Après son baccalauréat dans son pays d'origine, elle avait obtenu une inscription – soutenue par un gribouillage en guise de signature sur un bout de papier, représentant un octroi de bourse qui lui permettrait de poursuivre ses études en France – à l'université Paris X, plus précisément à Nanterre. Elle préparait un doctorat en philosophie, quand les difficultés accumulées au fil des mois commencèrent à gravement l'asphyxier et à assombrir les nuages du petit monde qu'elle envisageait péniblement de se bâtir.
Elle comprit que, avec sa philosophie, même avec des doctorats 4e, 5e ou 6e cycle, s'il en existait, elle ne pouvait pas aller bien loin et que l'étendue de ses opportunités était et resterait très mince ; car, la philosophie n'est nullement un métier ; il n'y avait pas de quoi se pavaner vu que, sur le marché du travail, elle était un de ses produits que l'on fourguait difficilement, voire gratuitement, aux clients devenus de plus en plus capricieux et exigeants.
Étudiante boursière congolaise, elle n'avait gardé de ce prestigieux statut que le nom. Car, pour ceux qui ne le savent pas encore, le Congo est probablement le seul et unique pays au monde où les historiens contemporains du monde entier peuvent encore se régaler en étudiant, en live, les comportements anthropophagiques des êtres barbares préhistoriques qui y règnent en maîtres absolus ; des espèces rares, irrémédiablement dépourvues de toute forme de conscience pouvant leur permettre d'évoluer et de s'humaniser.
En effet, la population congolaise, étonnamment atteinte de lâcheté, est retenue en otage par des espèces de bêtes scabreuses et féroces à apparence humaine, des sortes d'androïdes sortis d'on ne sait quelle planète de la galaxie, dotés d'une monstruosité et d'une brutalité uniques, dépourvus d'intelligence et de la moindre capacité d'en développer ; des êtres répugnants qui ont tout simplement subordonné les autochtones trouvés sur le sol congolais qu'ils n'hésitent pas à faire taire définitivement dès que ces malheureux essaient de bouger ou de crier au secours. Des espèces de créatures rarissimes – frappées de surdité incurable, de cécité accrue et complètement givrées en plus d'être singulièrement niaises – qui doivent leur férocité à leur instinct bestial. Ces horribles créatures hématophages, venues d'ailleurs, vêtues de costumes humains, disent gouverner le Congo – avec la gracieuse bénédiction des malheureux Congolais, cérébralement gélifiés, musculairement asthéniés et intellectuellement anesthésiés – tout en ignorant les lois et les principes humains les plus élémentaires, méconnaissant les règles de vie les plus simples en vigueur sur la planète terre, et imposant leurs ignobles lois qui sont : la terreur et la tyrannie, les assassinats, l'affamage, l'abrutissement, etc.
Leur but est de convertir de force tous ceux qui ont le malheur de les côtoyer, directement ou indirectement, de près ou de loin, à leur philosophie macabre et de rendre le monde infect. Ainsi, tout Congolais qui parvient à s'évader et à se retrouver hors des frontières de ce maléfique enfer fait tout ce qui est humainement possible, même au péril de sa vie, pour ne jamais y retourner.
Christine était dans cette situation, la fallacieuse bourse qui lui avait été accordée sur papier n'avait aucune valeur puisque les animaux qui avaient signé ce papier n'avaient aucune conscience de la valeur de l'engagement : cette bourse n'avait tout simplement jamais existé matériellement.
Ainsi, se débattant courageusement entre les études qu'il fallait assumer, le loyer qu'il fallait payer et le quotidien qu'il fallait assurer, elle avait dû sacrifier sa raison d'être en France pour se consacrer entièrement à la lutte pour la survie. Bien que n'ayant pas le droit de travailler en France, elle s'était décidée à rechercher du travail, affichant des petites annonces dans les boulangeries, salons de coiffure, supermarchés, etc.
On pouvait lire : « Jeune fille sérieuse recherche travail tout domaine ; étudie toute proposition. Soutien scolaire, garde d'enfants, ménage ou personnes âgées : bienvenue ».
Elle épluchait quotidiennement les petites annonces des journaux gratuits qu'elle ramassait çà et là, dans l'espoir d'y dénicher la petite perle vitale.
– Avez-vous déjà travaillé comme télé-hôtesse ?
– Oui ! Avait répondu un jour Christine au téléphone.
La règle d'or, chez les adeptes de l'article 15, lorsqu'on recherche du travail, c'est de dire « non » le moins possible.
Les membres de cette confrérie s'encouragent, se pistonnent, se forment, s'informent et se conseillent mutuellement, se soutiennent tant bien que mal.
Le plus imposant d'entre eux, celui qui semblait être un petit caïd dans le genre « impossible n'est pas humain », œuvrait comme un vrai pro de la mafia. Portant un nom bien expressif, Mobali, c'est-à-dire « l'Homme », il n'avait jamais travaillé, lui qui connaissait les moindres ficelles et canaux du monde obscur des clandestins. Avant d'avoir épousé une Antillaise, de qui il avait eu une fille française, et grâce à laquelle il avait pu émerger de sa clandestinité, il vivait terré comme les autres.
À présent, c'était lui l'homme fort du circuit, lui, le Mobali, l'indispensable, dont le nom circulait dans tout Pointe-Noire et tout Brazzaville, le nom à connaître absolument lorsqu'on prévoyait de se jeter dans la jungle française. Son nom était aussi nécessaire qu'un passeport. Il était l'adresse indispensable pour les nouveaux arrivants car c'est lui qui connaissait tous les tuyaux utiles. De son fief à Château Rouge, il était également connu pour ses trafics de tous genres.
Il avait la nationalité française et, comme par hasard, perdait souvent sa carte nationale d'identité et son passeport. Il avait renouvelé ses pièces d'identité quatre fois, en cinq ans, perdues on ne sait où. Mobali, c'était le généreux guide qui gagnait désormais sa vie en prêtant ses papiers à ceux qui n'en avait pas ; ils s'en servaient pour travailler tandis que lui récupérait la moitié du salaire résultant de ce travail. Ainsi, en faisant travailler plus de dix personnes avec ses papiers dans toute la France, et en Europe, il avait un revenu mensuel d'au moins dix mille euros. Sa retraite, son allocation chômage, son assurance maladie et tout le reste des charges sociales d'un salarié étaient assurés par tous ceux qui travaillaient avec ses documents. Il n'avait plus besoin d'aller travailler officiellement.
Il ne s'emmerdait pas car en cas d'inactivité totale, il pouvait bénéficier de très raisonnables allocations chômage aussi bien en France qu'en Belgique, en Suisse ou en Grande Bretagne.
Outre ce job-traffic qui lui rapportait de confortables revenus réguliers, il était aussi celui par qui on pouvait obtenir un billet d'avion ou de train à moitié prix, pour toute destination dans le monde. Quelqu'un qui arrivait de Brazzaville, par exemple, avec un billet d'avion aller-retour et qui, pour X raison, n'utilisait pas le retour, confiait la moitié de son billet à Mobali qui se chargeait de trouver un acheteur en quelques heures, en général des étudiants qui voulaient rentrer au Congo soit pour des vacances, soit pour le décès d'un parent, soit pour la frime tout simplement. Le billet étant nominatif, Mobali se chargeait également de trouver, pour l'acheteur, un CIV - Certificat International de Voyage -, avec la photo de l'acheteur et le nom figurant sur le billet. Cette dernière opération était la plus simple de toutes.
En effet, le CIV s'obtient à l'ambassade et, l'ambassade du Congo à Paris est le fidèle reflet de la piteuse gestion du pays. Tous ceux qui y travaillent appliquent l'article 15 car ils n'ont pas de salaire régulier ; ils perçoivent un mois de leur traitement tous les semestres quand tout va bien ; c'est un peu compliqué à expliquer. Disons par exemple que, si en décembre, ils reçoivent leur paye du mois de juin passé, les autres mois entrent dans un coffre appelé « les arriérés », et ne leur seront ensuite payés que par affinité avec les chefs, et surtout en fonction de leur degré de docilité à leurs chefs.
Mobali avait trouvé là de bons alliés et il les soudoyait tous, à tel point qu'aucun document ne pouvait lui être refusé. Il pouvait faire faire un acte de décès pour quelqu'un de vivant, une carte consulaire pour quelqu'un de décédé, un acte de mariage ou de filiation pour n'importe qui, les documents étant établis et signés par le consul en personne. Pour chaque transaction, le consul et ses agents satellites percevaient un pourcentage sur le montant de l'opération et tout le monde était tranquille.