Ce que tu dis
img img Ce que tu dis img Chapitre 2 Chapitre 02
2
Chapitre 6 Chapitre 06 img
Chapitre 7 Chapitre 07 img
Chapitre 8 Chapitre 08 img
Chapitre 9 Chapitre 09 img
Chapitre 10 Chapitre 10 img
Chapitre 11 Chapitre 11 img
Chapitre 12 Chapitre 12 img
Chapitre 13 Chapitre 13 img
Chapitre 14 Chapitre 14 img
Chapitre 15 Chapitre 15 img
Chapitre 16 Chapitre 16 img
Chapitre 17 Chapitre 17 img
Chapitre 18 Chapitre 18 img
Chapitre 19 Chapitre 19 img
Chapitre 20 Chapitre 20 img
Chapitre 21 Chapitre 21 img
Chapitre 22 Chapitre 22 img
Chapitre 23 Chapitre 23 img
Chapitre 24 Chapitre 24 img
Chapitre 25 Chapitre 25 img
Chapitre 26 Chapitre 26 img
Chapitre 27 Chapitre 27 img
Chapitre 28 Chapitre 28 img
Chapitre 29 Chapitre 29 img
Chapitre 30 Chapitre 30 img
Chapitre 31 Chapitre 31 img
Chapitre 32 Chapitre 32 img
Chapitre 33 Chapitre 33 img
Chapitre 34 Chapitre 34 img
Chapitre 35 Chapitre 35 img
Chapitre 36 Chapitre 36 img
img
  /  1
img

Chapitre 2 Chapitre 02

Je ne sais pas depuis combien de temps je me frotte les mains, mais si je continue, je vais finir par m'arracher la peau.

Alors à contre cœur, j'ouvre le robinet et regarde les bulles disparaître dans les canalisations.

J'essuie rapidement mes mains avant de me regarder dans le miroir: si j'avais eu le choix, j'aurai opté pour un sari couleur aubergine.

Comme c'est ma mère qui a décidé, son choix s'est arrêté sur ce sari turquoise.

Sans doute croit-elle que ces teintes pastelles vont aider à feindre la douceur que je n'ai pas...Elle avait dit qu'il va avec mes yeux mais c'est faux. Mes yeux sont plus bleu-gris que vert. Oui, c'est de la mauvaise foi, je l'assume.

Je ferais mieux d'y retourner avant qu'ils ne finissent pas se demander ce que je fais. Avec un petit rire qui me vaut le regard réprobateur de la femme qui se lave les mains à côté de moi, je les imagine entrain de se questionner sur ce qui me retiendrait autant dans les toilettes. C'est vrai que ça ne fait pas classe.

Tout le monde sait qu'une femme de mon statue ne fait pas de grosses commissions...

Replaçant une mèche de cheveux derrière mon oreille, j'ouvre la porte, en me disant que je devrais les couper. Ma mère me truciderait si j'essayais quoi que ce soit!

Je dois encore garder les cheveux longs -du moins jusqu'à mon mariage- avant d'envisager de ne serait-ce que les raccourcir jusqu'aux épaules.

Comment ma mère réagirait si jamais je revenais à la maison avec une coupe à la garçonne comme Charlize Theron? Il faudrait le faire pour savoir. Heureusement, je tiens plus à ma tête qu'à ma coupe de cheveux!

Je marche alors en souriant, jusqu'à la salle principale du restaurant -l'une des propriétés de la famille Darpan évidemment-.

Quand j'ai la table que nous occupons en vue, je change légèrement ma démarche et ma posture : mademoiselle jeune-femme-parfaite-de-bonne-famille est de retour.

Arjun a les yeux fixés sur moi, les sourcils légèrement relevés. Ai-je vu l'ombre d'une sourire sur ses lèvres ? Difficile de dire à cette distance.

- Veuillez m'excuser pour le retard, une touriste m'avait arrêté pour me demander si c'était vraiment la couleur de mes yeux ou juste des lentilles, je dis avec un sourire parfaitement calculé.

Le genre de sourire sagement moqueur, avec une pincée de mépris.

- Ces gens sont drôles ! Toujours à croire que le meilleur ne peut provenir que d'eux, s'exclame le père d'Arjun.

- Tu l'as dis mon cher ! Tu te souviens encore de toutes ces remarques à Cambridge ?

- Bien sûr !

- Tes yeux sont magnifiques, réussi à me glisser Madhur, la mère d'Arjun avant que mon père et son ami ne repartent dans un autre récit.

Madhur est une femme d'une beauté rare, qui m'a plu dès que nous nous sommes rencontrées.

Elle est d'une telle simplicité:

"Tu vas devenir ma seconde fille. Et je ne veux pas que toutes ces choses parfois archaïques ne viennent encombrer notre relation, ma chérie. Je suis contente que mon fils ait jeté son dévolu sur une femme comme toi", avait-elle dit avec un clin d'œil.

Une femme incroyable en somme.

Ce que j'aime quand je suis avec eux, ce que je n'ai pas besoin de beaucoup parlé, juste assez pour approuver ce qu'ils disent.

Je peux ainsi laissé mon attention dériver ailleurs: j'aime observer les gens. Même si de là où nous sommes -au centre de l'immense salle au haut plafond-, c'est nous qui sommes la cause de toutes les attentions.

Et à raison : deux des plus puissantes familles de la ville vont s'unir par le mariage. Il faut que ça se sache!

Puis mes yeux tombent sur Arjun. Mon cher futur mari.

Toujours ce regard aussi distant.

Son attitude est comme une perche qui m'est tendue, je suis si tentée de la saisir, que j'hausse légèrement les sourcils avant de sourire.

Il plisse des yeux, avant de reporter son attention ailleurs.

Mais...il a sourit !

Que cache-t-il d'autre derrière ce masque de perfection ?

J'ai envie de le découvrir.

Ce mariage pourrait être plus intéressant que ce que je pensais...

Je dois cependant faire attention à ne pas en abuser, je ne sais pas comment il réagirait s'il savait quelle genre de personne je suis réellement. Et combien cette personne est différente de l'image que je véhicule...

Parce qu'il y a de fortes chances qu'il cherche à annuler le mariage.

Plus les jours avancent, plus le stress s'accumule. Il y a une chose incroyable que j'ai découvert quand j'étais en Angleterre : j'aime courir.

A l'approche des examens, quand je n'allais pas bien ou juste lorsque Abhay et moi nous disputions, j'allais courir.

J'avalais les kilomètres, jusqu'à ce que je ne puisse plus mettre un pied devant l'autre. Alors seulement, je m'allongeais à terre, tandis que mes poumons en feu tentaient d'aspirer le plus d'air.

Envisager de sortir de la propriété pour aller courir dans Mumbai, la nuit ? Impensable pour ma famille. De plus, notre parc ne me suffit plus. Alors certaines nuits, comme ce soir, lorsque je n'en peux plus, je sors en douce. Oui bon, je ne me limite qu'aux beaux quartiers de Mumbai. J'ai réussi à m'entendre avec notre portier : j'ai droit à 7 heures par mois, à raison d'une par semaine. Ce n'est pas beaucoup, mais c'est déjà ça.

Certains diront que c'est une restriction de liberté, d'autres une mesure de sécurité...

Sentir mon rythme cardiaque grimper en flèche est une sensation enivrante.

C'est comme si mon cœur réclamait sa liberté, cherchant à sortir de ma cage thoracique. Arrivée à la fin de mon parcours, je m'arrête, les mains appuyées sur mes genoux. J'ai la gorge en feu, et le souffle court, mais surtout je commence à sentir mon stress refaire surface.

Demain, j'ai un déjeuner prévu avec Arjun. Et je ne sais absolument pas comment ça va se dérouler. Que veut-il me dire ? C'est vrai que depuis le début, nous n'avons jamais eu l'occasion de vraiment parler. J'appréhende donc énormément. Je dois prendre mon courage à deux mains: je suis déjà bien engagée dans toute cette histoire, il m'est impossible de faire demi-tour! Je ne peux qu'avancer, tout en essayant à de m'adapter à ce qui va être ma nouvelle vie. Et ça promet! Je sais que toutes les femmes confrontées au mariage arrangé, n'ont pas la chance de rencontrer leurs futurs époux avant les noces. Encore moins leur parler, donc en quelque sorte, on peut dire que j'ai une sacrée chance. Le truc, ce que je ne veux pas avoir à me comparer aux autres.

Nous n'appréhendons pas tous les chose de la même façon. Ce que je considères comme acquis et allant de soit, peut être le rêve d'une autre personne, et vice versa...

Je jette un coup d'œil à ma montre : 22h50. Je ferai mieux de rentrer.

*

Le restaurant Iksha - la vue-, porte bien son nom : situé dans la tour Lodha World One, elle offre une vue magnifique sur Mumbai, mais aussi sur la mer d'Arabie. A la base, la tour n'était censée être qu'une suite de résidences de luxe, mais Kishnan Lokprakash le plus grand Chef de la ville, a réussi à acquérir avec sa femme les trois derniers étages, pour en faire un restaurant. Dont les mets sont réputés dans tout l'Inde. J'y ai parfois dîné avec mes deux amies : Adrika et Idha. Mais alors, il m'avait fallu réserver des mois à l'avance! C'est un lieu comme sorti d'un rêve.

L'endroit a quelque chose de magique que j'ai toujours apprécié : dès que l'on sort de l'interminable ascenseur, on est accueilli par le bruissement des rideaux d'eau, ainsi que l'odeur des lotus plantés dans les bassins, ainsi que celui plus entêtant du jasmin. Des plantes tropicales de toutes sortes tombent des vases ciselés, accrochés sur le haut plafond. Les tables sont judicieusement dispersées dans les trois étages du restaurant, parmi lesquelles circule un personnel prêt à faire n'importe quoi pour vous satisfaire.

- Namasté, me dit une jolie hôtesse dont les cheveux sont retenus par une longue natte qui glisse sur son épaule lorsqu'elle se penche pour me saluer. Bienvenue a l'Iksha.

- Namasté, je lui réponds.

- Avez-vous une réservation ? Ou êtes-vous attendue...

- Oui, je suis attendue. La table est au nom d'Arjun Darpan.

Ses yeux s'écarquillent légèrement lorsque je prononce le nom de mon futur mari. Puis elle me sourit de plus belle.

- Veuillez me suivre, madame. Votre table se trouve au dernier niveau. La vue y est splendide, dit-elle en utilisant son badge pour ouvrir un autre ascenseur.

Nous effectuons le trajet en silence.

Quel âge peut-elle avoir ? Surement le même que moi, elle ne semble pas très âgée. Elle a un très beau sourire, j'aimerai engager la conversation, mais je n'ose pas, de peur de la mettre mal à l'aise. Du coup, je me concentre sur ma tenue pour ne pas trop penser à la boule de stress sournoise qui a élu domicile au creux de mon estomac. Ma mère n'a pas approuvé ma tenue, évidemment. Elle aurait voulu que je porte un sari à la place. J'ai finalement opté pour un chemisier blanc avec un pantalon d'un turquoise très pâle-oui j'aime finalement cette couleur-, des talons aiguilles et une petite pochette en guise de sac. Je me sens plus à l'aise comme ça, parce que cela donne à ce rendez-vous des airs d'entretien d'embauche plutôt qu'un déjeuner avec l'homme qui va devenir mon mari. Ce que je peux facilement gérer. Tant que je me dirais que c'est un acte de pur bon sens, tout ira pour le mieux.

Je plonge une main dans mes cheveux, tentant de les recoiffer un peu.

- Vous êtes parfaite, me dit l'hôtesse.

- Merci, je réponds en lui rendant son sourire complice. Ce que...je suis un peu nerveuse.

- Essayez de penser à quelque chose qui vous apaise. Tout va bien se passer, vous verrez.

Ah oui ?

Dès que les portes s'ouvrent, elle reprend tout son professionnalisme et me conduit vers la table où m'attend Arjun.

Le dernier étage est le plus beau du restaurant. On se croirait dans un magnifique jardin, où tout a été conçu pour éblouir les clients: la végétation y est plus luxuriante. Et que dire de cette vue dégagée sur la ville? On se croirait dans un jardin perché dans les nuages.

Arjun occupe une table près de l'immense baie vitrée, par laquelle on peut voir l'Ouest de Mumbai et la mer. Dès qu'il lève les yeux de son téléphone et qu'il me voit, il se lève.

J'avoue, qu'il ne me laisse pas indifférente dans son costume d'un gris presque noir qui souligne son corps athlétique. Quel genre de sport peut-il pratiquer ? En tout cas, la vue est fort agréable...

Sa barbe, ainsi que sa moustache sont parfaitement taillés, agrémentent les traits harmonieux de son visage, tandis que ses cheveux sont parfaitement coiffés en arrière. Avec cette allure très soignée, il est encore plus impressionnant. Cependant, ses yeux restent parfaitement inexpressifs, tandis que je m'approche. Il pourrait tout aussi bien être entre de regarder un panneau publicitaire... Un du genre: "vous trouverez ici, les spécimens les plus intéressants de femme à marier. Nous avons un catalogue fourni'... enfin bref. Je commence sérieusement à m'égarer, là.

Lorsque l'hôtesse et moi arrivons à son hauteur, sans plus se préoccuper d'elle et à ma grande surprise, il se penche vers moi et dépose un baiser sur ma joue. Ce qui me surprend énormément, surtout qu'en Inde, il est presque impossible d'assister de la sorte à des démonstrations publiques d'affections.

Son odeur est un mélange de bois de santal et de pin. Un parfum qui me rappelle mes randonnées en Angleterre dans la forêt. Je sens aussi sur lui une très légère odeur de tabac. Fumerait-il ?

- Tu es très belle aujourd'hui, me dit-il de sa voix grave.

- Merci, je réponds d'une voix chevrotante.

Ce qui le fait sourire et m'agace. Je ne veux pas qu'il ait conscience de l'effet qu'il a eu sur moi, pendant une milliseconde. Je ne le veux absolument pas!

- Euh...Bonjour monsieur Darpan. Je me prénomme Aïsha et je suis l'hôtesse qui va s'occuper de vous durant l'ensemble du service.

Arjun et moi, nous tournons alors vers elle. J'avais presque oublié qu'elle était là.

Heureusement pour moi, elle est la seule à avoir le geste affectif d'Arjun! Les autres clients étant séparés de nous par les rideaux d'eau ou encore des plantes. Elle semble si embarrassée, qu'elle ne le regarde pas dans les yeux, mais fixe un point sur sa poitrine.

Voilà donc l'effet qu'il a sur les femmes... Pauvre Aïsha, elle a les joues écarlates. Et on dirait bien qu'elle ne sait plus où se mettre.

- Bien. Et merci, répond calmement Arjun.

Aïsha repart très vite après avoir murmurer qu'elle nous rapportait les menus. Arjun me tire la chaise pour que je m'installe avant de venir s'asseoir en face de moi.

- Comment vas-tu ? As-tu passé une bonne semaine ?

Il semble attendre ma réponse avec intérêt. Et cela est loin de l'image remplie de froideur que j'ai de lui.

Je devrais sans doutes faire des efforts. Parce que lui semble en faire. Après tout, nous sommes tout les deux plus ou moins dans le même bateau.

- Je vais bien, merci. J'ai passé une semaine remplie mais positive dans l'ensemble. Et toi ?

Je décide de jouer la carte de la neutralité. Comme ça, aucun risque de pris!

- Je vais bien aussi, dit-il avec un sourire bref. En ce moment, je suis en plein sur un contrat de fusion-acquisition complexe, mais très important. C'est assez stressant, malheureusement.

- J'espère que ça va bien se passer.

- Je l'espère aussi. Ces acheteurs de Singapour sont disons...très capricieux.

Il marque une pause, tandis que son regard dérive un moment vers la baie vitrée. Ce qui me laisse tout le loisir de l'observer. Mes yeux sont attirés par l'anneau en or qu'il porte à l'annulaire gauche. Je la porte moi aussi. Nous les avons échangé lors de la cérémonie de nos fiançailles... Si mes souvenir sont exacts, c'était la première fois que je le touchais.

- Excuse-moi, de ce moment d'inattention. Je ne voudrais pas que notre déjeuner soit alourdi par le fait de parler de mon travail.

- Ça ne me gêne pas de parler de ton travail. C'est une façon différente d'apprendre à te connaître.

Il lève les yeux sur moi.

Et une ombre y passe. Que signifie-t-elle?

- C'est vrai, tu as raison.

Il est sur le point de rajouter quelque chose, lorsqu'Aïsha revient avec les menus.

La cuisine de l'Iksha se vente de mêler aussi bien les saveurs occidentales que celles purement indiennes. Je me contente de choisir en plat principal du Dam aloo*, tandis qu'Arjun opte pour des légumes korma*.

- Comment se passe ton travail à l'hôpital ?

- ...Je dois avouer que c'est éprouvant. Aussi bien physiquement, que moralement, surtout avec les préparatifs du mariage.

Ce qui m'est vraiment difficile, c'est de tenir une conversation où je dois peser le pour et le contre de tout ce que je dis. Comme si chaque mot que je sortirai, allait être une balle que je tirerai à mon propre pied...

Il hoche la tête, toujours en me regardant droit dans les yeux. C'est assez étrange qu'il me regarde d'ailleurs si longtemps en face, lui qui a toujours tendances à m'ignorer en temps normal. Et à cause du peu d'intérêt qu'il m'a manifesté jusque là, je ne peux m'empêcher de me demander la véritable raison de ce déjeuner.

- Comment en es-tu arrivée à devenir médecin ? Et n'est-ce pas...dangereux pour toi de travailler dans l'hôpital publique de Mumbai ? Tu pourrais te faire agresser...

Contrôle ta bouche, Priyanka!Je prends tranquillement une bouchée de mon plat.

C'est vraiment délicieux ! Ce qui me laisse le temps de savourer et réfléchir, avant de lui répondre.

- Il y a fort peu de chances que j'y subisses une agression. Aussi étrange que cela puisse paraître, l'hôpital et ses environs font partie des lieux où je suis le plus en sécurité. Comme la médecine est une passion, rien que pour ça, je suis prête à prendre des risques. D'ailleurs ma tante Somaya y est pour beaucoup. C'est le métier que j'ai toujours voulu faire, grâce à elle.

- Dans quel but ? Je veux dire, tu aurais pu faire n'importe quoi d'autre ! Journaliste par exemple, tu as le physique pour. D'ailleurs on a plus de facilitée à t'imaginer comme cela, devant un écran qu'en médecin.

Il n'y va pas par quatre chemins lui ! Mais ai-je vraiment envie de lui parler de ma motivation d'être médecin ? De plus, je pourrais bien prendre mouche avec ce qu'il vient de dire. Une femme n'aurait pas le droit d'être belle et en même temps avoir une cervelle ? Pour quelqu'un qui a fait la majeure partie de ses études dans des pays occidentaux, il tient un discours très conservateur...

Je dois retenir toute ma fibre féministe avant de répondre, parce que la tournure que cette conversation prend, commence me montrer quelque chose qui risque de me mettre en colère. Je n'aime pas être cataloguée. C'est quelque chose avec laquelle je lutte depuis des années: cataloguée pourrie gâtée, parce que ma famille est riche. Cataloguée étrange, parce que je venais d'un autre pays dont la plus part de mes camarades à l'université ne connaissaient que pour ses films ou par des documentaires sur le Tiers-Monde. D'ailleurs, certains étaient persuadés que je passais ma vie à manger du curry. Et enfin, cataloguée incompétente, parce que j'étais une femme, exerçant un métier à majorité masculine...

- J'ai une question. Et réponds -moi franchement s'il te plaît: vas-tu m'interdire de travailler, une fois que nous serons mariés?

Aie. Au moins j'ai essayé.Chassez le naturel et il revient au galop dès que l'on est trop stressé pour réfléchir correctement !Je ne sais pas comment il va réagir à cette question dans laquelle, je n'ai même pas cherché à mettre les formes.Ma voix a été dure.

Il me regarde un long moment avant de répondre, calmement. Au moins, il est égal à lui-même.

- Non. Je ne ferais pas une chose pareille. Je respecte tes choix. Et j'admire ce que tu fais. Il faut du courage, et peu de personnes savent en faire preuve. Je suis désolé, si je t'ai paru un peu brusque, je voulais juste que tu m'en parles honnêtement. Je m'excuse sincèrement.

- J'ai plutôt eu le sentiment de subir un interrogatoire, je dis avec un sourire gêné.

Il éclate de rire. Ce qui transforme complètement son visage. C'est incroyable.

- Voilà qui est intéressant, dit-il avec un sourire énigmatique. Mais n'est-ce pas une autre manière de faire connaissance? Nous devons faire un effort pour ne pas nous retrouver avec l'un comme l'autre, un parfait inconnu. Un inconnu avec qui, il serait difficile de lancer les bases d'une relation, tu ne trouves pas?

- Oui tu as raison, je dis hésitante.

Il marque un point.

Nous parlons le reste du déjeuner de nos études, des villes dans lesquelles nous avons vécu, ou juste visité.

Le mariage n'a pas été explicitement évoqué depuis ma question, mais ce n'est pas pour autant que je vais dire que nous avons eu un échange intime. C'était plutôt comme un échange de données entre futurs associés.De plus, il y a quelque chose chez Arjun qui me pousse à vouloir en savoir plus à son sujet.

Certes, je sais qu'il a 30 ans, -soit deux ans de plus que moi-, fils aîné d'une fratrie de 3 enfants : deux garçons dont lui, ainsi que sa petite sœur. Il a étudié en Suisse, puis aux Etats-Unis. Mais l'homme qui se trouve derrière cette première emphase, je ne le connais pas.

Ce qui est normal puisqu'il y a encore un an et demi, je ne savais même pas qu'il existait!

Ce qui m'angoisse le plus, c'est l'idée qu'il en sera ainsi pour le restant de ma vie avec lui. Il y a cette...froideur dans ses yeux. Il ne risque pas de se "lâcher" avec moi, ça c'est sûr. Et est-ce que je le veux ? Est-ce que je veux apprendre à le connaître? J'ai accepté de me lier à lui, mais ai-je accepté le reste pour autant ? Et que suis-je prête à le laisser voir ?

Si je suis honnête avec moi même, je dois me dire que je n'ai pas à lui reprocher d'être distant avec moi. Si on me demandait à cet instant, alors que nous traversons Mumbai dans sa voiture, de lui dire tout lui sur moi, je refuserai catégoriquement. A quoi je pensais ? A défaut d'amour, nous pourrions au moins être des amis proches, pour que ça marche ? Des associés en somme, des partenaires de la même galère ? Des conneries.

Les choses ne seront pas comme ça entre Arjun et moi. Je le sais. Je le sens.

~

            
            

COPYRIGHT(©) 2022