Tu connais cette impression ? Où l'on te jette dans le désert, et on te dit marche.
Mais marcher vers où, vers quoi, et même vers qui ? j'suis juste blasé.
Blasé par la vie, le train passe dehors et nous, on reste bloqué ici comme dans une gare.
J'suis à un point d'être fatigué, d'être juste fatigué de tout.
Et toutes ces années passées ici, on ne pourra jamais les rattraper. Je pensais que le fait de sortir d'ici avec les permissions de la Doc Lopez allait me faire prendre l'air, du moins un peu.
Mais j'y suis allé, j'ai vu et putain, je suis déçu Bulle. C'est pire à l'extérieur qu'à l'intérieur.
Si au moins, j'étais en colère, je pourrais l'extérioriser. Mais là, j'ai envie de gueuler, mais il n'y a rien qui sort.
- Je pense que le seul remède, c'est le temps !
- Lol, depuis quand tu es devenu Psy ?
- Merci Sacha. Tu sais, je ne voulais pas te déranger ces dernières semaines, puisque je voyais bien que tu n'étais pas dans ton plat.
- Lol, c'est gentil. Merci pour ta considération en tout cas.
- Ma psychologue m'a conseillé de t'écrire une lettre, mais je n'ai jamais osé te la lire par peur de t'embêter.
Mais j'aimerais bien te la lire »
« Je t'écoute. »
Il prit une grande inspiration. Et il se mit à la lire.
« Parfois, on sait ce qu'on veut ou ce qu'on ne veut pas.
Parfois, on ne sait pas et parfois justement, on aimerait savoir.
On voit l'inconnu et on a peur d'y plonger...
Par peur d'y voir ce que l'on ne veut pas ou de ne pas trouver ce que l'on veut...
Ce doute qui nous tord le ventre, avec cette petite voix qui nous pousse à y aller et cet autre qui nous freine et nous met en garde.
Ces deux anges posés sur nos épaules, à forger ce dilemme qui se bouscule dans notre tête. Ce chemin à suivre vers cette lumière qui peut nous rendre aveugle ou nous illumine sans nous éblouir.
Ou ce voile, qui nous empêche d'être lucide et de nous rendre compte que ce n'est qu'un mirage, Ou alors nous recouvrir de sa bonté.
Une si belle illusion ou pas qui enivre notre réflexion et notre sens.
Mais la seule question à se poser est : aurai-je peut-être un jour une réponse ?» ...
- Merci, ta lettre vaut toutes les séances des psys du monde.
- De rien Sacha, mais tu sais, je pense que tu devrais quand même te livrer au Doc Lopez, parler c'est aussi extérioriser, tu n'as pas besoin de gueuler.
- Je vais y penser. Rapporte-moi, un ptit truc à manger ce soir stp !
- compte sur moi.
La journée était passée dans un silence à réveiller un sourd. J'avoue que cela fessait tout de même quelques semaines que je ne fessais rien et ça commençait à se faire sentir. Bulle avait sûrement raison, il était temps que je m'exprime d'une manière ou d'une autre. Soit chez la Doc ou en classe, puisque si je ne voulais pas parler, mes écrits seraient de toute manière examinés par les profs, et je pourrais faire passer mon ressenti par cette porte. On toqua à la porte et pourtant ce n'était pas encore l'heure de rentrer dans les chambres.
Elle s'ouvrit et pendant que je reculais pour prendre position des trois pas de distance de sécurité.
La porte était à peine entrouverte que j'avais déjà reconnu le parfum du Lieutenante Hortal.
« Je ne te dérange pas ? me demanda-t-elle, néanmoins d'une humeur maussade.
- Non, j'allais justement faire dodo.
- Je sais que ce n'est pas encore l'heure. Suis-moi, j'ai la permission de la Doc. On va faire une balade.
- Si vous insistez ! »
On arriva dans un café assez rudimentaire, comme dans les films en noir et blanc. Il n'y avait que des banquettes pour s'asseoir à plusieurs en forme de demi-cercle autour de tables rondes nappées de draps blanc.
Nous nous sommes assis et elle a commandé deux cafés, un sec noir et amer pour elle ; Et le mien avec deux sucres et du lait. Était-ce pour me faire remarquer qu'elle n'avait pas oublié, ainsi qu'une tranche de tarte à la pomme chacun, bien évidemment avec les formulations d'usage.
Le temps d'attente de notre commande fut assez long, on avait le temps de mourir trois fois, mais c'était surtout le silence qui se faisait sentir, comme si un ange passait entre nous.
La commande arrivée, « ça va ? me dit-elle, en me donnant le sucrier. »
« C'est une blague ou quoi, elle nous emmène jusqu'ici pour nous demander si ça va ? »
J'avoue, je n'étais déjà pas de bonne humeur et elle non plus apparemment, je ne voyais pas l'intérêt de ce rendez-vous. Mais « Ça va. Lui ai-je répondu ».
- Excuse-moi, je n'ai pas l'habitude.
- L'habitude de quoi ?
- Tout ça, là, nous. De devoir m'expliquer.
- Alors qu'est-ce qu'on fout là ?
- Écoute, j'avoue que je m'y prends mal. Et que je ne sais pas vraiment y faire, je n'ai jamais eu de consultant. J'ai toujours travaillé en solo, je conviens qu'il y a Col, mais c'est une nouvelle recrue au sein du bureau et la seule personne à qui je dois rendre des comptes, c'est la capitaine Strauss. Le truc, c'est que je n'ai pas pris en compte le fait que pour toi s'était beaucoup trop te demander de rentrer dans la banque pour que tu m'assistes.
Je n'ai pas mesuré le désagrément que cela a pu te causer suivant ta situation.
Lorsque j'ai appelé la Doc pour que tu me supervises pour une intervention, elle m'a clairement ouvert les yeux sur ce que je peux ou ne peux pas faire avec toi, et entre autres te jeter dans la gueule du loup sans ton accord ou t'avoir préparé préalablement à la situation. Et je tenais à te présenter mes excuses.
- Ben, je vous excuse. »
« Non, on ne l'excuse pas. C'est quoi c'bordel, on a failli crever là dans. »
- Merci, et je voulais faire plus ample connaissance avec toi. J'essaie de comprendre comment tu fais tout ça, mais il faut me comprendre pour le commun des mortels, c'est plutôt bizarre.
- Vous voulez savoir quoi ?
- Déjà, comment tu fais ? je sais que tu n'as pas confiance en moi, et j'admets que je n'ai pas vraiment eu le temps de te le prouver. Comme je te l'ai dit, je n'ai pas l'habitude. Quand je bosse, je ne calcule pas, je fonce tête baissée puisque la plupart du temps, il y a une ou plusieurs personnes qui sont en danger. Et je n'ai pas forcément le temps de mettre les formes. C'est pour ça, que j'ai demandé à la Doc, si je pouvais t'emmener ici, histoire que l'on fasse plus ample connaissance et que l'on apprenne à se connaitre. Je ne te demande pas de tout m'expliquer. Mais on vit dans un monde matérialiste, il y a toute sorte de technologie, j'ai besoin de preuves, tu comprends ? Imaginons maintenant que je suis ouverte d'esprit, comment ça se passe ?
- Comment se passe quoi ? il faut être un peu plus précis.
- Comment tu lis dans la tête des gens ?
- Je ne m'amuse pas à lire dans la tête des gens, ce serait épuisant. Je prends seulement les informations qui m'intéressent.
- Ok et pour ce qui est de tes hallucinations ou visions, je ne sais pas comment on doit les appeler. Pour toi, ils sont réels alors ?
- C'est ça.
- Ok, esprit ouvert. Ils sont où dans ta tête ?
- À part être dans ma tête, ils sont là parmi nous.
- C'est une blague ?
- On avait dit : ouverte d'esprit.
- Oui, c'est vrai. Je m'en excuse, donc où sont-ils ?
- Ébène est assis à ma droite et Éden à votre gauche.
- Alors, ils sont assis là avec nous.
- C'est ça.
- Et comment tu communiques avec eux ?
- Simplement, je leurs parlent.
- C'est quand même fou à concevoir.
- Peut-être pour vous, mais pour moi, c'est simple, comme parler avec vous.
- Ok, je ne voudrais pas encore paraitre pessimiste, je t'assure, j'aimerais te croire. Mais comprends-moi, c'est difficile.
Comme je te l'ai dit, au moins tu pourrais me montrer quelque chose pour que je change d'avis et puisse enfin te croire ?
- Très bien. Derrière moi, il y a une femme portant un haut blanc, un pantalon rouge et des baskets blanches.
Elle se retourna et me dit : « ben non, ça tu l'as vu sur le reflet de la vitre derrière moi, c'est bien tenté, mais ça n'a rien d'une preuve.
- OK. Là, elle lit un bouquin ?
- Ouais, ça aussi, tu l'as vu dans la vitre.
- Mais elle lit Moby-Dick et actuellement, elle est à la 57ᵉ page du livre. Vous voulez que je la lise ?
- Tu peux faire ça ?
- Ouais, alors « Cependant il se déshabillait et je vis sa poitrine et ses bras. Aussi vrai que je vis, ces parties cachées de son corps étaient un échiquier identique à son visage, tout son dos était également carrelé de noir, on aurait dit qu'il revenait d'une guerre de trente ans et qu'il aurait fui, portant seulement une chemise d'emplâtres. Qui plus est, l'impression n'épargnait pas ses jambes, on eût cru voir une légion de grenouilles vert foncé assaillir des troncs de jeunes palmiers... Il était bien évident à présent que ce devait être quelque abominable sauvage, embarqué à bord d'un baleinier dans les mers du sud, posant ainsi le pied en terre chrétienne. Je ne tremblais rien que d'y penser. De plus un vendeur ambulant de têtes, peut-être de celles de ses propres frères. Il pourrait lui venir le goût d'avoir la mienne... Seigneur ! Voyez, ce tomahawk ! » je continue ou bien ?
- Attends, je vais voir.
« Bonsoir ! dit-elle à la demoiselle.
- Bonsoir.
- Excusez-moi de vous déranger. Je vois que vous avez l'air plongée dans votre livre, il me parait fort intéressant. Mon ami et moi-même, nous nous demandions ce que vous lisez ?
- Oh. Euh Moby-Dick de Herman Melville. C'est un peu gros, mais il est passionnant.
- C'est bien ? Et vous l'avez bientôt fini ?
- Ooh non, je viens à peine de finir la page 57, j'en ai encore pour un bon moment. Mais je vous le conseil, en tout cas.
- Merci, désolé de vous avoir dérangée durant votre lecture.
- Il n'y a pas de soucis. »
Elle revient s'asseoir à notre table, stupéfaite.
« Comment tu fais ça, putain ? me dit-elle », comme si elle venait de découvrir le monde pour la première fois.
- C'est la seule chose que je ne saurais expliquer, ils sont là, c'est tout.
- Merde, ça je ne l'ai pas vu venir. Mais elle, tu ne lui as pas parlé.
Comment tu pouvais savoir ce qu'elle pensait ?
- Éden s'est déplacé jusque-là. Il a lu par-dessus son épaule.
- Merde, donc ils peuvent se déplacer dans la pièce et te dire ce qu'ils voient.
- Pas juste me le dire, je peux le voir aussi.
- Comment ça ?
- Ben à travers leurs yeux, je peux voir, s'ils le veulent bien.
Je me doute que parfois, ils font des petites cachoteries entre eux.
- Ok. Ben là, j'avoue. Je ne sais trop que dire.
- D'autres questions ?
- Ben maintenant, je crains de demander.
- Essayez toujours. Mais il ne faut pas se dire que j'ai réponse à tout.
- Tu vois à travers les murs ?
- Non, j'suis pas Superman. Lol.
- Qui ?
- Superman, le super héros.
- Connais pas !
« Waouh, dans quel monde elle vit ! »
- OK, c'est déjà pas mal. Donc, ils sont là avec nous. Mais ils font quoi ?
- Comme nous, ils sont posés. Ils boivent leurs cafés. Ébène l'aime amer comme vous et Éden sucré avec du lait comme moi.
- Tu peux me parler d'eux, s'il te plait ?
- Vous voulez savoir quoi ?
- Je ne sais pas trop, ce que tu peux me dire.
- Ils ont leurs propres caractères et sont assez différents et complémentaires à la fois.
On commence par lequel ?
- Je ne sais pas, comme tu veux.
Commençons par celui qui vous ressemble le plus. C'est Ébène.
Il est gaucher comme vous. C'est celui qui se méfie de tout le monde. Il n'a confiance en personne à part, nous : Éden et moi. Il croise les doigts en mettant le pouce gauche au-dessus du droit comme vous. Ce qui signifie qu'il y a de fortes chances que vous ayez un grand sens pratique.
Vous ne prenez jamais de décisions dans le feu de l'action. Avant d'arriver à une conclusion, vous pesez le pour et le contre. Il est également très difficile de vous duper ; Vous avez une qualité innée pour distinguer les mensonges.
Pour ces raisons, vous êtes très appréciés par vos amis et les membres de votre famille, qui viennent souvent vous voir pour vous demander de l'aide. Et le plus souvent, vous leur prodiguez de judicieux conseils.
Mais tout cela ne signifie pas que vous êtes quelqu'un de trop sérieux. Au contraire, votre esprit peut égayer même les atmosphères les plus sombres.
Votre sens de l'humour exceptionnel fait de vous un aimant dans les réunions sociales.
Vous êtes aussi une grande romantique qui sait exactement comment gérer les relations humaines. Vous savez exactement que dire et à quel moment le dire.
Éden, forcément, c'est le contraire. Ce qui veut dire que lui : « il a un quotient émotionnel élevé. Il est capable de comprendre ce qu'une personne ressent même lorsqu'elle essaie de cacher ses émotions. Cette aptitude unique permet aux autres de s'ouvrir facilement à lui.
Cette capacité lui offre également une perspective dont les autres ne disposent pas, l'aidant à penser hors du cadre et à prendre les bonnes décisions, même s'il lui faut parfois du temps pour se décider après avoir pesé tous les aspects sur le plan émotionnel.
Sa capacité à comprendre les émotions profondes et à fournir de la chaleur attire naturellement les gens vers lui.
Dans les relations amoureuses, il comprend les sentiments indicibles de son ou sa partenaire. Il n'aura jamais de problèmes pour répondre à ses besoins émotionnels. »
- Donc, ils sont vraiment différents l'un de l'autre ?
- C'est ça. Ils sont de temps en temps en désaccord. Souvent en désaccord même, lol.
- C'est fou. Mais tu es quoi alors par rapport aux deux. Là, par exemple, tu croises les mains avec le pouce droit sur le gauche, si j'ai bien compris, tu es comme Éden ?
- Lol. J'suis les deux en fait. Déjà, j'suis ambidextre. Mais il est vrai que je me comporte davantage comme Éden puisque c'est la force tranquille des deux. La considération et la tolérance sont ses mots d'ordre. Ébène, il est davantage... Il ne vaut mieux parfois pas savoir.
- Le grincheux de la bande ?
- On va dire ça, ouais.
- Et, ils disent quoi sur moi ?
- Vous tenez vraiment à le savoir ?
- C'est trop tôt ?
- je pense, oui !
- Ben, on va en rester là, c'est déjà pas mal comme premier rendez-vous.
« Elle a dit : Date, elle nous drague là, la coquine ! »
- Ouais, c'est déjà pas mal.
« Et il ne prend pas le ballon au vol, faut tout lui apprendre c'lui-là.
- Calme-toi Ebène, c'était juste pour être poli. Il n'y a aucune ambiguïté, la lieutenante essaie seulement d'être plus souple avec lui.
- Ou, elle le drague, dit quelque chose au moins, au lieu de rester là, béant. »
- Oui, on devrait peut-être y aller, il commence à se faire tard.
« Ohlala, on devrait peut-être y aller. Un vrai pis-aller, on devrait lui offrir « la drague pour les nuls ». Prends plutôt une tranche de tarte à la pomme pour Bulle, ça va lui faire plaisir, donjuan. Et soit dit en passant, elle a posé des questions que sur nous et pas sur toi, gars. Je dis ça, je ne dis rien.
- Tu deviens lourd là, Ébène. »