« Bonjour, nous sommes détachés par le commissariat urbain. Le cabinet du préfet nous a mandatés pour retrouver le jeune Julien Maillard. Il a disparu depuis quelques jours. Son père nous a informés qu'il était très proche de mademoiselle votre fille », déclara le plus jeune des policiers ;
« Lui parti France », souffla-t-elle troublée par ces révélations qui trahissaient sa proximité avec le jeune homme.
« Non mademoiselle, il devait prendre le Kairouan, mais il s'est éclipsé durant l'embarquement des passagers. Ses parents pensaient qu'il se trouvait sur le pont avec les rapatriés. L'oncle du petit a le bras long, c'est un juge à Marseille. Vous êtes certaine d'ignorer où il se dissimule ? » insista l'agent.
Camilia n'avait pas tout compris, celui-ci parlait très vite. Lounes éloigna sa fille, il n'appréciait guère la tournure que prenait cette conversation.
« Ma fille ni si rien. Veni, i faut chercher à la villa Mansour », proposa-t-il.
« La villa Mansour est condamnée. Nous avons inspecté les lieux, il n'y a aucune âme qui y vive.
M. Maillard était certain que vous le cachiez », dit le plus âgé.
Lounes leur proposa de fouiller la maison qu'il venait d'acquérir. Après le départ des officiers, Lounes et Sakina adressèrent un regard empreint de défiance à leur fille.
« Pourquoi la police dit que le jeune Maillard se cache chez nous ? » demanda Lounes.
Camilia haussa les épaules espérant ainsi rassurer ses parents. Durant la nuit, Camilia ne parvint pas à s'endormir se demandant ce qui était arrivé à Julien. Elle se leva, s'habilla dans la pénombre et résolut de se rendre à la villa Mansour. Elle était située en contrebas du chemin, en se dépêchant elle sera revenue avant le réveil de ses parents. Elle s'immobilisa en arrivant à proximité, il lui sembla apercevoir une lueur vaciller sous le panneau du cellier. Silencieusement, Camilia actionna le verrou, il était bloqué.
« Camiléon ! Camiléon ! » appela-t-elle.
L'étincelle qu'elle avait discernée avait disparu. Lentement, la porte s'entrouvrit, une main glacée saisit son bras et l'attira à l'intérieur. La lumière lunaire dévoila le jeune homme, ses cheveux blonds hirsutes étaient maculés de paille, des cernes encerclaient ses yeux verts, son visage était tellement sale qu'elle ne pouvait plus distinguer ses taches de rousseur, ses vêtements dégageaient une odeur de sueur. Depuis quand se terrait-il ?
« Qui passe, police ti cherche ? »
Sur une tonnelle frémissait la flamme chancelante d'une bougie.
« Je ne voulais pas t'abandonner. Mon père a décidé de mon avenir. Je ne savais pas quoi faire comme je ne suis pas encore majeur, mes parents ont refusé d'écouter ma confession. Qu'allons-nous devenir ? »
« Mais ti dois dire pour nous. Le mariage, ti parti, ji plus confiance. Ti dis rien, ti cache et moi j'attends avec la peur », gémit Camilia.
Julien ne pouvait lui révéler ce que son père et M. Picard avaient projeté. Comment entretenir un avenir sur un mensonge, dont il était la victime forcée ? Depuis que la jeune fille était apparue devant lui, toutes ses peurs et ses doutes s'étaient effacés. Le destin lui concédait un répit puisqu'elle était ici. Il avait entassé des sacs de semoule percés, au coin de la pièce en guise de couchage. Il s'était nourri de boîtes de conserve abandonnées par ses parents.
« Ti faire quoi ? » interrogea Camilia.
« Nos plans ! On va partir ensemble, je chercherai du travail, ensuite on se mariera ».
« Ici Algérie ! jamais, pas même religion, le pays colère, faut parti, ji peur si on sait pour nous. Reviens, quand ton baba béni nous ».
« Tu veux toujours te marier avec moi et avoir plein d'enfants ? Promets de ne jamais oublier combien je t'aime », murmura-t-il en l'attirant sur les sacs de toile.
« Tout que ti voudras », murmura Camilia.
« Une fille ! une fille qui te ressemblera, on l'appellera Maya. Tu ne connais pas la civilisation maya, je suis convaincu que tu aimeras leur culture. Ne t'inquiète pas, je lui donne son prénom, mais toi tu lui feras don de ta beauté ».
Soudain, la porte vola en éclat provoquant le frissonnement des jeunes amants. Deux policiers pénétrèrent dans le cellier, Julien resserra son étreinte, mais les deux hommes l'empoignèrent et l'escortèrent hors du local. Julien se débattait et gesticulait de toutes ses forces, sous les yeux de Camilia envahie par la stupeur. Durant l'interpellation, la chaîne surmontée de la médaille de St Christophe se rompit et gisait sur le sol. Camilia s'agenouilla et l'attrapa pour la dissimuler dans sa poche. Elle se précipita à l'extérieur, déjà le véhicule s'était enfoncé dans la pénombre. Elle ne put que distinguer l'éclairage mobile des phares. Promptement, elle rejoignit sa demeure avec l'espoir que sa famille soit encore endormie. Cependant, une interrogation persistait dans son esprit, les policiers l'avaient-il mise sous surveillance, comment avaient-ils su ?
Julien était allongé sur une couchette, la porte de la cabine bâilla, deux individus vêtus de complets noirs firent irruption.
« Monsieur Maillard, nous avons été délégués par M. le juge Maillard, afin de vous escorter jusqu'à Marseille. Durant la traversée, vous serez confiné dans ce quartier et n'en sortirez qu'à notre escale. Avez-vous saisi cette ordonnance ? » déclara l'un des visiteurs.
« C'est mon oncle qui a organisé cet enlèvement. Mon souhait était de rester en Algérie, mon pays de naissance. J'ai des droits », lança Julien.
« La situation en Algérie étant actuellement sous tension, il est préférable pour les citoyens expatriés de regagner la France. Quant à vos droits, vous les récupérerez à votre majorité. Vous ne pouvez décider de la destination à donner à votre rapatriement. Une collation va vous être servie, sur ce, bien le bonsoir », confia l'autre agent.