Le deus ex machina
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Chapitre 2 No.2

Au même instant, à Ascona au Tessin, se tenait une réunion entre quatre amis. Ils avaient rendez-vous dans un superbe hôtel de la Riviera face au lac Majeur. Cette station touristique jouissait d'un climat méditerranéen exceptionnellement doux et elle était située dans un cadre magnifique. Le lac d'un bleu azur s'étale entre les montagnes escarpées d'un vert émeraude, le tout bordé de plantes aromatiques et de fleurs suaves à l'ambiance presque orientale. Cette partie de la Suisse est très différente.

Ici, tout est latin, on parle tessinois haut et fort, on boit du vin rouge, on se montre, on se fait remarquer de façon ostensible. Tout le monde doit savoir ce que vous représentez... Enfin, l'apparence que vous voulez donner... Le paraître est très important, et pour le reste c'est la Suisse : on ne pose pas de questions !

Le concierge de l'hôtel attendait les quatre amis venus passer un week-end au Golf Club Patrizaled'Ascona. Ce golf est particulièrement bien fréquenté de la jet-setaux notables du coin. Depuis des années, il était habitué à voir de nombreux clients bien différents. Cela allait de la vraie fausse aristocrate d'origine polonaise cherchant un milliardaire veuf au faux vrai mafieux retraité qui cherchait un coin de sécurité pour lui et son argent et qui préférait se faire oublier. La place bancaire internationale de Lugano et l'Italie ne sont pas bien loin, l'argent gris voyageait plus facilement dans ces contrées. Toute une faune bigarrée de touristes plus ou moins bien nantis aimait profiter de l'arrière-saison encore bien agréable dans cette contrée. Les collines regorgeaient de somptueuses villas discrètes qui toutes, ne devaient pas être le fruit d'un labeur bien clean

Le premier à arriver fut Carlo. Le concierge le connaissait bien. C'était un enfant du pays. La cinquantaine bien portée, large sourire de play-boy italien, crâne légèrement dégarni, cheveux noir-argenté, gominés, toujours bronzé, pantalon d'été blanc, chemise noire entrouverte montrant une poitrine velue, surmontée d'une très grosse chaîne en or, montre Rolex, bague chevalière portant des armoiries gravées dans l'onyx, mais pas d'alliance. On disait qu'il était le fils de nantis de la vallée. Et que son père était le propriétaire de trois hôtels et d'une société de distribution de boissons. Carlo attendait d'hériter, mais devait travailler, il fallait bien s'occuper. Le concierge pensait qu'il travaillait dans une compagnie d'assurances, probablement une façade. C'était lui qui avait effectué les réservations. Il déposa son bagage, léger. Il confia son sac de golf au voiturier. Il était décontracté, il se dirigea vers le bar sans marquer un éventuel intérêt pour sa chambre. Il commanda un cocktail aux couleurs tropicales et il choisit un emplacement stratégique au bar. De là, en sirotant sa boisson, il pouvait avoir une vue sur l'entrée de l'hôtel et sur toutes les jolies femmes qui allaient sans discontinuer du bord de la piscine au bar. Quelques-unes étaient très jolies, nous pourrions dire très appétissantes, mais aussi très italiennes ! ... Regarder, mais pas toucher ! Les autres, ma foi, étaient sympathiques et les suivantes avaient quelques heures de vol...

Le second à arriver fut Rheiner, un Autrichien de mère hollandaise. Le concierge en était certain. Il n'avait jamais vu le spécimen. On l'aurait cru sorti de la comédie musicale La Mélodie de bonheurou The Sound of musicde Robert Wise, mais il n'avait pas le beau rôle. Le style nordique, grand, raide, cheveux blonds coiffés en arrière, yeux bleus, très mince, lunettes rondes cerclées d'acier à verres épais. Il avait la figure étroite en lame de couteau et le sourire figé un peu froid. Costume à col étroit, cravate classique sur chemise vert clair. Il se posta devant le concierge, les bras le long du corps, fit un salut de la tête, qu'il accompagna d'un très léger claquement de talons.

Sur cette entrefaite entra Arturo. Le concierge l'avait déjà vu, enfin il lui semblait bien. C'était un Tessinois qui avait le geste plus vif encore que la parole. Un petit rouquin nerveux aux cheveux déjà éclaircis et grisonnants et à la grosse moustache tombante poivre et sel, aux yeux clairs et au nez presque digne de Cyrano. Le concierge pensa qu'il n'était qu'un pantin déguisé en arlequin. Lui, il sortait directement de la commedia dell'arte. Il était habillé d'un costume brun clair de bonne coupe, mais trop grand pour lui, de chaussures beiges et d'une chemise orange criard sans cravate, arborant un torse étroit et glabre. Parfois, avec ses grands gestes qui battaient l'air dans tous les sens et son discours moralisateur sur tout, il donnait l'impression d'être un padre, en train de faire un sermon au monde. Il était très nerveux et volubile. Il se croyait en permanence sur une scène de théâtre, il passait de Pirandello à Casanova avec facilité, pensait-il, mais ses pitreries ne faisaient rire que lui.

Le dernier personnage à rejoindre le groupe fut Heinz. Lui, alors, c'était l'archétype du Suisse allemand, Zurichois, pensa le concierge à cause de la pointe d'accent. Parfait polyglotte, très poli, bien habillé, réservé et faussement décontracté.

Carlo s'empressa de faire les présentations. Les deux Tessinois se connaissaient très bien. Avec de grands gestes de bienvenue, Carlo fit servir un verre et les quatre personnages s'installèrent à la terrasse en commentant chacun sa route ; ils avaient fait le voyage de façon différente. Le concierge ne voyait pas ce qui rapprochait ces hommes qui avaient choisi de parler français alors que ce n'était pas leur langue maternelle.

Après avoir bu quelques verres, ils prirent chacun le chemin de leur chambre. Ils avaient fait réserver une table dans un grottoet commandé un taxi, ils avaient rendez-vous au golf de bonne heure le lendemain.

            
            

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