Certaines personnes aiment jouer avec leur vie sans aucune raison. Juste comme ça. Ils se lèvent un beau matin et ils se disent qu'ils sont à la recherche de sensations fortes pour avoir vécu trop calmement. Peut-être qu'ils oublient que l'on n'en a qu'une vie. Parce oui pour vouloir se frotter à moi d'aussi près, il faut vraiment avoir perdu la tête. Autrement, je ne crois pas qu'il existe dans ce monde quelqu'un d'assez stupide pour frôler d'aussi près le danger, soi-disant, à la recherche d'une montée d'adrénaline. C'est carrément stupide. Une personne comme ça devrait être internée. Car, il est sûr qu'elle est suicidaire. Je suis le feu. Quand on m'approche de trop près, on se brûle. Mortellement.
Milan, mon bras droit, vient tout juste de m'informer que l'on a été cambriolé hier soir. A ce moment il devrait déjà être en chemin pour ici. Je me demande pourquoi ce n'est que maintenant que l'on m'en informe. J'espère qu'il sait au moins qui a fait le coup. On ne peut en aucun cas laisser passer ça comme ça. Parce qu'après, cela se fera plus fréquemment. Et un beau jour je ne serai plus craint. Ce jour-là, je ne représenterai que l'ombre de moi-même. Juste une ombre comme mon pseudo "Ghost".
Oser nous attaquer c'est déjà un manque de respect en soi. Alors, si on reste là maintenant sans réagir, on ne fera que leur donner des ailes pour continuer dans leur bêtise. Et on sait tous comment cela fonctionne dans ce milieu. Le plus important c'est le respect et on ne peut obtenir cela qu'avec la crainte inspirée aux adversaires. Surtout quand on vient à peine de s'implanter comme c'est le cas pour nous. En résumé, le principe c'est, bouffer pour ne pas être bouffé à son tour. C'est comme à la jungle en fait.
J'ai demandé à faire venir l'équipe qui était responsable de la cargaison. En ce moment je suis dans mon bureau à faire les cents pas étant énervé. Des bureaux, j'en ai plusieurs pour mes différentes activités. J'évite de tout mélanger. Si cela n'avait pas été le cas, j'aurais tout perdu en laissant la Serbie. Là maintenant je suis à celui qui est au sous-sol de mon bar. C'est plus une cave qu'autre chose. Celui-là presque tous ceux qui travaillent de près avec moi le connaissent. Ce n'est pas vraiment une planque.
Deux coups sont portés sur la porte. Je leur donne donc l'ordre d'entrer. Jacobo, Julian et Kiara font leur entrée avec un visage terrifié. Ils font bien de l'être. C'est sûr que des têtes vont tomber ce soir en vue de cet affront. Et ce n'est pas juste qu'un simple jeu de mot. Ces trois-là sont nos distributeurs à Londres. Ils ont toute une équipe avec eux pour les aider. Et aussi des vendeurs sous leurs ordres. C'est comme une chaine alimentaire en fait. Et pour ici à Manchester il y a un autre groupe. C'est Dave qui se charge de tout. Avec lui, il y a deux autres.
Je m'en vais m'installer derrière mon bureau le visage implacable. Le cuir de ma chaise crisse légèrement sous mon poids alors que je prends une posture droite, presque militaire. Mes yeux, durs comme de l'acier, fixent l'entrée, attendant que ces imbéciles daignent enfin parler. En m'asseyant j'en profite pour faire ressortir mon arme du tiroir d'en bas, un M21, que je dépose sur le bureau en bois massif. Le métal brillant contraste avec la patine du mobilier ancien. J'entrelace mes doigts entre eux et pose mes deux mains sur le bureau, les paumes ouvertes, comme pour souligner ma tranquillité glaciale. Mon faciès lui-même est terrifiant. Imaginez alors quand je suis énervé.
Je suis tout de noir vêtu. Costume impeccablement taillée, ajustée à chaque mouvement de mon corps, la veste épousant mes épaules avec une précision glaciale, et la chemise qui s'étend sous elle, légèrement ouverte, laissant les trois premiers boutons non attachés. Mes cheveux noirs, soigneusement coiffés en arrière, une coupe parfaite, ajoutent une touche de classe à ma silhouette dure, comme un roi en pleine domination. Je lève mon regard en leur direction. Ils sont tellement crispés. On aurait dit qu'ils savent déjà qu'ils ont un pied dans la tombe. Au moins ils comprennent vite les choses quand il s'agit de leur vie. Si seulement ils pouvaient être aussi perspicaces pour les affaires. Cela me ferait des vacances.
- Je vous écoute.
Je me raclai la gorge, mon regard glacial balayant la pièce. Ils parlaient tous en même temps, leur voix s'entrechoquant dans une cacophonie insupportable. Je savais déjà ce qu'ils allaient dire, mais entendre leur babillage stupide m'irritait au plus haut point. Chaque mot qui sortait de leur bouche me donnait envie de tout faire exploser.
Autre chose sur moi, la patience, je ne connais pas. Quand je réagis, c'est toujours à chaud.
- Stop, stop, stop ! Taisez-vous donc. Trop de vacarmes. Vous croyez vraiment que je vais comprendre quoi que ce soit dans ce bordel ?
Ils se figent tous, comme des enfants pris en faute. Je me lève lentement, l'air glacial, et vais chercher un verre de whisky. Je le remplis sans hâte, comme si je n'avais rien d'autre à faire que de regarder ces imbéciles s'agiter. Puis je retourne derrière mon bureau et m'installe, le regard perçant.
Je pointe l'un d'eux, celui qui est déjà en train de trembler, du doigt.
- Toi d'abord Jacobo.
Comme une feuille morte battue par le vent, Jacobo frissonne sous mon regard. J'entendais déjà sa respiration saccadée. J'adorais ça. Le pouvoir de l'incertitude, de l'angoisse, ça m'amusait.
- On... on a été cambriolé boss, me dit-il de son accent spanish.
Je sirotai mon whisky lentement, les yeux fixés sur lui, chaque gorgée laissant un goût brûlant dans ma gorge. J'attendais, je savourais ce moment où il allait craquer. Mais il se contenta de rester là, les yeux rivés sur le sol, incapable d'ajouter quoi que ce soit. Je posai doucement mon verre sur le bureau, me redressant dans mon fauteuil, les yeux fixant Jacobo avec une intensité qui faisait presque suffoquer.
- T'es sérieux, Jacobo ? Répète-moi encore une fois ce que tu viens de dire.
- Notre cargaison a été interceptée chef, dit-il, les dents claquant, l'air totalement dépassé.
Il suce sa lèvre inférieure comme un enfant honteux.
- Et tu étais où pendant que l'on se faisait cambrioler ?
Il commença à bégayer.
- J'é... j'étais là-bas boss. Et...
Il s'interrompit, sentant que sa réponse ne suffisait pas.
- Et ? Qu'est-ce que tu faisais pendant que ta marchandise disparaissait, hein ? T'as bien dormi, peut-être ?
Jacobo déglutit bruyamment. Il est au bord de l'implosion, mais il sait qu'il ne peut rien dire.
- Et par qui ça a été fait ? demandé-je plus calmement, prenant un malin plaisir à étirer le moment.
- Je... je ne sais pas boss.
Jacobo sue à grosses gouttes, ses mains tremblent à peine cachées par son pantalon. Le spectacle m'amusait.
- Tu étais là mais tu ne sais pas ? Tu m'expliques. Tu me sers à quoi alors ?
Je le vois se ratatiner sous le poids de mes mots. Son corps tout entier s'effondre un peu plus.
- Julian était...
Il se fige de nouveau, incapable d'achever sa phrase. Suer, à ce moment de l'année ! Avec la clim en plus. C'est donc un petit peureux. J'attrape alors mon arme et lui colle une balle à la tête. Il tombe en arrière, une éclatante traînée de sang marquant le sol. J'ai dit quoi à propos des têtes déjà ? Il n'y avait rien de plus détestable que l'inefficacité. Rien.
- Julian à toi, dis-je redéposant l'arme.
Julian tremble à se claquer les dents. Il se met à balbutier, les mots s'échappant de sa bouche dans un flot incontrôlable. Il bégaye, cherche à rassembler des mots, mais son esprit est déjà paralysé.
- Je... je...
- Tu sais que je déteste les mauviettes Julian, je déclare sur un ton froid. Donc reprend toi et recommence. Un deuxième et dernier essai.
Il continue de trembler, et à ma grande satisfaction, une petite flaque commence à se former sous lui. Je le fixe, impitoyable, presque amusé.
- Ah non Julian tu vaux mieux que ça.
Je saisis à nouveau l'arme, la faisant tourner dans mes mains, la faisant glisser sur le bureau comme une caresse froide. Je prends une grande inspiration.
- Comme ça tu m'es inutile mon Julian. Imagine donc ce que je fais aux choses inutiles Julian.
On m'a toujours décrit les spanish comme des durs. Ces deux-là, pffff. J'effectue les mêmes mouvements que précédemment, un tir, net, précis. Une balle dans la tête. Rien de plus simple. Rien de plus efficace. Je n'aime pas perdre mon temps.
Je tourne alors mon regard vers Kiara, qui reste là, les yeux rivés au sol.
- Alors Kiara. T'as quelques choses à dire ? Apprends-moi quelques choses que je ne sais pas déjà.
Kiara fixa ses pieds. Elle ne bouge pas, ses lèvres scellées. Je porte l'arme à mon menton.
- Donc toi non plus tu ne sais pas ? Bon sang ! Que des inutiles... Tu me plaisais bien pourtant. On en a vécu des choses.
J'enclenche mon arme et m'apprête à tirer. Elle ferme les yeux se résignant à mourir. A ce moment Milan rentre dans mon bureau. Elle est sauvée par le gong la petite Kiara. Milan regarde par terre.
- Bondieu Ghost ! C'est quoi tout ça ?
- Alors tu as des nouvelles de ma cargaison... mon frère ?
Milan hoche la tête.
- J'ai déjà une piste. On va voir où ça nous mène... J'espère avoir du concret d'ici demain matin.
Je souris lentement. Un sourire froid, calculé.
- Je savais que je pouvais compter sur toi, dis-je à Milan avant de m'adresser à Kiara. Tu peux partir. Envoie moi l'équipe de nettoyage... Autre chose, trouves toi d'autres partenaires. Je ne crois pas avoir besoin de te notifier qu'ils doivent être fiables. L'omerta, c'est sûr que tu t'en souviens.
Kiara acquiesce silencieusement, un soupir long échappant de ses lèvres alors qu'elle quitte le bureau, se hâtant de s'éclipser. Je me reconcentre sur Milan, qui me regarde maintenant comme si j'étais allé trop loin.
- Alex qu'est-ce que tu fais comme ça ?
Il secoue la tête, visiblement agacé.
- Il faut être un peu flexible parfois. Tu n'avais pas à en arriver jusque-là. Tu es dans un territoire inconnu et tu te permets de perdre des collaborateurs qui te sont loyaux. C'est Kiara tout de même.
Je ne cille pas.
- Il y en aura d'autres.
Mon nom est Aleksandar Vuk Ivan Petrović, 35 ans. Des parents ? J'en avais à un moment donné, je suppose. Maintenant ma famille c'est Kyra et Milan. Juste ça. Pas de femme ni enfant. Mon unique bébé c'est ma sœur. Quand on fait ce que moi je fais, il ne vaut mieux pas s'encombrer de bagages émotionnels. C'est l'une des raisons qui me pousse à éloigner ma sœur d'ici. Je ne pourrais pas être concentré avec elle dans les parages.
Aux yeux du monde je suis un prolifique homme d'affaire. C'est mieux que ça reste ainsi. Je ne voudrais pas partir de façon précipitée comme ça avait été le cas en Serbie. Ici, seulement Milan m'appelle par mon vrai nom. Et il sait qu'il ne doit pas l'utiliser en présence des autres. Je ne me mélange pas. Même pour m'appeler Ghost il faut être un collaborateur proche. Je n'apparais pas dans les journaux. Jamais je ne me laisse photographier d'ailleurs. J'ai commis cette erreur en Serbie, et je ne pense pas reproduire le même schéma ici.
- Tu t'es assuré du virement mensuel de ma sœur ?
Je le regarde fixement, mes bras croisés sur la poitrine. Milan a cette habitude de frotter l'arrière de sa nuque quand il est mal à l'aise. Aujourd'hui, c'est plus marqué que d'habitude. Il semble hésiter, mais après un moment, il lâche :
- Tout a été fait depuis le début de semaine.
Il parle à voix basse, comme s'il craignait que ses mots ne tombent à côté. Je peux voir qu'il évite mes yeux, mais il n'y parvient pas. C'est toujours pareil avec Milan, il fuit la confrontation directe. Mais je sais qu'il est fiable quand il faut.
- Elle va bien ? Tu lui as parlé ? Depuis sa petite crise de l'autre fois elle me répond à peine quand j'appelle.
Je m'efforce de ne pas laisser ma voix trembler sous le poids de l'inquiétude. La dernière fois, elle semblait si fragile, si perdue. Je ne sais même plus si j'ai fait assez pour l'aider. Il faudrait peut-être que je sois plus présent.
- Ouais... ouais. Euh... Tout... tout va bien, bégaie Milan, se tordant les doigts, visiblement mal à l'aise.
Avec Milan, on est tellement synchronisé que parfois j'ai l'impression qu'on est télépathe. Point besoin de placer beaucoup de mots. D'ailleurs de mon point de vue, plus on parle, plus on risque de ne pas être compris. Le surplus d'information altère le message. Mais aujourd'hui, c'est comme si quelque chose se dérobait sous nos pieds. Le trop-plein de non-dits flotte autour de nous. Par ailleurs, je ne vais pas m'attarder sur son bégaiement quoiqu'inhabituel.
Je remets mon arme en place, le geste presque mécanique, un retour à une forme de normalité. Mes doigts effleurent la crosse, une sensation rassurante. Puis, comme pour clore la conversation, je me tourne légèrement vers la porte.
- Tu refermeras derrière toi en sortant.
- D'accord Ghost.