ne l'emplit pas tant, eton la vide tout à fait pour boire et pour répondre quand quelqu'unvous adresse la parole.

En sortant de table, vous avez fait dubruit ; vous avez parlé aussi haut que les grandespersonnes ; vous avez disputé avec les filles de madame B..., cequi n'est pas poli du tout ; vous leur avez arraché lesjoujoux, des mains. Et mais, vos mains, les avez-vous lavées ?je suis sûre que non ! Voyez comme votre robe est sale !et vous voulez que je vous mène dîner en ville ! ah !mademoiselle, il faut être plus raisonnable, et surtout retenir ceque dit votre maman. Vous êtes une étourdie, je le sais ;vingt fois je vous ai dit combien il est déplacé de faire telle outelle chose, et vous n'en faites qu'à votre tête.

Je vais à ce sujet vous raconter comment il ena coûté la vie aux petits d'une biche, pour avoir négligé de suivreles avis de leur mère. Écoutez bien :

LA BICHE BLANCHE.

Il y avoit une fois une biche, qui avoit troispetits enfans ; elle voulut leur aller chercher à manger, maisavant de sortir elle leur dit : « Mes enfans, n'ouvrezpoint qu'on ne vous montre patte blanche, et faites-y bienattention, afin de ne point vous laisser tromper,entendez-vous ? Ses enfans le lui promirent, et la biche allaleur chercher à manger. Cependant, compère le loup étoit derrièrela porte. Aussitôt que la biche fut partie, il vint frapper encontrefaisant sa voix : Pan, pan ! « Ouvrez, je suisvotre mère ! – Montrez-nous patte blanche, lui dirent lespetits. » Compère le loup fut bien attrapé, car sa patte étoitgrise !... mais le malin, l'ayant entortillée d'un linge, revintà la porte : Pan, pan ! « Ouvrez, je suis la bichevotre maman ! – Montrez patte blanche. » Aussitôt lecompère glissa, sous la porte, sa patte enveloppée de chiffons, etles petits ouvrirent étourdiment, sans s'assurer si c'étoit bien lapatte de biche blanche. Qu'arriva-t-il ? compère le loup lescroqua tous ! Voilà ce que c'est ! Si ces petits eussentregardé de très-près, ils auroient vu que compère le loup avoitenveloppé sa patte ; ils n'auroient point été mangés, et labiche les auroit retrouvés à son retour.

Si vous faisiez aussi attention à ce que jevous dis sans cesse, ma fille, vous ne seriez pas grondée souventcomme vous l'êtes. Allons, je vous pardonne pour cette fois ;venez m'embrasser. Tiens, Zozo, vois-tu ce beau livre, ce sontles Soirées de l'Enfance ; regarde les joliesgravures. En voici une bien belle, c'est le petit Fabien qui donnetout son argent pour avoir des livres afin de s'instruire.

Voilà une jeune personne qui, voyant sa sœuren danger de périr dans un canal où elle étoit tombée, se jetteaprès elle pour la sauver. Ici, c'est un jeune homme qui vientdonner des secours à une pauvre veuve qui, après avoir essuyé biendes malheurs, alloit être dépouillée du peu qui lui restoit.

Madame Belmont venoit d'achever sa lecture,elle interrompit sa fille : Viens ici, Mimi, apporte tapoupée, et assieds-toi. Tu as conté tout à l'heure une histoire àZozo, veux-tu que je t'en conte une à mon tour ? – Oh !oui, ma petite maman, je vous en prie ! – Écoutedonc :

            
            

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