Les lampadaires vacillaient, projetant des ombres déformées sur l'asphalte. Elle accéléra, jetant des regards furtifs autour d'elle. Son quartier n'était pas particulièrement dangereux, mais depuis quelques jours, elle se sentait épiée, traquée par une silhouette invisible. Son souffle était court lorsqu'elle atteignit enfin la grille rouillée du parc abandonné, un raccourci qu'elle empruntait par habitude, malgré l'aura sinistre des lieux.
À peine eut-elle posé le pied sur l'herbe humide qu'un courant d'air violent la figea. Une silhouette se tenait là, immobile, juste au bord du sentier. Un homme, grand, vêtu de noir, dont la présence dégageait une intensité suffocante. Son regard, deux prunelles d'un bleu tranchant, se posa sur elle avec une fascination troublante. Ava n'eut pas le temps de reculer que l'étrange inconnu s'approcha d'un pas fluide, sans le moindre bruit.
Un frisson incontrôlable parcourut son corps. Tout en lui inspirait à la fois l'effroi et une attraction inexplicable. Lorsqu'il parla, sa voix grave résonna comme un écho lointain dans son esprit.
Mais ce ne furent pas les mots qui la terrifièrent. Ce fut la certitude qu'à partir de cet instant, plus rien ne serait jamais normal.
Ava recula d'un pas, son souffle suspendu. L'air autour d'elle semblait s'être alourdi, chargé d'une énergie sombre et oppressante. L'homme ne bougeait plus, mais sa présence suffisait à happer toute l'attention de son corps, comme si son existence seule exerçait une force invisible sur son être.
Le silence s'éternisa, et la jeune femme sentit son cœur cogner violemment contre ses côtes. Elle ne comprenait pas ce qui la retenait clouée sur place. Ce n'était pas simplement de la peur... c'était autre chose. Quelque chose d'instinctif, de viscéral, qui enchaînait ses muscles et noyait son esprit.
Puis il fit un mouvement. Léger, imperceptible, mais suffisant pour briser l'instant figé. Ava sursauta et se força à déglutir. Ses jambes semblaient vouloir lui obéir à nouveau. Un pas en arrière, puis un autre. Mais à peine eut-elle brisé la distance qu'une sensation déchirante la traversa. Comme si une main invisible venait de s'accrocher à son âme pour l'empêcher de fuir.
Un vertige la saisit et elle vacilla, sa vision se brouillant un instant. Une chaleur étouffante lui monta à la gorge, et sous ses paupières closes, des images floues jaillirent. Des souvenirs qui n'étaient pas les siens. Des sensations venues d'ailleurs, impossibles à expliquer. Une ombre, un cri lointain, une douleur aiguë.
Lorsqu'elle rouvrit les yeux, il était là, tout près. Trop près. Son visage figé dans une expression indéchiffrable, ses iris flamboyants d'une intensité troublante.
Un frisson la parcourut de la tête aux pieds. Elle aurait dû hurler, se débattre, courir, faire quelque chose. Mais elle ne fit rien. Parce qu'au fond d'elle, elle savait que cet instant, aussi terrifiant soit-il, était inéluctable.
Comme si elle l'avait déjà vécu. Comme si elle l'avait toujours attendu.
Et alors, dans un murmure aussi impalpable que le vent nocturne, il prononça son nom.
Ava.
Et le monde s'effondra.
La douleur la frappa de plein fouet, brutale et insoutenable, comme si son âme elle-même venait d'être arrachée à son corps. Ava s'effondra à genoux, haletante, les mains crispées sur la terre humide. Chaque battement de son cœur résonnait dans son crâne, un tambour sourd qui martelait l'intérieur de sa poitrine.
Tout tournait autour d'elle, le sol, le ciel, l'air qu'elle tentait désespérément d'aspirer. Et lui...
L'homme, ou plutôt la créature, se tenait toujours là, impassible. Ses yeux froids l'observaient, comme s'il jaugeait la moindre de ses réactions, comme s'il s'attendait à ce qu'elle comprenne enfin.
Une terreur sans nom la submergea. Ce n'était pas normal. Rien de tout cela n'était normal. Le froid qui lui mordait la peau, l'obscurité qui semblait s'étendre au-delà de la nuit, la présence écrasante de cet inconnu qui semblait ne faire qu'un avec les ombres.
Ava voulut parler, hurler, mais sa gorge était nouée, incapable d'émettre le moindre son. Puis, alors qu'elle pensait sombrer dans l'inconscience, une voix profonde s'éleva dans l'air glacial.
- Tu ressens ce lien, n'est-ce pas ?
Elle tressaillit.
Il s'accroupit lentement face à elle, ses doigts fins effleurant le sol à quelques centimètres des siens.
- C'est inutile de lutter.
Elle secoua la tête, des larmes involontaires embuant ses yeux.
- Qui es-tu ?
Il pencha légèrement la tête, une lueur étrange dans son regard.
- Cela n'a pas d'importance. Ce qui importe, c'est ce que nous sommes.
Ava sentit son corps se raidir. Ce que nous sommes ?
L'homme tendit la main vers elle, et avant même qu'elle n'ait le temps de réagir, ses doigts effleurèrent sa peau. Une décharge fulgurante la traversa. Ava se redressa brusquement, le souffle coupé, une chaleur brûlante irradiant tout son être. Des images éclatèrent dans son esprit.
Un château noyé dans les ténèbres. Une lune de sang. Des ombres mouvantes. Des cris.
Et au milieu de ce chaos, une silhouette familière.
Lui.
Elle lâcha un hoquet, le cœur prêt à exploser.
- Non... murmura-t-elle, refusant d'accepter l'évidence.
Mais il la regardait toujours, impassible, implacable.
- Si, Ava. Nous sommes liés. Depuis bien plus longtemps que tu ne l'imagines.
Ava recula précipitamment, le souffle court, son corps refusant d'accepter ce qu'elle venait de voir. Son cœur battait si fort qu'il résonnait jusque dans ses tempes, et pourtant, malgré la panique qui menaçait de l'engloutir, une part d'elle ne pouvait détourner les yeux de lui.
L'homme, ou plutôt l'être qui lui faisait face, ne bougeait plus. Il se contentait de l'observer avec une intensité presque insoutenable. Comme s'il attendait quelque chose. Comme s'il espérait une réaction précise.
- Tu mens... balbutia Ava d'une voix brisée.
Un sourire fugace, à peine une esquisse, effleura les lèvres de l'inconnu.
- Crois ce que tu veux, mais ton âme sait.
Son âme... Ava sentit un frisson la parcourir. Elle secoua la tête, refusant d'accepter ce qui se dessinait devant elle. Tout son être criait au mensonge, au cauchemar, à l'illusion. Et pourtant... cette douleur dans sa poitrine, cette chaleur qui l'enveloppait depuis qu'il l'avait touchée...
Ce n'était pas normal. Ce n'était pas humain.
Un vent glacé s'engouffra entre eux, faisant voler les mèches sombres d'Ava autour de son visage. Le ciel au-dessus d'eux semblait plus sombre que jamais, comme si la nuit elle-même retenait son souffle.
L'homme se redressa lentement, dominant de toute sa hauteur la jeune femme tremblante à ses pieds.
- Je ne t'ai pas cherchée, Ava, mais je t'ai trouvée. Et maintenant, il est trop tard.
Un éclair de peur traversa son regard.
- Trop tard pour quoi ?
Il s'approcha encore, et cette fois, elle ne put reculer. L'air autour d'eux vibrait, saturé d'une force invisible, une force qui la tirait inexorablement vers lui.
- Pour fuir.
Les ombres s'étendirent. Une douleur fulgurante lacéra son esprit. Ava sentit son corps céder, son souffle se suspendre.
Puis tout devint noir.