Adidja est partie depuis un moment et malgré tout ce qu'elle m'a dit pour me rassurer j'ai toujours du mal à me décider. Comment pourrai-je vivre loin des miens? Partir sans dire au revoir à mes frères et surtout à ma mère, cette femme qui m'a donné la vie au risque de perdre la sienne? Ma tutrice m'a raconté tout ce que ma mère a enduré quand elle était enceinte de moi. Elle m'a même dit que c'est un miracle que nous soyons toutes les deux sortie vivante de la salle d'accouchement le jour de ma naissance. Pour elle, c'est l'un des cas les plus graves de sa carrière de sage-femme. Elle m'a dit que je pesais plus de 3 kilos à la naissance et que le cordon ombilical était en plus enroulé à mon cou.
Elle m'a dit que toutes ces complications étaient surtout dûes au fait que mon village est situé dans une zone reculée et que l'hôpital du village venait d'être installé. Il n'y avait pas de matériel ni de personnel qualifié pour effectuer une opération chirurgicale. De plus ma mère avait passé beaucoup trop de temps à la maison avant de venir à l'hôpital quand elle a perdu les eaux. Ma tutrice, m'a dit qu'elle avait dû fait appel à l'une de ses collègues de l'hôpital du village voisin un peu plus expérimentée et qu'ensemble elles ont réussi à faire accoucher ma mère mais qu'elle a perdu la possibilité de porter un autre enfant. Ma mère est tout pour moi et je refuse de la faire souffrir en partant avec Serge. Elle sera la risée du village et mon père à coup sûr s'en prendrait à elle comme toujours.
Je me rappelle que souvent, quand mes frères et moi faisons de belle choses c'est parce que nous sommes les dignes héritiers de monsieur mon père selon lui. Mais dans le cas contraire, c'est automatiquement la faute de ma pauvre mère qui nous couve trop et nous encourage à faire des bêtises. Pour l'harmonie de ma famille et surtout pour ma mère, je ferais ce mariage demain. C'est décidé! Mais je dois revoir une dernière fois Serge, lui dire au revoir comme cela se doit et remercier Adidja par la même occasion pour son amitié et son soutien indéfectible durant toutes ces années. Je venais de sortir de ma réflexion quand j'entends klaxonner deux fois une voiture. Je pense qu'il est temps de faire mes adieux à mon premier amour! Même si notre relation n'a jamais réellement commencé il restera à jamais graver dans mon cœur.
Il m'a fait rêver, m'a fait croire à l'amour des contes de fées celui qu'on décrit dans les romans d'amour qui me passionnent tant. Pour moi il sera à jamais mon premier et je vais prier pour qu'il trouve une fille qui le rendra heureux même si moi je doute un jour de connaître le bonheur loin de lui. Profitant du fait que ma tante dorme à poing fermé sur la natte à mes côtés, je m'éclipse sans faire du bruit pour me rendre au lieu de notre rendez-vous. Je marche sur la pointe des pieds pour éviter d'attirer l'attention. Mais, à peine sortir de la case, j'entends deux personnes qui parlaient autour du puits. Je reconnais sans effort la voix de ma mère et celle de ma tante Baké. Ma mère pleurait et sa sœur tentait de la calmer. Je ne comprends pas ce qui pouvait faire pleurer ma mère la veille de mon mariage alors que mon père était aux anges.
Je me rappelle qu'hier, il a passé tout son temps à parler des avantages de ce mariage et de sa joie à devenir le beau-père du fils du chef du village au taximan et aux passagers qui ont fait la route avec nous de Parakou au village. Pour mieux comprendre ce qui tracassait ma mère, je décide de me cacher et les écouter même si Serge et Adidja devaient m'attendre encore un peu. Je ne pouvais pas continuer sans savoir ce qui chagrine autant ma mère.
Tante Baké: Calme toi ma sœur et remet tout dans les mains de Dieu! Ça ira fais lui confiance.
Maman (pleurant): C'est ce que je fais Baké. Mais c'est dur! Mon cœur de mère me dit que ma fille ne sera jamais heureuse dans ce ménage et j'ai peur. Je ne veux pas voir ma fille souffrir. Elle est mon unique fille! Mon Bébé.
Tante Baké: Oui ma sœur je comprends et je peux ressentir ta peine. Je suis mère et j'aurai aussi peur si ma fille devrait épouser un jeune comme ce BIO.
Maman (toujours en pleure): Ah, tu comprends maintenant mes craintes non? Tu t'imagines qu'il n'a même pas pris la peine de me saluer quand je l'ai croisé devant la mosquée, le lendemain du jour où son père et lui sont passés à la maison nous annoncer son retour au Village.
Tante Baké: Hunnn, à qui le dis-tu ma sœur ? Toutes les femmes du village se plaignent de son comportement. Il n'adresse la parole à aucune femme, même celles qui ont l'âge de sa grand-mère, il ne parle qu'aux hommes qu'il salue à peine.
Maman (reniflant): Ma sœur, j'ai peur hooo! Et c'est dans ça là que j'envoie ma fille. Mes fils m'ont même dit que BIO passe tout son temps dans les cabarets depuis son retour dans ce village.
Tante Baké: C'est ce que j'ai entendu aussi hein. Peut-être même qu'il se drogue. J'ai aussi peur pour notre fille ma sœur.
Maman (sanglotant): Tu vois non? Mais je ne peux rien, si seulement j'avais la possibilité d'éloigner ma fille de ce village je le ferai, mais je n'y peu rien! Je prie juste qu'Allah prenne soin d'elle et lui évite de trop souffrir.
Tante Baké : Amen ma sœur, Prions aussi pour qu'elle ne soit jamais battue par son mari, comme nous autres.
Maman (reniflant): Eh ma sœur, avec ces hommes tout peut arriver, ils sont capables de tout. Ce qui me rassure un peu, c'est qu'il ait au moins attendu que Bariki soit un peu mûre avant de célébrer le mariage. Elle aura dix-huit ans dans quelques jours. Te souviens-tu qu'on nous a obligé à nous marier à 14 ans pour toi et 13 pour moi?
Tante Baké: Ne me rappelle pas de mauvais souvenirs. Au moins toi, ton mari est devenu un peu plus gentil avec toi après la naissance de votre fille, il a fallu que le mien soit alité avant que mon calvaire ne cesse un peu!
Maman (soupirante): Hunnn, ce n'est pas la venue de Bariki qui a changé les choses hein ma sœur, tout ça c'est grâce à Théodora notre ancienne sage-femme du village, la tutrice de ma fille, qui a menacé de le dénoncer s'il lève encore la main sur moi!
Tante Baké: Ah bon ? Je ne le savais pas ? Je comprends maintenant pourquoi il a beaucoup hésité avant de lui envoyer la petite pour continuer les classes!
Maman: Il avait en fait peur qu'elle déjoue ses plans, elle n'a jamais été d'accord avec ce mariage, c'est pourquoi elle refuse d'y assister!
Tante Baké: Elle a raison en tout cas. Qu'Allah protège notre fille!
J'avais assez entendu, il fallait que je parte le plus loin possible de ce village, je ne veux plus me marier à ce BIO! Même si un jour je regretterai peut être mon choix d'être partie comme une voleuse avec Serge en abandonnant ma mère, je devais le faire! Elle souffrira certes de mon absence mais elle me comprendra sûrement.
Je cours retrouver Serge et ma copine, j'espère juste qu'ils ne sont pas repartis à cause de mon retard, il y a déjà un moment qu'ils ont klaxonné pour me signaler qu'ils m'attendent. J'arrive rapidement au coin indiqué mais il n'y a personne. J'avais subitement les larmes aux yeux et je commençais à trembler.
Moi (me parlant à moi-même): Ils sont partis! Ils m'ont sûrement attendu en vain. Si seulement je n'avais pas douté de leur plan. Si je les avais écoutés. Mais Adidja avait quand même dit qu'ils n'allaient pas quitter ce village sans moi. Alors pourquoi est-elle partie sans m'attendre? Me voilà maintenant seule en brousse à cette heure de la nuit pour rien avec mes peurs et mes craintes pour l'avenir. Allah aide moi stp, ne me tourne pas le dos stp.
J'étais sur le point d'éclater en sanglot quand je vois la lumière d'une torche briller étrangement sur moi et s'éteindre rapidement. Je voulais prendre mes jambes à mon cou et déttaler quand j'ai entendu la voix de Serge.
Serge (chuchotant): Dora! Enfin tu es là ma chérie!
Moi (soulagée sur le même ton): Oui Serge je suis là.
Serge (toujours bas): Dieu soit loué, je savais que tu allais venir. Adidja n'y croyait plus, mais moi si! Partons d'ici ma belle.
Il me prit la main et la serra très fort comme pour me rassurer, Adidja sortit enfin des buissons en chuchotant sur un ton de reproche.
Elle: Eh ma petite, ce n'est pas trop tôt, tu devrais remercier Serge moi je partais déjà!
Moi (parlant tout bas): Excusez-moi de vous avoir fait attendre pendant tout ce temps.
Elle: Tu es excusée! Tu as bien fait de venir maintenant en tout cas, parce que il y a encore quelques minutes, une vieille est venue ici nous faire un "gros caca nerveux" qui sentait tellement mauvais que j'ai failli m'étouffer.
Moi (riant doucement): Tu es terrible Adidja, même dans ce genre de situation tu trouves le moyen de blaguer.
Nous sortons d'un pas pressé de la brousse pour aller vers une grosse voiture qui était déjà en marche et prête à démarrer. Je remarque qu'elle est conduite par le chauffeur de la dernière fois et que les deux amis de Serge étaient aussi présents. Ils m'installèrent à l'arrière de la voiture sous une masse impressionnante de couverture et de cartons bien emballés avec Serge qui a refusé de me lâcher la main depuis qu'il me l'a prise dans la brousse. Pour éviter d'être rattrapé nous avons décidé de reprendre la route immédiatement et de voyager de nuit avec l'accord du chauffeur qui était lui-même acquis à notre cause. Dieu lui-même était sûrement de notre côté car tout se passa normalement.
Nous avons fait notre entrée au petit matin dans la ville de Parakou sain et sauf malgré, les multiples arrêts pour fouilles sur la route car la nouvelle de ma disparition s'est répandue comme une traînée de poudre en quelques heures dans toute la région. Brice a proposé de nous laisser entre filles dans un hôtel de la place pour plus de sécurité. Ils ont décidé de s'arranger pour écourter leur séjour afin que nous puissions rentrer ensemble à Cotonou dans un bref délai. Adidja se charge de récupérer nos relevés et bulletins de note au lycée, pour nous permettre de continuer les cours une fois à Cotonou. Ce qui lui sera d'ailleurs très facile vu que le proviseur de notre lycée lui mange dans les mains puisqu'il lui fait la cours depuis la classe de 4ème.
******* Trois jours plus tard********
Aujourd'hui ça fait déjà trois jours que j'ai quitté mon village. Trois jours, que j'ai abandonné ma famille. 72 heures de crainte et d'angoisse mais pas de regrets. Je ne regrette vraiment pas d'être partie. J'ai fait mon choix et je suis prête à l'assumer jusqu'au bout même si ma décision et mes actes doivent causer beaucoup de tort aux personnes que j'aime. Adidja et moi vivons caché dans la peur dans cet hôtel. Heureusement que c'est Brice qui a pris la chambre en son nom et que depuis notre arrivée dans l'hôtel je n'ai même pas mis pied dehors. Mon père et le chef du village ont vraiment fait forts sur ce coup-là. Ils ont déclaré à la police que j'ai été enlevée selon les rumeurs qui nous sont parvenues. Je suis activement recherchée par la police dans toute la région!
Ils sont même allés questionner certains camarades de classe.
Ma tutrice et Adidja seraient leurs principales suspectes dans ce soi disant enlèvement. Nous avons eu toutes ses informations grâce à l'un des jeunes frères de Adidja qu'elle a mis en contact avec Brice le lendemain de notre retour à Parakou. Ce jour-là, Adidja s'était rendue vers 9h dans notre lycée pour retirer nos relevés et bulletins de notes comme prévu. En voulant faire un détour chez elle pour voir sa mère qui n'était pas au marché pour son commerce comme d'habitude, elle a rencontré Salifou, son frère qui lui a dit de rebrousser chemin car la police était chez eux à la maison.Adidja lui a alors demandé de la suivre au domicile de Reine pour mieux comprendre les raisons de cette descente policière et en profiter pour mettre Serge et ses amis au courant des derniers dénouements de l'affaire.
Nous avons alors décidé de laisser passer un peu de temps avant notre départ pour Cotonou et de garder contact avec Salifou pour nous faire un compte rendu de la situation au fur et à mesure. Nous avons su le soir même par Salifou que mon père accuse ma tutrice de m'avoir enlevé avec l'aide de Adidja sous prétexte qu'elle n'accepte pas le fait que je sois retournée auprès des miens au village, tout ça parce que la pauvre n'a pas d'enfant. IL a délibérément omis de dire à la police qu'il voulait m'obliger à épouser un homme que je ne connais pas. Mon père me déçoit vraiment beaucoup. J'ai toujours cru qu'il m'aime sincèrement! J'étais même prête à lui faire plaisir en épousant son BIO là, mais avec tout ce qu'il fait subir à ma tutrice je ne regrette pas ma décision.