« Ma mission est de te donner le moyen de tuer le Gardien, pas de le trouver ! »
Morl-Dérin soupira. Elle venait d'arriver dans un monde qu'elle ne connaissait pas, avec pour seul allié, une âme déchue. Elle en regrettait presque son voyage avec Argus.
« Le mieux serait sans doute de trouver une ville pour y interroger ses habitants. Ils ont sûrement des informations que tu cherches ! » dit l'Exclu.
« Alors, quittons cet endroit. »
Elle emprunta un sentier qui se dessinait entre les troncs. De petits mammifères types écureuils, souris, lapins, traversaient devant elle. Soudain, Morl-Dérin entendit le bruit d'un moteur. Très vite, une ombre cacha le soleil, et passa rapidement au-dessus d'elle.
« Qu'est-ce que c'était ? » demanda celle-ci.
« Cela fait des millions d'années que je n'ai pas foulé cette terre ! Tu crois que je le sais ? »
« Décidément, notre cohabitation va être plus compliquée que prévu ! »
« C'est toi qui es venue me chercher ! Assume tes décisions femme ! »
Elle continua à marcher jusqu'à sortir de la forêt. Là, elle fit face à un paysage totalement nouveau pour elle. D'immenses plaines vertes traversées par des routes de bitume. Dans le ciel dégagé des véhicules inconnus aux yeux de Morl-Dérin. Pas très loin de sa position, une ville où allaient et venaient des montures d'aciers.
« Par Origin ! Quelle est donc cette magie ? » se demanda la femme.
« C'est l'une des raisons pour lesquelles j'ai toujours aimé Tecknos ! Un monde à la pointe de la technologie et de l'innovation ! » dit l'Exclu enjoué.
Comme l'avait suggéré ce dernier, Morl-Dérin se dirigea vers la ville la plus proche. Aux abords de celle-ci, elle se rendit compte que le monde de Tecknos était habité par des humains, tout ce qu'il y avait de plus normal. Ils portaient des vêtements élégants, qui tranchaient avec ceux de Morl-Dérin. D'ailleurs, les habitants la regardaient avec dégoût. À leurs yeux, c'était une pauvre, une marginale de la société. Devant l'entrée de la ville, il y avait un écran géant avec écrit : Villa Del Sol, tout en rose. Les néons brillaient même en plein jour. Un bâtiment avec un grand parking servait de pistes d'atterrissage aux véhicules volants. Là, un jeune homme, d'à peine vingt ans, portant un béret, tirait un tuyau pour alimenter les voitures. Les conducteurs entraient dans une station pendant ce temps. Morl-Dérin, de plus en plus intriguée, les suivit. Le garçon l'observa quelques secondes avant de se faire rappeler à l'ordre par un homme.
- Hé toi ! Au lieu de bayer aux corneilles, fais le plein de ma voiture !
- Tout de suite Monsieur ! répondit le garçon maigrelet.
Il s'empressa d'enfoncer l'extrémité du tuyau dans le réservoir d'une voiture rouge étincelante. Morl-Dérin fut surprise de voir la porte de la station s'ouvrir automatiquement à son approche. À l'intérieur, il y avait des rayons entiers de marchandises, éclairés par des néons blancs. Barre chocolatée, chips, bonbons, sodas, toutes des choses qui lui étaient inconnues. Le pompiste, un homme d'âge mûr avec une moustache la guetta du coin de l'œil.
« Quel endroit stupéfiant ! » pensa Morl-Dérin.
« Et tu n'as encore rien vu ! » répondit l'Exclu tout excité.
Quand le pompiste eut terminé avec son client, il quitta son comptoir flottant, pour aller vers la femme. Morl-Dérin déambulait dans les allées de la station, subjuguée par la nouveauté.
- On s'est perdu ma petite dame ? On a besoin d'un renseignement ?
Morl-Dérin se retourna d'un coup et attrapa le fermement le poignet du pompiste. Elle lui tordit et celui-ci se retrouva à genoux. Elle plaça son poignard sous la gorge de l'homme.
« Ce ne sont pas des manières polies, Morl-Dérin ! » réprimanda l'Exclu.
« J'agis comme je l'entends ! »
- Qu'est-ce que tu me veux, humain ? tonna Morl-Dérin.
Le pompiste grimaça de douleur, tandis que la femme aux pupilles de félins serra davantage la prise.
- Lâchez-moi bon sang ! Je vous ai pris pour une voleuse, désolé ! s'exclama-t-il.
- Moi ? Une voleuse ? Pauvre idiot ! Je vais te trancher la gorge pour ton manque de respect !
« Attends Morl-Dérin ! Il a peut-être des infos sur le Gardien de ce monde ! » supposa l'âme.
- S'il vous plaît ! Prenez ce que vous voulez, et je vous ferai un prix pour le dédommagement ! J'ai une femme, des enfants, je veux vivre ! supplia l'homme à la moustache.
- Tu auras la vie sauve, si tu me dis où je peux trouver le Gardien de ton monde !
- Le Gardien ? Je n'en sais rien !
Morl-Dérin lui tordit davantage le poignet. Le pompiste hurla de douleur, des larmes coulant sur son visage.
- Attendez ! Allez en direction de la capitale, vous aurez ce que vous cherchez ! reprit l'homme terrorisé.
À ce moment-là, le bruit électronique d'une entrée sonna et un groupe de quatre individus entra. Ils regardèrent tantôt Morl-Dérin, tantôt le pompiste.
- Lâche-le immédiatement ! ordonna l'un d'eux.
Le groupe avança d'un air menaçant vers la femme.
« Super, je crois que je me suis acoquiné avec la reine des faiseuses d'histoires ! » ironisa l'Exclu.
Morl-Dérin laissa le poignet du pompiste, qui gémit au pied de sa gondole de chocolats.
- Quatre contre une femme ! Et tu crois nous effrayer ? se moqua l'un des hommes qui fit craquer ses poings
Morl-Dérin eut un sourire en coin. Tout à coup, elle sauta à la gorge du leader et lui planta son poignard dedans. Elle ne laissa pas le temps aux trois autres de réagir, et tua le second en plantant son poignard dans l'œil du malheureux. Un troisième tenta de la frapper, mais elle stoppa son attaque. Morl-Dérin lui brisa le bras, avant de plonger sa lame dans le cœur. Voyant cela, le dernier courut vers la sortie, mais elle lança son arme dans le dos du fuyard. L'homme glissa contre la vitre, laissant une longue traînée de sang.
« Bravo, mais bien inutile ! Ces hommes auraient pu nous aider ! Tu réagis toujours ainsi, où c'est juste à cause du changement de monde ? » dit l'âme.
« Personne ne me menace », dit Morl-Dérin en extirpant le poignard de la victime.
Au même moment, la sonnerie d'entrée retentit et le jeune homme au béret entra. Stoïque, il fut choqué de voir quatre cadavres joncher le sol, qu'il avait lui-même lavé. Alors que Morl-Dérin s'avança pour mettre fin à ses jours, l'Exclu la stoppa.
« Non ! Tu arrêtes ! Il peut nous conduire à la capitale ! Cesse de vouloir tuer tous ceux qui te regardent ! »
Le garçon se mit à genoux devant elle, et croisa les doigts devant sa poitrine.
- S'il vous plaît, madame ! Ne me tuez pas ! Je vous jure que je ne dirai rien ! Je n'ai rien vu ! Je ne vous connais pas !
- Ces humains sont pitoyables ! dit Morl-Dérin. Tu n'auras pas à goûter ma lame, si tu te rends utile.
- Tout ce que vous voulez, madame ! gémit le garçon en enlevant son béret.
- Saurais-tu me mener jusqu'à la capitale, rapidement ?
- Je n'y suis jamais allé...
- Dans ce cas, coupa Morl-Dérin.
- Mais je peux vous y conduire ! Par pitié, ne me tuez pas, je serai votre guide !
- Relève-toi, tu me fais pitié !
Dans le fond de la station, le pompiste observait la discussion, en se faisant le plus discret possible. Il ne fallait surtout pas se faire remarquer. Le jeune homme, maigre et aux cheveux rasés, s'exécuta.
- Tu es capable de conduire ces monstres d'acier ? demanda Morl-Dérin en désignant le parking.
- Bien sûr !
- Parfait ! Alors, dépêchons-nous, je n'ai pas de temps à perdre !
« Tu n'es pas obligée d'être aussi méchante avec ce pauvre jeune homme terrifié ! » dit l'Exclu.
« Occupe-toi de la manière de tuer un Gardien, et je m'occupe plutôt de nous mener à lui ! »
Elle suivit le jeune garçon craintif jusqu'à une voiture noire.
- Montez de ce côté, madame, dit-il en montrant le siège droit.
Morl-Dérin ouvrit la portière, et s'installa à l'avant du véhicule. Soudain, une alarme retentit dans toute la ville. Le garçon s'empressa de démarrer le moteur.
« Sûrement, le pompiste qui donne l'alerte, il aurait raison en tout cas », dit l'âme.
« Je vais lui faire regretter son geste ! » tonna la femme en ouvrant la portière.
« Non ! Cesse de jouer à l'arrogante et allons à la capitale ! »
- La patrouille ne va pas tarder à débarquer. Nous devrons nous envoler, madame, dit le garçon en bégayant de peur.
- La patrouille ?
- Une unité armée et spécialisée dans les meurtres, les vols et tout plein d'autres délits !
- Enfin un vrai entraînement avant un duel digne de ce nom avec le Gardien !
« N'y songe même pas ! » tonna l'Exclu.
« Vous n'êtes pas amusant comme hôte ! »
- En avant jeune humain ! Conduis-moi où je souhaite ou tu meurs !
Le jeune déglutit. Il appuya sur un bouton du tableau de bord, les roues se recroquevillèrent à l'intérieur de la carrosserie, pour faire place à des réacteurs. La voiture décolla rapidement, et Morl-Dérin quitta Villa Del Sol.