Le sport n'est pas mon activité de prédilection, mais ça m'arrive d'avoir envie de bouger un peu, et comme je ne danse pas je n'ai plus qu'à aller courir. Cela dépend généralement de mon humeur et, je ne sais pas trop pourquoi elle était excellente ce matin, peut-être la journée d'hier m'avait été agréable sans que je ne m'en aperçoive.
Je laisse un message WhatsApp à ma mère, la prévenant que je que suis sortie. Dans la cours je fais quelques étirements : rotation des talons, des hanches, flexions et extensions, puis j'engage au petit trot pour quitter le quartier. Malgré les 6h du matin que la montre affichait, le vent qui soufflait ne me rafraîchissait que peu_j'ai la transpiration facile _, et j'étais en sueur à mon arrivée au parcours.
Je mets quelques secondes à traverser la route à double sens qui me sépare de l'entrée; des voitures ne cessent de garer au parking externe qui longe la clôture du complexe. Un immense terrain vague sépare les différentes salles de sport qui se situes tout autour, il n'y a pas encore beaucoup de gens mais des moniteurs regroupent déjà plusieurs personnes, mais moi je me dirige directement vers ce qui m'intéresse, la piste de course du complexe, un parcours de 1,9 Km avec un gain de hauteur de 11 m.
Je commence doucement en prenant de grandes inspirations, me représentant cela comme un défi à relever, puis j'enchaîne avec des foulées lentes et régulières, à la prise de hauteur, je choisis la pente lisse au lieu de l'escalier.
Le parcours, irrégulier entoure un lac en son milieu et la nature y est encore maître, je prends mon temps en observant les arbres, les herbes et les oiseaux comme toujours, me perdant dans mes pensées, des milliers de questions me tourne dans l'esprit...parfois,j'ai du mal à accepter que nous soyons des milliards sur Terre et que chacun vive une vie à part, totalement différente de la mienne, quoiqu'on dise, il est impossible de comprendre ce que les autres vivent ou ressente, en tout cas c'est mon point de vu, j'ai perdu mon père mais je ne peux pas imaginer la douleur d'une autre personne dans la même situation. Je me demande d'ailleurs ce que j'ai manqué en grandissant sans lui? Qu'est-ce-que ma mère ressent au travail ? quand elle rentre? Ai-je bien fait de devenir une personne aussi...je ne trouve pas le bon mot mais il est à coup sûr négatif...et puis...pourquoi? Je ne lui ai parlé que quelques minutes mais pourquoi son visage est resté dans ma tête ?...
J'avais finis le premier tour et commencé un deuxième sans m'en rendre compte, essoufflée, je commence à marcher à pas réguliers, quand je remarque une silhouette près de l'escalier du parcours, je ne peux pas me tromper puisque ce visage ne cesse de me revenir en mémoire depuis hier. Djal faisait des flexions sur la rambarde d'escalier et _ malheureusement _ son jogging bleu ciel trop ample ne laisse pas imaginer sa silhouette qui pourtant semblait flatteuse.
Je l'ai fixé trop longtemps et il m'a remarqué, je detourne alors les yeux agissant comme un enfant pris dans le sac, un sentiment de culpabilité à la traîne.
-(... Je l'ai juste regardé, comme j'ai regardé des dizaines de personnes depuis ce matin, j'ai pas à me sentir coupable...)
Je pensais cela l'esprit agité mais ce sentiment désagréable persistait, je lâche alors un petit rire glauque pour rire de ma propre bêtise et accélère mes foulées, comme si transpirer plus allait effacer cette sensation, je voulais juste ignorer Djal mais...
-Salut Camille !
...mais il m'adressa la parole.
Je continue à courir comme si je n'avais rien entendu, mais une silhouette apparue devant moi, c'était "lui" bien évidemment mais il ne me bloquait pas le passage, il courait à reculons.
- mais qu'est-ce-que tu fais ?
- ...tu semblais ne pas avoir entendu alors je me rapproché pour te saluer
Je le regarde et plisse les sourcils.
-( tu es bien la seule personne qui cours à reculons devant une personne pour lui dire bonjour...)
J'ignore comment il a interprété mon expression mais il prend un air désolé et reprend :
- ... c'est le tutoiement qui te dérange ? Je m'excuse , tu l'as fait en premier lieu alors je me suis dis que...
- quoi ?!...
Je me rappelle alors de ma première phrase, à cause de la surprise je ne m'étais pas rendu compte de ce que j'avais dit.
-(le vouvoyer aurait gardé de la distance entre nous, est-ce-que maintenant sur je l'ai tutoyé il crois qu'il peut familiariser avec moi ?!) ...ce n'est pas grave, on peut se tutoyer.
Ce n'est pas comme si demain on se croisera encore par hasard, c'est probablement notre dernière conversation.
-sinon...tu vas faire tout le parcours comme ça ? Tu aurais juste pu courir à côté
-oui bien-sûr, je me suis sans doute laissé emporter...
Il avait le sourire aux lèvres en disant cela, je le regarde alors rompre sa formation pour courir à l'endroit au même niveau que moi, je suis exténuée et ne tiens plus, j'arrête de courir pour marcher.
Nous arrivons à un bout du parcours border de manguier, la végétation dense m'inspire une sorte de nostalgie, les yeux rivés dans le feuillage, un air sans doute perdu sur le visage, j'ai comme un regret.
C'était peut-être bien qu'il court à reculons, à côté je peux plus voir son visage, je...
Je trébuche dans une racine et m'apprête à recevoir un choc le sol quand je me sens soutenu, une chaleur et une force rassurantes émanent de ce corps suant auquel je m'agrippe, et sous le tissu épais, je peux enfin sentir la musculature parfaite que j'avais inconsciemment imaginé.
- Ça va , tu n'as rien ?
Sa voix me ramène à la réalité, et je m'éloigne de lui.
- la piste n'est pas terminé à ce niveau, regarde bien où tu mets les pieds, je n'aimerais pas que...
Il s'arrête mais je l'incite à continuer. Je suis étrangement calme et sans méfiance.
-...tu n'aimerais pas que...?
Il me regarde et sourit
- quand j'étais plus jeune, j'ai fait une chute et je me suis gravement blessé au bras, aujourd'hui encore la cicatrice persiste, je n'aimerais pas voir une chose pareille sur toi.
-...je...je peux la voir, cette cicatrice ?
-oh, ce n'est pas jolie mais...
Il releva sa manche et je vis une ligne plus sombre que le reste de sa peau et des points de suture. Elle semblait profonde. Quelle genre de chute était-ce pour causer une plaie pareille ?
Je suis frappée par la vue de la cicatrice sur le bras de Djal. Je peux presque ressentir la douleur qu'il a dû endurer, et cela me toucha profondément.
Pourtant, sous cette surprise et cette compassion, il y a une autre émotion qui me submerge : l'admiration. J'ai toujours été attirée par les marques de virilité, les cicatrices, les scarifications, les signes que la vie avait infligés des épreuves à quelqu'un. Je ne peux m'empêcher de penser à la force intérieure qu'il a dû puiser pour surmonter cet accident.
Mais soudain, je suis gênée, craignant que mon regard insistant ne mette Djal mal à l'aise face à sa cicatrice. J'aurais aimé qu'il me raconte ce qu'il s'est passé, mais je ne devrais pas ; après tout, on se connait à peine.
Je finis par sortir une citation sur j'ai un jour ou quelque part.
- "les cicatrices ont le pouvoir de nous rappeler que le passé est réel" , ce sont les vestiges des combats qu'on a menés et c'est le passé qui fait de nous qui nous sommes aujourd'hui, si tu es fier de toi aujourd'hui soit fier de tes cicatrices.
Il semble surpris et me fixe un moment avant de retrouver un visage doux et souriant
- très bien j'en tiendrai compte dorénavant
Je detourne les yeux à phrase gênée par son air sincère.
-( mais qu'est-ce-que je fabrique...) Continuons, on gêne les autres coureurs.
-ah, c'est vrai, tu peux encore courir ?
-( pourquoi est-ce qu'il répond de façon aussi maladroite ? Si je peux encore courir ? Bien-sûr que oui, la résistance c'est ma meilleure discipline en sport)...
Mais je ne lui dis rien de tout cela, et me remet juste à trottiner comme si de rien n'était. Il se remet à mon niveau et on continue le parcours.
Qu'est-ce-que je fabrique avec ce type ? Et puis... comment est-ce-que j'ose dire ça ? Comment est-ce-que je peux conseiller quelqu'un sur ce sujet ? Je ne suis pas fière de mon passé, ni de la personne asociale que je suis devenue. Et pourtant je lui demande d'être fier, je suis peut-être plus hypocrite que je ne le pense. Je ne parle aux gens que par intérêt et ... pourtant...avec lui...quel intérêt est-ce-que je poursuis ?!
Je finis par l'observer du coin de l'oeil alors que nous finissons le parcours.
Il est beau. Mon cœur bât vite...non, c'est normal, je suis en train de courir, je ne peux pas être en train de...non, j'ai aussi chaud, mais c'est juste à cause du sport, rien d'autre.
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