Je n'arrivais pas à émettre un son ou bouger le moindre petit doigt pour signifier ma présence dans cette salle. Je suis présente de corps mais mon esprit est si loin.
Je sens une main tapoter mon épaule si tendrement, comme si son propriétaire avait peur de me blesser. De toute façon, qui ou qu'est ce qui pourrait me faire plus mal que ce que Marc-Aurel m'a fait ? J'ai tout donné à cet homme, ma vie, mon âme, mon corps, mon cœur, tout de moi...
Comment a-t-il pu être aussi méchant avec moi ? Pourquoi cela m'arrive-t-il ? Et pourtant, j'ai pris toutes mes précautions. J'ai mis les garde-fous pour ne jamais me retrouver dans une pareille situation... A croire que ce qu'on refoule du plus profond de notre être finit par nous retrouver, telles des forces contraires qui s'attirent.
-Madame AMETI ! Insistait la voix.
Je sentis une tape qui se veut plus forte sur mes épaules.
Enfin, je reprends conscience et constate que j'étais dans la salle d'attente du service de gynécologie de la clinique « Mont d'OLYMPE ».
- Excusez-moi docteur, dis-je. Je...
Je me tus, ne sachant quoi dire.
Sans s'attarder dessus, il me fait un sourire et m'invite à le suivre dans son bureau.
Je me lève de mon siège et fais deux pas à peine quand, sans le vouloir, mon regard tombe sur un couple assis un peu plus loin. L'homme avait une de ses mains sur l'épaule de sa partenaire et la seconde tenait la main de cette dernière. Leurs visages reflétaient la paix, l'amour et le bonheur. Comme je les envie ! J'aurais aimé continuer par être heureuse de la nouvelle qui m'emmène ici.
Pour ne plus faire trop attendre le docteur BACA, je détourne mon regard de ce couple, non sans pousser un soupir de tristesse.
Enfin je pénètre ce bureau. J'avais toujours pensé qu'en un pareil moment, je franchirais le seuil de cette porte accompagnée de celui à qui j'aurais remis mon cœur. Je me disais que j'aurais un visage semblable à celui de ce couple. Jamais je n'aurais imaginé qu'en un tel jour, j'aurais cet air perdu et désolé que j'affiche en ce moment.
Je referme la porte derrière moi et avance jusqu'au siège que le docteur me désigne par un geste de la main. Il attend que je prenne confortablement place et après de brèves salutations me demande l'objet de ma consultation.
-Je suis enceinte. Lui dis-je, le regard ailleurs.
-Ah ! Toutes mes félicitations, Madame.
Je ris intérieurement au lieu d'en pleurer. Ces félicitations en d'autres circonstances, m'auraient rendu heureuse. Mais, en ce moment, je m'en veux tellement pour n'avoir pas su protéger cet enfant. Je m'en veux de n'avoir pas pu empêcher l'histoire de se répéter. Mais, il n'est pas tard et je suis dans ce bureau précisément pour remédier à cette situation. Il est impératif que j'empêche l'histoire de se répéter...
-Madame AMETI! Êtes-vous avec moi ? Demanda le médecin.
-Oui Docteur, je suis avec vous.
Une fois encore, je me suis laissée submerger par mes soucis.
-De combien de mois êtes-vous enceinte ?
-Un mois et demi voire deux, je ne sais plus trop. Répondis-je.
-Bien ! Reprit-il. Nous allons vous faire faire quelques examens pour...
-Non docteur, je veux avorter. Le coupai-je d'un trait.
-En êtes-vous certaine ? Je croyais que, enfin... N'est-ce pas pour tomber enceinte que vous avez subi un traitement?!
-Les choses ont changé docteur. Répliquai-je dépitée.
Il me lance un regard plein d'interrogations mais s'abstient de tout commentaire par respect pour ma vie privée.
-Nous allons quand même faire une échographie pour déterminer l'âge exact de la grossesse. Aussi, je vous suggérerai un temps de réflexion d'une semaine pour y voir plus clair, en ce qui concerne cette décision d'IVG (Interruption Volontaire de Grossesse).
Des flots de larmes se mettent à couler de mes yeux. Je sors un mouchoir dans mon sac pour les sécher.
-Calmez-vous madame !
Je redouble les pleurs à tel enseigne que le médecin se lève de son siège pour occuper celui à côté de moi. Il hésite un instant mais finit par poser une main sur mon épaule.
-Ivanny, permettez-moi de vous appeler par votre prénom. J'ai été témoins de votre enthousiaste et détermination à vouloir tomber enceinte le plus tôt possible. Vous respiriez une joie de vivre que j'ai admirée la première fois que vous êtes entrée dans mon bureau. J'ignore ce qui a bien pu se passer, aussi ne voudrais-je pas le savoir mais, sachez que quoi qu'il se passe, cet enfant reste une bénédiction. Je ne cherche en aucun cas à influencer votre décision. Elle reste en toute circonstance la vôtre et doit être libre de toute contrainte ou pression. Seulement, ne vous mettez pas dans cet état et ne prenez pas une telle décision parce qu'un idiot quelque part vous aurait brisé le cœur. Ce bébé est le vôtre, c'est vous qui le portez, c'est vous qui connaitrez le bonheur de le sentir bouger en vous, c'est vous qui le ferai venir dans ce monde.
-Docteur...
-Ne dites-rien, rentrez chez vous et revenez demain pour l'échographie.
J'acquiesce de la tête tout en continuant par essuyer mes larmes.
-Vous sentez-vous capable de rentrer toute seule ?
-Oui, je suis venue en taxi et je rentrerai par le même moyen.
-Parfait ! Alors, rentrez chez vous prendre un bon bain, manger un bout et dormez. Demain est un autre jour.
-Merci docteur BACA.
-Je vous en prie.
* *
*
Je franchis la porte de mon appartement et m'écroule au sol après avoir refermé derrière moi. Je n'ai qu'une envie, celle de pleurer. Pleurer pour évacuer toute cette amertume, cette douleur et cette colère qui remplissent mon être.
Tous les souvenirs de mon enfance refont surface et je suis encore plus déterminée à mettre un terme à cette grossesse. Instinctivement je pose la main sur mon ventre que je caresse avec amour.
-Mon pauvre bébé, même si j'ai pris la décision de te tuer, saches que je t'aime. Je t'aime tellement que je veux t'éviter de vivre tout ce que j'ai vécu dans mon enfance. Je ne veux pas que tu ressentes le poids des haines de toutes ces personnes qui t'accuseront de ce que tu n'as jamais fait et jamais voulu. Je ne veux pas qu'un jour, tu vois sur un papier « né des œuvres avec »... tandis que d'autres seront désignés comme « des enfants légitimes nés de l'union de... ».
Consciente que la voix ineffable de cet enfant me demandait, « Maman, qu'ai-je fait pour mériter un tel sort ? N'ai-je pas droit à la vie ? » La décision d'y mettre fin à cette vie devient de plus en plus forte. Mon pauvre bébé...
Non, toi tu ne seras pas l'enfant illégitime, l'enfant d'une infidélité, le fruit des mensonges et de la méchanceté d'un homme égoïste. Non, je refuse que tu vives tout ça.
Je pleure toutes les larmes que mon corps peut produire en cet instant, la douleur me perçant le cœur comme une épée qu'on y enfonce. Je m'allonge à même le sol et me replonge dans les douloureux souvenirs de mon enfance.
*
Vingt-deux ans plus tôt
Ce jour-là, comme toute petite fille insouciante de mon âge, six ans pour être exacte, je jouais avec ma poupée nommée Lila devant la porte de notre petit appartement. Nous habitions une cour commune de six ménages, si je m'en souviens bien. Trois femmes débarquèrent à la militaire et demandèrent d'après ma mère chez une de nos voisines qui n'hésita pas à leur montrer notre porte. La femme de mon père était au front et aidée des deux autres, elles avaient insulté et battu ma mère, la traitant de voleuse de mari et de sorcière. Elles la mirent nue et la trainèrent dans la poussière piquante de la cour. N'eut été l'intervention des voisins, peut-être aurait-elle perdu la vie.
J'ai assisté à cette scène, impuissante et horrifiée qu'elles ne s'en prennent à moi également, ne comprenant absolument pas ce qui se passait à l'époque.
Enceinte alors d'un autre enfant qui jamais n'avait pu voir le jour, c'était en fait ce jour-là que ma mère découvrait que l'homme qu'elle fréquentait depuis près de sept ans était marié à une autre.
Il ne lui avait jamais réellement appartenu. Elle s'était laissé bernée par cet homme qui lui jurait amour et lui faisait miroiter une belle cérémonie de mariage dès qu'il aurait assez d'argent.
Monsieur était marié depuis quinze années, aussi bien devant le maire qu'à l'église. Il avait une vie différente de celle qu'il faisait croire à ma mère. Une belle maison, quatre beaux enfants, une voiture et un bon boulot. Et pourtant, il ne venait chez nous qu'à moto, une vieille Mate qui aurait connu des jours meilleurs. Il disait qu'il était en quête d'emploi stable et qu'il se débrouillait avec de petits jobs à Lomé la capitale. Nous vivions à Atakpamé, une ville à l'intérieure du pays à plus de cent trente kilomètres de Lomé, tandis qu'il vivait la belle vie avec sa famille à Lomé. C'était donc en toute confiance que ses longues absences n'éveillaient pas le moindre soupçon chez la pauvre femme amoureuse qu'était ma mère.
Dieu seul sait jusqu'à ce jour comment maman Salomé, la femme de mon père, avait eu à découvrir notre existence et débarquer avec sa petite armée.
Après ce jour, il n'y a plus jamais eu de relation entre mes parents mais j'étais là et il devait s'en occuper. Malgré moi, j'ai dû faire la connaissance de mes frères et sœurs. La grande famille de mon père était alors divisée, certains soutenant ma mère et d'autres la méprisant. Les derniers étaient bien plus nombreux que les premiers.
Le calvaire nous avait embrassé quand il lui avait imposé de s'installer à Lomé, sous la menace de ne plus s'occuper de moi. La ville est grande mais elle était devenue trop petite pour ma mère et maman Salomé qui ne manquait aucune occasion pour l'humilier.
Les quelques fois où j'étais allée dans la maison de mon père pour les vacances, j'avais droit à être traitée de la fille de la sorcière, la bâtarde, l'enfant de malheur et j'en passe. Les amies de ma belle-mère ainsi qu'elle-même ne rataient aucune occasion pour me rappeler que j'étais le fruit d'une infidélité, la cause d'un chagrin d'amour, l'instigatrice d'une blessure ouverte à jamais dans le cœur.
J'étais l'enfant de la discorde, celle à cause de qui les disputes ne cessaient...
* *
*
Des coups frappés à ma porte me déconnectent de mon voyage vers mes souvenirs. Je me lève péniblement du sol et vais ouvrir la porte. Marc-Aurel se tient devant moi, plus élégant que jamais. D'un teint noir ébène, il fait un mètre quatre-vingt cinq. Son corps est la représentation physique de la tentation, il en prend grand soin en faisant beaucoup de sport. Sur son visage ovale, des yeux en amande, des lèvres charnues et un nez européen lui confèrent un de ces charmes qui m'a fait sauter mes barrières construites avec soin.
Nous nous jaugeons du regard quelques secondes. Il caresse son menton dépourvu de barbe et essaie de franchir le seuil de la porte que je maintiens fermement.
-Que veux-tu ? Le questionnai-je d'un ton agressif.
Il prend le temps de poser sa main sur le cadre de ma porte avant de daigner me répondre, l'air insouciant.
-Nous devons parler Yvanny.
-De quoi donc ?
-Tu le sais bien, de ta grossesse et de nous!
-Déjà, il n'y a plus de « nous ». Tout a bien été clair Marc. « Je ne veux pas d'autres enfants à part ceux que j'ai avec ma femme. Si tu veux le garder, je lui donnerai bien évidemment mon nom mais ne t'attends pas à ce que je m'implique à cent pour cent dans sa vie ».
C'était bien tes mots? J'ai compris et je te décharge de la lourde tâche qu'est celle de supporter mon enfant.
-Yvanny ! Tentant de me caresser le visage
Je recule d'un pas et il en profite pour rentrer dans l'appartement.
-Sors de chez moi Marc-Aurel. Je ne le répéterai pas deux fois ! Criai-je, hystérique.
Il ne s'en formalise pas et va s'asseoir sur mon canapé de toute son audace, posant une jambe sur l'autre.
-Enfin, ça ne t'a pas suffi de me briser le cœur comme tu l'as fait ? Il faut maintenant que tu me fasses chier ? Repris-je, au bord des larmes.
-J'en ai marre Yvanny. Tu ne seras ni la première, ni la dernière fille à qui cela arrive. Arrêtes de te comporter comme une petite fille et viens t'asseoir pour qu'on trouve une solution à ce problème.
-J'hallucine ! Tu es un criminel Marc-Aurel.
-Je suis fatigué Anny. Finissons avec cette histoire le plus tôt possible, chacun de nous ne s'en portera que mieux.
-Je regrette chaque minute et chaque seconde partagé avec toi, tu n'es qu'un égoïste et un salop !
-Tout ça tu me le répètes depuis une semaine déjà. Viens t'asseoir et discutons comme deux adultes. Dit-il en haussant le ton.
Je me rappelle de ces mots doux qu'il me sortait, de ce jour où il s'était mis à genou devant moi pour me déclarer sa flamme. J'avais vérifié son annulaire qui était dépourvu d'alliance. Je l'avais fait poireauter des mois pour me convaincre de son amour. Il était toujours disponible et m'appelait à n'importe quelle heure. Nous nous affichions n'importe où sans que je ne décèle une quelconque angoisse dans son attitude. Après cinq mois, il parlait de bébé et de mariage. Nous avions fait nos bilans de santé pour laisser tomber le préservatif. J'étais sur mon petit nuage jusqu'à ce que sa femme débarque sur mon lieu de travail, il y a sept jours de cela...
Je le regarde et une envie de meurtre s'empare de moi. Une voix intérieure m'ordonna de prendre le vase posé sur la table centrale et de lui briser la nuque avec. Pour éviter de succomber à cette pensée criminelle, je sors de l'appartement.
* *
*
Marc-Aurel me saisit le bras et me ramène en arrière, m'empêchant ainsi d'ouvrir le portail. Je lui administre une gifle avec une force qui me surprend.
-Ok, c'est comme tu voudras ! dit-il le visage bouffi de colère.
Il précipite ses pas vers l'appartement et en ressort deux minutes après, muni de sa clé de voiture. Il me dépasse sans un mot et claque le portail après lui.
Je me laisse choir une fois de plus sur le sol, sans me soucier de me brûler la peau parce qu'il est très chaud. Je le refroidis par endroit, avec mes larmes qui coulent telle une rivière. La douleur est insupportable. J'aime cet homme comme jamais je n'ai aimé dans ma vie. Je me voyais finir ma vie avec lui.
C'est dans cette position que Coralie ma voisine du dessus vient me trouver. Prise de panique, elle se met à hurler, croyant que j'étais inconsciente. Elle m'aide à me relever et me conduit chez moi. Seules mes larmes répondent à ses questions pour s'enquérir de mon état.
Elle m'aide à m'allonger sur le canapé, met la climatisation en marche et disparait dans ma cuisine. Une odeur agréable de chocolat embaume la pièce quelques instants plus tard. Coralie revient avec deux tasses fumantes et les pose sur la table centrale. Dans mon état, je ne me fais pas prier pour vider la tasse de chocolat chaud en un rien de temps. Coralie me regarde sans rien dire, la sienne entre les mains.
-Ça va ? Finit-elle par me demander
Je secoue la tête. Mes larmes qui s'étaient asséchées le temps d'un court instant reprennent de plus belle. Elle quitte son siège pour le mien et me prend dans ses bras. Je me laisse aller et vide mon corps de toute liquide lacrymale. Elle ne fait que me tapoter l'épaule mais ce geste me réconforte d'une manière inattendue. Nous restons ainsi jusqu'à ce que le sommeil m'emporte.
Je me réveille avec le ventre qui gargouille et la tête qui cogne comme le tambour des « Kotokoli », une ethnie de la région centrale du Togo dont la danse traditionnelle est rythmée par des tambours aux sons herculéens.
La pièce est plongée dans le noir, me faisant réaliser que j'avais dû dormir très longtemps. Je me lève avec peine et titube jusqu'à l'interrupteur pour faire jaillir la lumière. Je cherche mon sac à mains du regard et le retrouve sur la table à manger. J'y cherche mon calmant contre les maux de tête. Une bouteille d'eau était posée sur la table alors je prends aussitôt mon médicament.
J'avance jusqu'à la cuisine sans avoir la force de me faire à manger. Le frigo est presque vide puisque je n'ai pas encore fait les courses. Je m'empare d'un pot de yaourt et vais me poser sur le canapé pour le déguster.
Des coups sont frappés à ma porte cinq minutes après. Je vais ouvrir et c'est Coralie qui est là avec un gros plat en main. L'odeur de la sauce pour accompagner l'igname pilée communément appelé « foufou » s'en échappe.
-Entre s'il te plait. Lui dis-je en cédant le passage.
Elle va poser le plat sur la table à manger.
-Vas déjà te laver les mains, le foufou n'aime pas trop attendre.
Je m'exécute et mange avec appétit. La viande de mouton est si tendre que mes dents n'ont pas grand-chose à faire.
La vie est pleine de surprise, je n'ai jamais été amie avec Coralie, me contentant d'une relation de voisinage sympathique. Elle avait essayé de se rapprocher de moi quand j'ai aménagé ici mais, parce que j'ai su qu'elle sortait avec un homme marié qui l'entretient de surcroit, j'ai planté des bornes entre nous. Aujourd'hui, elle est là avec moi, me soutenant sans rien demander en retour.
-Je te présente mes excuses Coralie. Lançai-je.
-Et pourquoi donc ? Demanda-t-elle surprise.
-Je t'ai jugé sur une situation dans laquelle je pensais ne jamais me retrouver...
Elle soupire, ayant sûrement compris ce à quoi je faisais allusion.
-Tu veux en parler ?
En réalité, je ne sais pas s'il faut le faire. Je suis du genre solitaire qui garde mes peines et mes joies pour moi. A la limite, je partage certaines choses avec ma mère. Sur ce coup, je crois que me vider le cœur ne me fera que du bien mais la peur que ma vie se retrouve dehors me fait me ressaisir. Je ne la connais pas assez.
-Je vis une terrible déception. Je t'en parlerai peut-être après mais pour l'instant, je n'ai pas la force de le faire. Me contentai-je de d'avouer.
-Je te comprends ma chère voisine. Sache que je suis là au besoin.
-Merci pour tout, vraiment merci. Le repas est très bon !
-Merci d'apprécier.
-Tu blagues, j'adore !
Je finis mon plat et bois la sauce jusqu'à la dernière goutte.
-Il faudra me donner la recette, j'aime trop cette sauce.
-Aucun souci ma belle. Je vais te laisser, mon homme doit passer d'un instant à l'autre. Mais si tu veux, nous pourrions passer la soirée ensemble, devant la télé. Histoire de discuter des trucs de fille !
-Je suis là, je ne bouge pas de l'appartement.
Je raccompagne Coralie quand en ouvrant la porte je tombe sur « elle ». Je recule instantanément, prise de peur.
-Bonsoir, lança-t-elle d'une manière arrogante.
Coralie est la seule à lui répondre. Mes mâchoires sont tout d'un coup serrées. Mon instinct éveillé m'amène à refermer la porte en vitesse avant qu'elle n'ait le temps de me verser dessus, le contenu d'une petite bouteille qu'elle cachait derrière son dos. Les battements de mon cœur s'accélèrent comme le galop des chevaux qui sortent de l'écurie.
-Que se passe-t-il ? Questionna Coralie que j'ai bousculée au passage.
L'autre s'est mise à vociférer, me traiter de tous les synonymes du mot « pute » en tapant sur la porte verrouillée comme une folle. Les images de ma mère, battue par ces trois femmes, défilent de nouveau devant mes yeux. Je ne cours pas derrière son mari, je ne serais jamais sortie avec lui si j'avais su. Ça ne lui a pas suffi de me faire un scandale sur mon lieu de travail en me jetant au visage des dizaines de copies de leur acte de mariage ? Va savoir ce que son homme lui aurait dit pour qu'elle se mette à nouveau dans cet état.
Ses insultes ont répondu à la question de Coralie. Elle a tout de suite voulu ouvrir la porte pour se battre avec elle mais je l'ai supplié de la laisser faire.
Nous sommes restées enfermées jusqu'à ce que le silence nous fasse comprendre qu'elle était partie. Coralie a le sang chaud, tout mon contraire. En rouvrant la porte, je vois mon rideau déchiqueté par endroit.
-Eh ma sœur, cette femme est une meurtrière. C'est de l'acide ! Constata Coralie.
Je secoue la tête, dépassée par la situation. Je pense que je ferai mieux de quitter la ville, cette femme peut bien me tuer. Je maudis Marc-Aurel de toutes mes forces. Dès demain, je retourne à l'hôpital me débarrasser de cet enfant. Je refuse qu'il soit à son tour l'enfant illégitime.