Chapitre 5 Loyauté, la première règle

Manchester, Angleterre

Aleksandar Vuk Ivan Petrović

Ce fumier pensait vraiment pouvoir me doubler, sans même que je m'en rende compte. Quelle blague. Il est si naïf qu'il ne comprend même pas à qui il a affaire. Il faut être bête pour avoir pensé ne serait-ce qu'un peu à cela. Ce genre de type qui pense qu'il peut se faufiler, se frotter à moi... il faudrait qu'il fasse un peu ses devoirs avant de chercher à me défier. Ça montre clairement qu'il ne sait pas à qui il a affaire cet imbécile. A la guerre, on ne se lance pas la tête dans le cul, c'est une question de survie. Ce petit con n'a même pas compris que le piège s'était refermé sur lui avant qu'il n'ait eu le temps de respirer. Comment un homme comme ça a pu régner sur Londres aussi longtemps ? Je me le demande.

Ça m'a pris quoi ? Une soirée pour le géolocaliser. Je ne m'imaginais pas que ce serait aussi facile. Ce fut un jeu d'enfant. Quand on est un féru des filles de joie, on ne peut être nulle part en sécurité. Ça non, on ne peut l'être nulle part. Les femmes n'apportent que des problèmes. En plus de cela, elles sont peu fiables. Quelqu'un qui fait ce métier devrait le savoir il y a bien longtemps. En tout cas je lui ai laissé un petit cadeau à l'entrée de chez lui j'espère qu'il saura apprécier. En voulant s'attaquer à moi, il n'a pas été prudent. Il apprendra donc à ses dépens que l'on ne cherche pas à me doubler impunément.

- On aurait pu épargner la fille Alex. Elle était innocente.

Je sers deux verres de vin, le liquide rougeoyant dans le cristal comme un miroir du sang qu'on a versé. Je sais que ça le ronge, cette histoire, mais il faut bien qu'il comprenne une chose : dans ce monde, les innocents sont des victimes collatérales. Tout est une question de survie, de territoire. Il faut faire des choix. Durs. Mais il n'y a pas d'autre manière de s'imposer.

- Dommage collatéral frangin, rien de plus.

Il avale une gorgée, le regard fuyant, perdu dans ses pensées.

- Oui, mais...

Je le fixe intensément, cherchant à comprendre ce qui le tracasse. Il y a quelque chose qui cloche. Son visage, ce n'est plus le Milan d'avant. Il n'est plus cet homme prêt à tout, cet animal sauvage prêt à se salir pour sa famille. Un malaise dans ses yeux, un changement subtil, mais perceptible. Ça m'agace... me déstabilise même. Je prends mon temps avant de poser ma question.

- Qu'est ce qui t'arrive en ce moment Milan ? Où est passé ce mec qui était toujours prêt à tout pour faire payer un affront ? Où est passé cet homme qui n'avait jamais, je dis bien, jamais peur de se salir les mains ? Tu t'es ramolli Milan. Je ne sais pas trop ce qui t'arrive en ce moment. Mais reprend toi vite, hein. Tu sais très bien que ce n'est pas bon pour les affaires. Je n'aimerais pas avoir à te laisser sous la touche.

Milan soupire. Ses épaules s'affaissent. Puis, détourne le regard, fuyant l'affrontement.

- Non, non... T'inquiète pas, Lex, c'est pas ça, je... je vais bien. Et tu le sais très bien que tu pourras toujours compter sur moi.

Il ment, mais je vois bien que quelque chose cloche. Je le sens. Il s'éloigne de moi, de notre monde. Je le scrute intensément, déconcerté par cette faiblesse, ce truc qui ne lui ressemble pas. J'approche, me plantant devant lui, mon regard d'acier transperçant.

- Ce n'est pas l'impression que j'ai en ce moment Milan. Tu es là ton esprit est ailleurs.

Je continue de le regarder droit dans les yeux, sans détour, sans fioritures. Mais son regard, lui, continue de me fuir. Quelque chose le ronge. Une femme. C'est sûr, c'est la seule explication. Je lâche un rire sec, amer.

- C'est une femme, pas vrai ?

Il hésite, la douleur dans ses yeux est palpable. Il baisse la tête, comme un gamin pris en faute. Puis, secoue la tête, comme pour balayer cette faiblesse de son esprit.

- Euh... non, non. Il n'y a aucune femme. Ne t'inquiète pas. Ça va aller.

- Je t'accorderais bien des vacances. Toi-même tu sais que je ne peux pas me permettre ce luxe en ce moment. Pas avec tout ce qui arrive là. Je suis sûr que ce type ne vas pas se replier au premier accrochage. Mec, tu es le seul en qui je peux avoir confiance ici mon frère.

Je lui tape le dos de ma main, fermement. Milan soupire, sa tête baissée, les mains tremblantes avant de se gratter la nuque.

- T'as intérêt à reprendre tes esprits, Milan. Je n'ai pas de temps à perdre. T'es le seul qui peut me soutenir ici, et si tu me lâches...

Je m'arrête un instant, le fixant avec une intensité froide. Mon ton est devenu plus bas, plus grave.

- Ne me lâche pas, frère. Pas question que tu me déçois.

Il se passe une éternité avant qu'il ne réponde. Je crois qu'il lutte avec lui-même. Il n'a pas le choix. Un soupir plus tard, il se redresse, il m'adresse un regard sombre et résolu. Et même si je sais qu'il ne m'a pas tout dit, que ce poids qu'il porte encore dans ses tripes n'est pas réglé, je vois en lui la flamme de la loyauté.

- Je vais donc rester... mon frère.

Je souris. Son regard fuit une fois de plus. Ses traits sont tirés, son visage marqué par l'épuisement, mais il ne peut pas m'abandonner. Il sait que la situation est trop grave pour se retirer. Ce n'est pas dans son ADN. Il va devoir affronter cette tempête à mes côtés. La mafia, ce n'est pas un jeu. C'est la rue qui vous mange tout cru. Et quand vous êtes dedans, on ne peut pas juste s'en aller. Il n'y a pas de répit. Si je le laisse se vautrer là-dedans, c'est la fin. Pas quand on est dans cette merde jusqu'au cou.

- Merci frangin. Mais tu es trop à fleur de peau en ce moment mon pote. Trouve toi une femme et mets-toi bien. Les femmes, c'est le pire poison, mais aussi le seul antidote. Tu sauras. Le mal causé par une femme est guéri par une autre.

Un rictus amer se dessine sur son visage.

- Aïe mon pote ! C'est bad. Ne me dis pas que tu en es même amoureux.

Milan soupire simplement.

- Je comprends donc pourquoi tu es autant ailleurs. T'as une go. Tu me la présentes quand ? Je la connais ? Elle fait partie du groupe ?

- Tu ne la connais pas car elle n'existe pas, s'est il empressé de me répondre. Je connais les règles Ghost...

D'un mouvement sec, il attrape sa veste en cuir noir, un modèle usé par des années de fuite et de confrontation, et se lève pour sortir.

- Bon j'y vais.

Je reste là, figé. Ok-ay ! Qu'est ce qui vient de se passer là ? Milan est un foutu mystère. Je peux comprendre qu'il puisse être frustré si cette fille ne s'intéresse pas à lui comme il le voudrait. Mais ce n'est pas une raison pour être aussi grincheux. Je suis responsable de quoi moi ? J'espère juste qu'il se reprendra vite. Milan sait parfaitement qu'il n'y a pas de place pour les distractions dans le business. La mort ne biffe pas ton nom quand tu te retrouves dans sa liste. Elle fait juste l'appel. Peu importe qui tu es, tu y passeras.

Quelques minutes après le départ de Milan j'ai reçu un appel de ma sœur. Enfin. Pour toutes les fois où elle m'a snobé cette semaine. Elle vient avec une douceur caractéristique de toutes ces fois où elle veut obtenir quelques choses de moi.

- Bonsoir Lexo ! Tu vas bien frangin ?

- Demande directement ce que tu veux Kyra. Ne passe pas à côté. Ta fausse gentillesse est beaucoup trop onéreuse petite sœur. Je ne peux pas en user pendant longtemps. Cela me coûterait trop.

Elle rit doucement.

- Toujours aussi grincheux. Que Dieu est pitié de ta future femme. Pffff !

- Ça ne me dis toujours pas ce que tu veux Kyra.

- Grand frère je... Euuh...

Elle bégaie.

- Je perds patience là Kyra. Va droit au but. Ou du moins, on peut tout simplement raccrocher et tu me rappelleras quand tu te souviendras du pourquoi de cet appel.

- Je...

Elle hésite.

- Je me disais que je pourrais venir te voir à...

- NON.

Je la coupe sèchement. Pas question qu'elle mette un pied à Manchester. Pas maintenant.

- Je veux te voir Lexo. Je peux être à Manchester avant la semaine vu que je suis en vacances. Tu me manques.

- Tu me manques aussi. Mais c'est toujours non Kyra. Si tu veux me voir. Je peux venir le mois prochain aux States.

Un silence, puis un petit grognement frustré.

- Hhmmm !

J'imagine bien sa moue à cet instant. Lèvres pincées, sourcils froncés. Kyra est très capricieuse, têtue sur les bords. Bon toutes les jeunes filles de son âge le sont. Néanmoins, à ses 21 ans Kyra c'est un cas social. Il n'est pas question que ma sœur vienne en Angleterre sans que je n'aie eu le temps de régler cette situation. Elle doit me détester à cet instant. Ça ne fait rien. Si elle venait ici, dans cet enfer que je tente de contrôler, elle finirait en cible. Et je préfère qu'elle me déteste plutôt que de la voir allongée dans un cercueil.

La conversation avec Kyra me laisse un goût amer. Je fixe mon téléphone, les sourcils froncés. Je sais qu'elle va ruminer, m'en vouloir, peut-être même m'envoyer des messages enflammés dans les heures à venir. Elle ne comprend pas. Elle ne peut pas. Ce monde, ce bordel, ce n'est pas une vie pour elle.

Je me lève, passant une main dans mes cheveux soigneusement coiffés en arrière. Chaque geste, chaque détail de mon apparence définit ma personne. Je suis un homme façonné par la rue, poli par le chaos et durci par la trahison. Un symbole de contrôle, de pouvoir. Pas question de montrer la moindre faiblesse. Mon costume noir impeccable coupé sur mesure, mes bottines en cuir luisant dans la lumière crue du plafonnier... Mon reflet dans la vitre me renvoie une image froide. Je détourne le regard. Pas le temps de philosopher sur ce que je suis devenu.

Un coup à la porte. Trois frappes sèches.

- Entrez.

La porte s'ouvre, et Sergei apparaît. Massif, avec ses cheveux blond platine rasés de près, une barbe taillée à la perfection et des yeux glacials. Il porte un long manteau noir, ses gants en cuir toujours ajustés, une arme probablement dissimulée sous la doublure.

- Patron, dit-il en entrant. On a un problème.

Je me redresse, le regard acéré. Avec Sergei, ce n'est jamais une broutille.

- Parle.

Il avance de quelques pas, ferme la porte derrière lui. Sa voix est basse, rauque, comme s'il redoutait que même les murs puissent entendre.

- Les hommes des Vujisić. Ils sont sur notre territoire. Ils ont descendu deux gars dans le quartier Est.

Un froid glacial s'empare de mon estomac. Vujisić. Un nom qui suffit à faire frissonner les plus téméraires.

- Est-ce que Milan est au courant ?

- Pas encore. Il est parti avant qu'on reçoive l'info.

Je serre les mâchoires.

- Rassemble les hommes. Je veux des détails. Où, quand, et combien ils étaient.

Sergei hoche la tête, mais il ne bouge pas. Je le connais trop bien.

- Quoi d'autre ?

- Il y avait un message.

Il sort un bout de papier froissé de sa poche et me le tend. Dessus, écrit à la hâte en lettres majuscules :

"C'EST LE DÉBUT. TU SAIS COMMENT ÇA FINIT."

Je fixe les mots, mes doigts se crispant autour du papier. Un avertissement. Une déclaration de guerre. Vujisić n'envoie jamais ce genre de message à la légère.

- Bien.

Je lève les yeux vers Sergei.

- Contacte Milan. Je veux qu'il rentre immédiatement. Et Sergei... double les gardes autour de l'entrepôt et de ma maison. Personne n'entre sans autorisation. Personne.

- Compris, patron.

Il s'éclipse aussi vite qu'il est arrivé, me laissant seul avec mes pensées. La colère gronde en moi, mais je la contiens. Il n'y a pas de place pour l'impulsivité. Pas dans ce jeu. Vujisić veut jouer ? Très bien. Mais il regrettera d'avoir osé me défier sur mon propre territoire. Il aurait dû se contenter de la Serbie.

J'attrape mon manteau, un modèle sombre en cachemire, ajusté à ma carrure. Sous son col relevé, ma chaîne en or brille faiblement. C'est un souvenir, un rappel de mes origines, de là où tout a commencé. Alors que je sors dans la nuit glaciale de Manchester, une seule pensée m'habite. Si Vujisić, Donovan ou quiconque veut une guerre, il l'aura. Et je ne laisserai aucun survivant.