Chapitre 5 5

TROISIÈME CONVERSATION.

Madame Belmont mena un jour Mimi avec elle pour faire des visites. La

petite se conduisit assez bien; mais sa maman remarqua qu'elle répondoit

toujours oui, non, tout court. Rentrée à la maison, elle lui en fit des

réprimandes. Mimi pleura un peu, puis enfin elle sécha ses larmes; et, selon

son habitude, elle prit sa poupée, pour répéter avec elle tout ce qu'elle avoit

fait de bien dans ses visites, et la gronder pour les choses auxquelles elle

avoit manqué.

Venez ici, Zozo; j'ai bien des choses à vous dire. Vous avez bien fait, et

mal fait. Savez-vous en quoi?-Non maman.-Eh bien! je vais vous

l'apprendre. Quand nous sommes entrées chez madame L., vous avez fait la

révérence; c'est bien. Vous avez répondu comme une belle fille, lorsque

cette dame vous a souhaité le bonjour; vous avez eu soin de vous moucher

souvent; vous avez été sage tout le temps que votre maman a été chez

madame L.; vous avez remercié poliment quand cette dame vous a donné

des bonbons. Tout cela est bien; mais avez-vous vu les grands yeux de

maman, quand vous avez demandé à boire?-J'avois bien soif! Il falloit

attendre, ou le dire à maman bien bas, bien bas; et puis, lorsque madame L.

vous a voulu donner des confitures, vous avez dit à maman que vous aviez

faim, par gourmandise, n'est-ce pas? Vous n'osez pas répondre! vous vous

êtes tenue fort mal; cependant maman vous a frappée deux fois sur le cou!

J'ai encore une chose à vous dire, Zozo; quand on éternue, on met toujours son mouchoir ou ses mains devant sa figure, et vous ne l'avez pas fait; aussi

maman vous a regardée d'un air fâché; vous avez bâillé, parce que la visite

de maman étoit trop longue, et c'est fort mal; c'est impoli; maman vous l'a

dit cent fois; on ne bâille pas; on ne demande pas à s'en aller, comme vous

avez fait. Vous mériteriez d'être en pénitence pour cela; vous n'êtes pas

polie du tout;... vous savez que je vous ai déjà grondée pour la même

chose. Quand on vous parle, vous répondez oui, non tout court; c'est fort

mal; on doit toujours dire: Oui, monsieur; non, madame.

Je vais, en vous déshabillant, vous conter une histoire qui vous fera

connoître combien il est dangereux de désobéir sans cesse à ses parens.

Ecoutez-moi bien:

La petite Fanny.

Il y avoit une fois une petite fille, appelée Fanny, qui répondoit toujours,

oui, non, tout court. Cependant son papa et sa maman voyoient chez eux de

beaux messieurs et de belles dames bien polis. Le papa et la maman de

Fanny étoient honteux d'avoir une petite fille si grossière! Fanny, lui dit un

jour sa maman, si vous ne dites pas bonjour, si vous ne faites pas la

révérence, si vous ne répondez pas poliment quand on vous parle,

j'appelerai Croque-Mitaine.

La petite Fanny ne faisant pas attention à ce que lui disoit sa maman,

cette dame appela Croque-Mitaine, qui descendit par la cheminée, avec son

grand sac noir; et il emporta la petite Fanny pour lui apprendre la politesse.

Voilà ce qui vous arrivera, Zozo, si vous êtes toujours grossière.

Madame Belmont avoit écouté avec attention les remontrances de Mimi à

sa poupée. Elle voulut profiter des bonnes dispositions où sa fille se trouvoit

pour lui conter une histoire, qui lui servît en même temps de leçon.-Mimi,

lui dit-elle, veux-tu aussi que je conte une histoire?-Oh! oui, maman.-Va chercher ta bourse; mets-toi à travailler, et surtout ne m'interromps pas. Si

tu as des questions à me faire, garde-les pour la fin. Ne cause pas non plus

avec Zozo; d'abord parce que ce n'est pas poli, et puis parce que tu me

ferois tromper. Te voilà avertie, écoute à présent.

La petite Fille grossière.

Monsieur Machaon, médecin, avoit une petite fille nommée Pontie,

extrêmement belle; mais elle étoit grossière et dédaigneuse! Son papa et sa

maman, bons et polis avec tout le monde, cherchoient à la corriger de ces

vilains défauts qui la faisaient haïr; mais ils n'y gagnaient rien. A l'âge de

six ans, la petite Pontie ne faisoit jamais la révérence sans qu'on le lui dît;

elle regardoit à peine ceux à qui elle parloit. Quand ces personnes étoient

mal vêtues, c'étoit bien pis! Pontie les examinoit un moment d'un petit air

dédaigneux, et s'enfuyoit à toutes jambes, sans leur répondre. Si, à la

promenade, une petite fille venoit obligeamment la prendre par la main

pour la mener jouer avec elle, Pontie jetoit aussitôt les yeux sur sa robe,

retiroit sa main bien vite quand elle voyoit l'enfant mal habillé.

M. et madame Machaon lui avoient pourtant dit cent fois, que les beaux

habits ne font pas le mérite; qu'une petite fille mal mise peut être bon sujet,

bien douce, bien obéissante, bien savante! Mais, Pontie, naturellement

grossière, se mettoit tout à fait à son aise, quand la toilette ne lui en

imposoit pas un peu.

Pontie éprouva souvent des mortifications. Quand on lui avoit parlé, elle

entendoit dire derrière elle: Cette jolie petite fille appartient certainement à

une femme de la halle; on le voit bien, malgré sa robe de mérinos, garnie de

poil, et son élégant chapeau; car elle est trop malhonnête pour être la fille

d'une personne bien élevée: on lui aura prêté les beaux habits qu'elle porte.

En entendant cela, Pontie devenoit rouge comme du feu, et couroit vite

trouver sa maman, mais elle n'avoit garde de lui dire le sujet de son chagrin !

Un jour, cette petite fille étant au Luxembourg, se trouva engagée par

hasard dans une partie qui lui plut fort. Voici comment.

Une pension tout entière s'étant mise à jouer à Colin-Maillard, la

maîtresse, assise sur l'herbe, s'amusa à regarder ses élèves, qui rioient du

meilleur coeur du monde. Pontie, debout, à deux pas d'elle, montroit assez,

par son air, le désir d'être reçue parmi cette belle jeunesse, mais elle n'osoit

pas s'avancer. Tenez, venez, mon petit coeur, lui dit la maîtresse; vous êtes

trop gentille pour rester là toute seule à vous ennuyer. Une petite fille polie

auroit remercié cette dame par une belle révérence; mais, point du tout. La

grossière Pontie suivit une grande demoiselle qui vint la prendre par la

main, et s'éloigna sans répondre et sans regarder seulement la dame qui

avoit été si obligeante à son égard. Cette petite fille est bien mal élevée, dit

la maîtresse à une de ses pensionnaires; c'est dommage; car elle est gentille!

Le jeu ayant duré une demi-heure, les enfans voulurent se reposer. La

maîtresse de pension appela Pontie, et lui adressa ainsi la parole:-Mon

coeur, quel âge avez-vous?-Six ans.-Votre maman est-elle ici?-Oui-

Venez-vous souvent au Luxembourg?-Oui.-Demeurez-vous loin d'ici?

Non.-Vous êtes sans doute bien savante?-Je lis le latin et le français.-

Savez-vous quelque chose de mémoire?-Des vers que mon papa m'a

appris, les dieux de la Fable, et les rois de France. Je sais aussi compter

jusqu'à cent.-C'est beaucoup! Apprenez-vous le dessin, la musique?-

J'apprends la musique.

Elles en étoient là de leur conversation, quand madame Machaon voulant

s'en aller, s'avança pour emmener sa fille. Cette dame fit ses remercîmens à

la maîtresse de pension, et après l'avoir saluée poliment, elle la quitta.

Mimi, dit madame Belmont en s'arrêtant, comment trouves-tu que cette

petite fille se soit conduite dans cette circonstance?-Très-mal, ma petite

maman! mademoiselle Pontie dit non, oui, tout court; jamais madame! Celà n'est pas bien du tout!... tu as raison, ma bonne amie. Ecoute la suite de

mon histoire.

Lorsque Pontie fut en allée, la maîtresse de pension se mit à parler d'elle:

Il est impossible, dit-elle à ses élèves, que la petite fille qui a joué avec

vous, appartienne à la dame qu'elle appelle sa mère, et qui l'est venue

chercher. Avez-vous remarqué à quel point cette petite fille est grossière?

Cependant, celle qu'elle nomme sa mère, est polie comme une dame du

grand monde! C'est sûrement une pauvre enfant qu'elle aura prise par

charité!... C'est ainsi que chacun jugeoit Pontie et son aimable maman!...

Si cette petite fille eût été laide et mal mise, on y auroit fait moins

d'attention; mais rien n'est si choquant qu'une personne mise élégamment

avec des manières poissardes.

Pontie recevait de temps en temps de fortes leçons de la part des

étrangers. On lui fit plus d'une fois de mauvais complimens, dont elle ne se

vanta pas. On la comparait avec d'autres enfans vêtus communément, mais

polis, agréables, et, sans balancer, on leur donnoit la préférence sur elle: Ces

enfans, disoit-on, font honneur à leurs parens, et vous, ma belle demoiselle,

vous ne paraissez pas faite pour vos habits.... On ne peut rien dire de plus

humiliant! Cependant Pontie ne changeoit pas!...

Cette petite étoit non-seulement grossière, mais, comme je l'ai déjà dit,

elle étoit aussi très-vaine! Mademoiselle s'imaginoit qu'elle valoit mieux

qu'une autre, parce que son père et sa mère avoient un joli appartement, une

bonne pour les servir, et des habits selon la saison. Pontie n'avoit jamais vu

des gens plus riches que son père et sa mère; elle se croyoit en droit de

mépriser ceux qu'elle prenoit pour ses inférieurs.

Or, il arriva que son papa et sa maman la menèrent un jour aux Tuileries.

M. et madame Machaon prirent des chaises, et la petite courut çà et là

autour d'eux. Elle fut arrêtée par une dame qui se reposoit sur un banc

                         

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