Chapitre 3 Le calme après la tempête

En attendant le retour de François, elles allèrent s'asseoir au salon, mirent de la musique africaine pour faire passer le temps qui semblait s'avancer à une allure d'escargot et continuèrent leur conversation au rythme du Ndombolo.

Le téléphone sonna, Rose s'y précipita en espérant que c'était François car elle mourait d'envie de le remercier et surtout de lui présenter des excuses; elle n'avait pas laissé sonner le téléphone plus de deux fois, elle s'était jetée dessus comme un prédateur affamé sur une proie :

– Allô !... Bonjour... Oui, elle est là, tu veux que je te la passe ?... Ne quitte pas... Christine, c'est pour toi.

Malheureusement, c'était Thomas qui voulait parler à Christine. Son espoir s'était évanoui et son angoisse grandissait à mesure que le temps passait; elle avait vraiment envie de parler à François. Elle tenta de l'appeler sur son portable, mais le répondeur se chargea de lui dire impoliment qu'elle pouvait laisser un message après le bip si elle le voulait, car son homme n'était disponible pour personne, pas même pour elle. Où était-il passé ? Que faisait-il ? Rose se condamna pour son attitude enfantine de la journée et espérait pouvoir réparer les dégâts s'il était encore temps. Elle tendit le téléphone à Christine qui n'avait pas l'air ravi de recevoir des coups de fil à cet instant ; mais par courtoisie, elle l'accepta :

– Bonjour,Thomas... Je vais très bien... et toi ?

– Comme toujours... Par contre, j'ai le pressentiment que tu as vendu la mèche, je me trompe ?

– Et c'est pour ce pressentiment que tu m'appelles ?... En effet, je l'ai fait... Ils savent tout à présent...

Christine n'était pas d'humeur à plaisanter ce jour-là, ni à se prêter à n'importe quel petit jeu ; mais elle avait dit à Thomas qu'elle avait dévoilé le secret et celui-ci était inquiet, il lui demanda :

– Tu n'as pas fait ça ?... Comment as-tu osé ? J'arrive tout de suite, descends et attends-moi au coin de la rue !...

– Je t'attends ici. Je n'ai pas envie de sortir, surtout pas par un temps pareil, rétorqua Christine qui en avait marre des cachotteries à la noix.

Elle raccrocha et retourna s'asseoir, tandis que Rose allait préparer les plateaux de boissons. Elle invita son amie à lui donner un coup de main et lui demanda :

– Il y a toujours de l'eau dans le gaz ?... Ce n'est pas gentil, ce que tu lui fais... J'ai l'impression que c'est toi qui le fais marcher... Tu veux un conseil d'amie ?... Un homme, ça se croit grand, fort et intelligent, mais en réalité, c'est petit comme un bébé, et c'est très fragile, il faut être souple avec un homme sous peine de le briser irrémédiablement.

– Thomas n'a rien d'un homme fragile, rassure-toi, il est très compliqué et très coriace, tu ne le connais pas... Tu ne peux pas vivre avec lui... Il a un sale caractère... Être capricieuse et lui faire du chantage, c'est mon seul moyen pour lui tenir tête et le dresser.

Peu après, François revint de sa petite escapade qui semblait l'avoir aidé à se calmer et à retrouver ses esprits. Il fut surpris de trouver les deux femmes ensemble en train de causer :

– Eh bien, je vois que vous avez fini de vous moquer de moi... Y'a plus le feu... Les sapeurs-pompiers sont passés par ici ?

Il s'adressa ensuite à Rose qui le regardait avec un sourire coupable :

– Tu as fini ta folie ?... Tu as retrouvé la raison ?... Bienvenue sur terre.

Il voulut se diriger vers sa chambre. Mais, Rose courut se blottir contre lui en lui disant :

– Je te demande pardon, mon amour... Je n'aurais jamais dû me comporter comme je l'ai fait, je ne sais d'ailleurs pas pourquoi je l'ai fait, je suis stupide.

– C'est le cas de le dire, rétorqua-t-il froidement.

– Tu aurais raison de te mettre en colère contre moi, mais pour l'instant...

Après un furtif petit baiser sur sa joue, elle se décolla de lui et alla chercher les boissons dans la cuisine, puis revint poser son plateau sur la table basse en poursuivant :

– Nous avons d'abord un important événement à fêter... Nous avons mis du champagne au frais en t'attendant... Je craignais que tu ne veuilles plus rentrer à la maison... Veux-tu nous faire l'honneur de te joindre à nous ?

– Tu es vraiment incorrigible, répondit François avant de s'asseoir dans le fauteuil à côté de Rose, fulminant de colère.

Rose leva son verre et porta un toast :

– À ton honneur, François, l'homme le plus merveilleux et le plus beau que la terre ait jamais porté !... À ta chance, Christine, ma meilleure amie, ma sœur !... À notre Bonheur à tous !

François leva son verre à contrecœur, sans rien dire, tandis que les deux filles répétèrent en chœur en levant leurs verres :

– À notre bonheur à tous !

Juste à cet instant, une sonnerie retentit à la porte et Christine s'y précipita en lâchant « j'y vais ! ». Elle ouvrit la porte et chuchota « je n'ai rien dit ! », avant de dire un « bonjour,Thomas » bien à haute voix.

– Je peux entrer ?

– Puisque tu es déjà là, tu peux, oui... Mais, la prochaine fois, ça sera non. En tout cas, moi, je ne te laisserai pas entrer, à moins que tu ne sois attendu.

– Mais !... Qu'est-ce qui te prend ?

– Un peu d'hypertension, un petit brin de folie, et beaucoup de ras-le-bol... Je ne te supporte plus, toi et ton mensonge.

– Oh ! Un pieux ange en enfer ! Laisse-moi rire. Je crois savoir que je ne suis pas seul dans ce que tu qualifies de mensonge.

Ils font un pas vers le salon et il lui chuchote :

– N'oublie surtout pas que c'est grâce à ce mensonge que tu as la chance de ne pas coucher dans la rue!

Pendant que Christine et Thomas réglaient leurs comptes devant la porte, Rose disait à François que Thomas ne savait rien et ne devait rien savoir à propos du mariage, Christine se chargerait de le lui dire elle-même, au moment opportun.

Thomas se joignit à eux, on lui offrit un verre pour fêter... l'amitié et... ils trinquèrent à l'intense bonheur que procure l'amitié.

Rose se réjouissait d'avoir réussi à faire vivre son ingénieuse idée et d'avoir accompli un devoir de solidarité civique, d'avoir offert une opportunité de bonheur à quelqu'un malgré les risques encourus dans cette aventure. Elle ressentait de la fierté pour avoir pu éviter à son amie un avenir probablement catastrophique dans un coin abandonné de ce monde si injuste. Elle se souvenait du jour où, faisant du shopping pour son futur mariage non encore planifié, elle se rendit compte que son bonheur passerait inévitablement par celui des autres et qu'elle se devait d'agir.

– Tu ne choisis rien ? avait-elle demandé à Christine, dans cette boutique aux mille merveilleuses robes.

– Je n'ai pas d'argent et surtout, je n'ai besoin de rien pour l'instant, rétorqua celle-ci.

Admirant telle robe, touchant telle autre, Rose dit ironiquement à son amie :

– Tu fais bien de me rappeler que tu n'as pas d'argent, je l'avais totalement oublié, tu sais !

Et un rire détendu couvrit la blague pour protéger la précieuse relation qui unissait les deux filles. Rose invita finalement Christine à choisir ce qui lui plaisait car elle le prendrait sur son compte ! Elles s'émerveillaient devant la multitude et la somptuosité des robes nuptiales dans lesquelles elles s'imaginaient heureuses, et elle demanda à Christine :

– Laquelle penses-tu pourrait bien m'aller ?

– Tu vas te marier ?

– Un jour, oui !...

Christine lui montra une des robes et lui dit :

– Celle-ci est très belle... Elle serait magnifique sur toi et tu serais ravissante dedans !

Pendant que Christine admirait la robe en la caressant envieusement, Rose, qui avait le regard ailleurs, cria :

– Viens voir par ici... Comment trouves-tu celle-ci ?... Elle est féerique, tu ne trouves pas ?...

Elle se ressaisit de son emportement puis poursuivit :

– En fait, j'ai envie de me marier en tenue africaine, un beau bazin blanc symbolisant la pureté. J'en ferais bien une très belle robe longue à traîne, brodée avec des motifs roses pour symboliser la féminité. Je ferais un régime d'enfer et j'aurais la silhouette d'une sirène... Mais, je ne sais pas si François l'accepterait... Tu sais, je ne sais même pas quand nous allons nous marier... Nous n'en avons plus jamais parlé...

La dernière fois où François m'a parlé de mariage, c'était un soir où nous étions venus nous promener par ici, il m'avait demandé de lui montrer la robe qui me plairait, et depuis, plus rien... Mais, j'aime cette robe et je vais me la prendre ; c'est toi qui vas me la garder dans ta chambre... Pas un mot à François... Je peux compter sur toi ?

– Et si vous ne vous mariez pas, que ferais-tu de cette robe ?

– Je la revendrai... Ou... je la garderai pour mon enterrement... Ou alors, je te l'offrirai pour ton mariage avec Thomas... C'est pour quand, au fait ?

Gênée par cette question tout à fait inattendue, Christine se défendit :

– Je ne suis plus sûre de me marier avec lui... On ne s'entend pas si bien que ça, tu sais... Quand je dis blanc, il dit noir et quand je vois rouge, il voit marron... Alors, tu comprends qu'il vaut mieux ne pas s'engager trop vite dans une voie sombre et sans issue pour finir par le regretter plus tard.

Rose se souvenait également du jour où Christine, complètement atterrée, lui avait annoncé qu'elle ne pouvait plus rester sur le territoire français, en lui montrant son arrêté d'expulsion.

Elles ne se connaissaient que depuis peu, pourtant, elles s'entendaient déjà tellement bien que, ne rien faire face à cette situation, était impensable pour Rose qui se remua pour trouver une solution plus efficace que ces petits mots noirs sur ce bout de papier blanc, des motifs qu'elle jugea purement absurdes.

Christine vivait en France, depuis plus de six ans, où elle était censée être venue étudier la philosophie.

            
            

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