Souffles d'amours interdites
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Chapitre 4 No.4

Au loin, le ciel était assombri par les incendies qui fleurissaient partout dans la ville. Des bruits de détonations et de cris brisaient le silence du paysage champêtre, Camilia empoigna la main de son petit frère et hâta ses pas. Les jours passaient et la tension grossissait dévorant le calme fragile. Camilia savait que chaque jour réduisait l'équilibre de cette réalité qu'elle connaissait. Elle se persuadait que tout finirait par s'arranger, le monde ne pouvait préférer la discorde.

Ce soir-là, dans sa petite chambre, elle achevait de ranger le peu de linge qui traînait, quand elle entendit des petits coups heurtaient sa fenêtre.

« Ouvre ! Avant que quelqu'un ne me découvre », murmura Julien.

Celui-ci enjamba prestement la pièce d'appui et referma la crémone ; Camilia jeta ses bras autour de son cou, sa présence ressemblait à cette trêve que l'on espère et qui tarde à aboutir. Comment pourrait-elle s'affranchir des liens familiaux qui s'ancraient en elle, elle encourait la disgrâce si elle poursuivait cette voie. Il lui fallait sa force pour tenir.

« Écoute-moi, il y a peut-être une issue à notre problème, mais tu dois être d'accord », dit-il.

Camilia l'observa, détailla cet être qui avait le pouvoir de l'apaiser, cet être que tout opposait, mais qui la complétait. Tout ce qu'il allait lui proposer, elle y consentirait.

« Nous allons le faire », déclara-t-il.

Ils en avaient souvent parlé, surtout lui, car Camilia ne parvenait pas à balayer la crainte qui écrasait sa gorge, elle sentit la chaleur accabler son corps. Elle l'aimait, c'était certain, mais que resterait-il d'elle après cet abandon ? Elle l'aimait, mais la fille perdue qu'elle deviendrait, retrouverait-elle le chemin de la quiétude ? Elle n'avait jamais franchi la porte close de l'indécence car ses parents la répudieraient pour cette offense.

« Mais si on le fait, baba et ma y me tier, pour eux ji suis une impure », gémit-elle.

« Si je demande ta main, nos parents s'y opposeront et nous sépareront. Si je leur annonce que nous avons accompli l'acte. Ils seront contraints d'accepter notre mariage », annonça Julien.

« Ji peur, ti di qu'on force, ton baba di Camilia mauvaise fille, ji suis pas comme toi », confia-t-elle.

« Mes parents ne te rejetteront pas. Comme tu n'appartiens pas à la bourgeoisie, ils seront déçus. Mon paternel a toujours voulu que j'épouse la Picard, pour favoriser sa position. Seulement, c'est toi que j'aime ».

Julien attira son visage entre les paumes de ses mains. Il ne pourrait envisager de quitter cette patrie sans elle.

« Pour eux, l'honneur d'une jeune fille est précieux. C'est eux qui ont abordé le sujet l'autre soir, ils doivent se douter de quelque chose », dit-il.

Camilia se détacha en le repoussant, elle ne pouvait concevoir que leur relation même juvénile soit dévoilée à quiconque. Cette liaison secrète était vierge de toute intrusion.

« Ti crois qu'i savent pour nous ? »

« Je n'en sais rien. Mais mon père m'a fait tout un sermon concernant les responsabilités et les engagements. Tu vois, tu n'as aucune inquiétude à avoir. Ils béniront notre union ».

Ainsi dans la ferveur du tumulte, l'ingénue confia sa pudeur, convaincue de son serment. La nuit fut le témoin de leur tendre épanchement,elle ignorait que cette première fois cristalliserait au fond de son âme le venin séculaire.

Le présent avait déroulé la bobine d'un avenir gonflé par les événements liés à l'indépendance de l'Algérie. La famille Maillard avait quitté le pays. Plusieurs jours auparavant, leurs bagages avaient rejoint un conteneur pour être livrés à Marseille.

Ainsi un matin, Camilia vit s'évanouir ses projets derrière les vitres douteuses d'un taxi jaune abîmé par la mitraille. Le paquebot « le Kairouan » ferma cette parenthèse en les éloignant du désordre sévissant dans le pays. Au lever du jour, alors que le soleil timide tardait à montrer ses rayons, Camilia fut réveillée par le bruit de la porte d'entrée qui venait de se refermer. Elle avait perçu des timbres de voix étouffés par les murs. En se retournant, elle avait découvert ce petit mot ; mais comme elle n'avait pas pu tout déchiffrer, elle avait demandé à Kalil de le lui lire.

« Je vais parler à mes parents, je t'aime Camilia ».

Quelques semaines plus tard, il partait. Depuis cette nuit, où elle s'était livrée à croire qu'ils ne faisaient plus qu'un, il s'était détaché d'elle et n'était plus revenu honorer ses promesses. Elle ne regrettait pas de s'être offerte à lui, mais lui, avait-il été déçu ?

Lorsque Julien poussa la porte du bureau de son père, il le trouva en grande discussion avec M. Picard, ils cessèrent d'échanger comme s'ils l'attendaient

« Entre mon garçon, tu connais M. Picard. Il est venu me rapporter un fait des plus fâcheux et qu'il convient de débrouiller séance tenante », annonça Pierre, la mine contrariée.

Julien reconnut le père de Jacqueline, une de ses camarades de classe avec laquelle il n'avait aucune affinité. Elle était égoïste et pimbêche, son père cédait à tous ses caprices financiers. Il ne savait pour quels motifs, elle avait jeté son dévolu sur lui. Il avait beau décliner ses sollicitations, elle persistait à le relancer.

« Je n'irai pas me hasarder à te questionner sur les rapports que vous entretenez ma fille et toi. Mais tu te dois de réparer l'affront commis », déclara M. Picard, il avait pris un ton solennel espérant amplifier sa démarche.

C'était un homme de grande taille, il dégageait un certain magnétisme et utilisait cet avantage pour effrayer ses adversaires. Il s'avança en boitillant ce qui lui conférait un air menaçant, Julien n'appréciait pas l'individu et ne se laissa pas déstabiliser.

« Mais de quoi s'agit-il ? » s'inquiéta Julien.

« Sa fille est enceinte et tu serais responsable de cette situation », annonça Pierre.

« Ce n'est pas possible ! » se défendit Julien.

« Ne te dérobe pas à tes obligations ! Ma fille n'est pas une menteuse. Elle m'a confié s'être livrée à toi, lors de votre soirée de gala ».

Julien ne se rappelait pas avoir approché la jeune fille durant de cette manifestation, il avait bu et s'était assoupi puis plus rien n'avait subsisté de cette veillée. Elle n'avait pas cessé de le presser durant toute la soirée, il répugnait à la fréquenter, car désobligeante avec les indigènes.

« Calmez-vous ! Il n'est pas nécessaire de vous enflammer. Nous allons régler cette affaire, mon fils assumera cette condition, nous entamerons les formalités en France. Je ne souhaite nullement que ce scandale s'ébruite », conclut Pierre déterminé à achever cette entrevue.

« Mais je n'ai aucun souvenir de ce qui a pu se passer, j'avais bu plus que de raison. De plus, je n'éprouve nul attachement pour Jacqueline ! Ce n'est pas d'elle dont je suis épris », avoua Julien.

« Il n'en demeure pas moins que celle-ci attend un enfant, à moins qu'elle soit l'Immaculée Conception, tu as commis un impair et tu dois le réparer », dit Pierre.

Julien avait pris la décision de taire ce malencontreux incident à Camilia, tous les projets planifiés venaient de s'ébranler. Il aurait dû être plus vigilant. La première fois qu'il l'avait rencontrée, Jacqueline avait jeté son dévolu sur lui. Elle n'avait pas dissimulé ses sentiments le concernant, il n'avait eu de cesse de l'éconduire et voilà qu'elle l'avait bel et bien piégé.

            
            

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