Quand vient l'amour 5
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Chapitre 5 Chapitre 5

Tessa Kimberly a débité au téléphone un tel chapelet d'insultes contre Christian qu'elle doit reprendre son souffle. Elle tend la main vers mon épaule. – Avec un peu de chance, Hardin fait le tour du quartier à pied pour se vider la tête. Christian a dit qu'il lui donnait de l'air pour respirer. Elle grogne pour montrer sa désapprobation. Mais je connais Hardin et je sais qu'il ne se « vide pas la tête » en faisant un tour de quartier à pied. J'essaie encore de le joindre, mais j'atterris directement sur sa boîte vocale. Là, il a complètement éteint son téléphone.

– Tu crois qu'il aurait pu aller au mariage ? Je veux dire, pour faire une scène ? J'ai envie de dire à Kim qu'il ne ferait pas une chose pareille mais avec le poids de toutes ces révélations, je ne peux pas nier que c'est une possibilité. Kimberly ajoute avec delicatesse : – Je n'arrive pas à croire que je viens de dire une chose pareille. Mais peut-être que tu devrais venir au mariage quand même, pour être sûre qu'il ne l'interrompe pas ? En plus, il y a de fortes chances pour qu'il essaie de te retrouver et si personne ne répond à son téléphone, c'est peut-être là qu'il va chercher en premier. L'idée qu'Hardin puisse venir faire une scène à l'église me donne la nausée, mais égoïstement, j'espère qu'il y sera, sinon je n'aurai pratiquement aucune chance de le retrouver. Le fait qu'il ait éteint son téléphone m'inquiète. Je ne suis pas sûre qu'il ait envie qu'on mette la main sur lui. – Bonne idée. Je devrais peut-être attendre devant, et toi à l'intérieur ? Kimberly hoche la tête avec sympathie, mais son visage se durcit lorsqu'une luxueuse BMW noire se gare à côté de sa voiture de location. Christian en sort, en costume, et s'approche. – Des nouvelles ? Il se penche vers Kimberly pour l'embrasser sur la joue, un geste automatique j'imagine, mais elle recule, empêchant le contact. Il lui murmure : – Je suis désolé. Elle secoue la tête et se tourne vers moi. Mon cœur se brise pour elle ; elle ne mérite pas une pareille trahison. J'imagine que c'est ça le truc avec les trahisons : sans prévenir, ça tombe sur ceux qui ne s'y attendent pas ni le méritent. Elle regarde Christian dans les yeux : – Tessa nous accompagne et elle va guetter l'arrivée d'Hardin. Comme ça, pendant que nous serons tous à l'intérieur, elle pourra s'assurer que rien d'autre n'interrompe cette merveilleuse journée. Le ton de sa voix est très clairement venimeux, mais elle reste calme. Christian secoue la tête en regardant sa fiancée. – On ne va pas aller à ce putain de mariage. Pas après toute cette merde. – Pourquoi pas ? – Parce que ça. (Vance désigne l'espace entre nous deux d'un geste de la main.) Et parce que mes deux fils sont plus importants que n'importe quel mariage, particulièrement celui-ci. Et je ne m'attends pas à ce que tu puisses rester souriante dans la même pièce qu'elle. Kimberly a l'air surpris, mais un peu apaisée par ses paroles. Je les observe, silencieuse. Christian, parlant d'Hardin et de Smith comme de ses « fils » pour la première fois, ça m'a secouée. Il y a tant de choses à dire à cet homme, tant de mots haineux que j'ai désespérément envie de lui balancer en pleine figure, mais je sais que je ne le dois pas. Ça ne servirait à rien et je dois rester concentrée pour localiser Hardin et appréhender la manière dont il a pris la nouvelle. – Les gens vont parler. Surtout Sasha... – J'en ai rien à foutre de Sasha, ni de Max ni de quiconque. Qu'ils parlent ! Nous habitons à Seattle, pas à Hampstead. (Il tend la main vers Kim, la prend, et elle se laisse faire.) Réparer mes erreurs est ma seule priorité à présent. La colère froide que je ressens contre lui commence à s'émousser un peu, juste un peu. – Tu n'aurais pas dû laisser Hardin sortir de la voiture. Kimberly laisse sa main dans celle de Christian. – Je ne pouvais vraiment pas l'arrêter. Tu connais Hardin. Et ma ceinture de sécurité s'est coincée, je ne sais pas où il est allé... bordel de merde ! Kimberly hoche la tête en signe d'assentiment. Je sens que c'est à mon tour de prendre la parole. – Où pensez-vous qu'il soit allé ? S'il ne vient pas au mariage, où vais-je pouvoir le chercher ? – Je viens de vérifier les deux bars qui sont ouverts à cette heure-ci. Juste au cas où. (Son regard s'adoucit quand il se tourne vers moi.) Je sais que je n'aurais pas dû vous séparer quand je lui ai annoncé. C'était une énorme erreur et je sais que c'est toi dont il a besoin en ce moment. Incapable de penser à quoi que ce soit de plus ou moins poli à dire à Vance, je fais juste un signe de tête et sors mon téléphone de mon sac pour essayer de joindre Hardin encore une fois. Je sais qu'il a éteint son portable, mais je dois essayer. Pendant que j'appelle, Kimberly et Christian se regardent silencieusement, les yeux rivés sur le visage de l'autre à chercher un signe. Lorsque je raccroche, il se tourne vers moi : – Le mariage commence dans vingt minutes. Je peux t'y conduire maintenant, si tu veux. Kimberly lève la main pour l'interrompre : – Je vais la conduire, moi. Prends Smith et retourne à l'hôtel. Il tente de s'interposer, mais elle le fait taire d'un regard auquel il choisit sagement d'obéir en silence. Ses yeux sont remplis d'inquiétude. – Tu reviendras à l'hôtel, hein ? – Évidemment. Je ne vais pas quitter le pays. Le visage décomposé de Christian passe de la panique au soulagement et il lâche la main de Kimberly. – Fais attention et appelle-moi si tu as besoin de quoi que ce soit. Tu connais l'adresse de l'église, n'est-ce pas ? – Oui. Donne-moi tes clés. Smith s'est endormi et je ne veux pas le réveiller. J'applaudis silencieusement son comportement fier et fort. À sa place, je serais effondrée. Et là, je suis effondrée. Moins de dix minutes plus tard, Kimberly me dépose devant une petite église. La plupart des invités sont déjà à l'intérieur, seuls quelques retardataires traînent sur les marches à l'extérieur. Je m'assieds sur un banc et scrute la rue pour voir si Hardin ne serait pas en train d'arriver. De là où je suis assise, j'entends la marche nuptiale résonner dans l'église et j'imagine Trish, dans sa robe de mariée, s'avancer dans la nef à la rencontre de son futur époux. Son sourire est brillant, elle est si belle. Mais la Trish que j'imagine ne coïncide pas du tout avec l'image de la mère qui ment à son fils unique sur l'identité de son père. Les marches se vident, les derniers traînards entrent dans l'église pour voir Trish et Mike se marier. Les minutes passent, j'entends pratiquement tout ce qui se passe à l'intérieur. Une demi-heure plus tard, les invités applaudissent et les fiancés sont déclarés unis par les liens sacrés du mariage, ce que je prends comme le signal du départ. Je ne sais pas où je vais aller, mais je ne peux pas rester assise à attendre. Trish va bientôt sortir de l'église et la dernière chose dont j'ai besoin, c'est d'une rencontre fortuite et gênante avec la jeune mariée. Je reprends le chemin que nous avons emprunté pour venir, enfin je crois. Je ne m'en souviens pas très bien, mais comme je ne sais pas trop où aller... Je ressors mon téléphone et appelle Hardin, mais son portable est toujours éteint. Ma batterie est à moitié vide, et je ne veux pas l'user au cas où Hardin essaierait d'appeler. Marchant sans but précis dans le quartier, je continue ma recherche, regardant dans les restaurants, les bars et tout autre lieu où il pourrait être, jusqu'à ce que le soleil se couche dans le ciel londonien. J'aurais dû demander à Kimberly de me prêter l'une de ses voitures de location, mais j'avais du mal à réfléchir quand nous nous sommes séparées et elle a d'autres soucis en tête en ce moment. La voiture d'Hardin est toujours garée chez Gabriel, mais je n'ai pas le double des clés. La beauté et la grâce d'Hampstead diminuent à mesure que je m'approche de l'autre côté de la ville. Mes pieds sont douloureux et l'air printanier se rafraîchit de plus en plus quand le soleil se couche. Je n'aurais pas dû mettre cette robe et ces stupides chaussures. Si j'avais su comment cette journée allait tourner, j'aurais opté pour un sweat et un pantalon confortable KMJ, et des tennis pour retrouver Hardin plus facilement. À l'avenir, si je dois encore voyager avec lui, ce sera mon uniforme. Un moment plus tard, peut-être que mon esprit me joue des tours mais il me semble bien reconnaître la rue dans laquelle je m'aventure. Elle est bordée de petites maisons qui ressemblent à celle de Trish, sauf que quand Hardin nous a conduits ici, je me battais contre le sommeil et mes souvenirs ne sont pas fiables. Je suis contente que les rues soient pratiquement désertes, tous les habitants doivent être rentrés chez eux pour la soirée. Si j'avais eu à partager les trottoirs avec des gens qui sortaient des bars, je serais devenue encore plus parano. Je me mets presque à pleurer de soulagement quand je reconnais la maison de Trish un peu plus loin. Il fait nuit, mais les lampadaires sont allumés et plus je m'approche, plus je suis sûre que c'est bien là. Je ne sais pas si Hardin y sera, mais je prie pour que, même s'il n'y est pas, la porte ne soit pas verrouillée et que je puisse m'asseoir et boire un verre d'eau. J'ai marché sans but pendant des heures. J'ai eu de la chance de tomber sur la seule rue du coin qui me soit d'une quelconque utilité. En approchant de la maison de Trish, une enseigne lumineuse défraîchie représentant une chope de bière attire mon attention. Le petit bar est situé au coin d'une allée, accolé à une maison. Je frissonne. Ça a dû être difficile pour Trish de rester vivre dans la même maison, si proche du bar d'où les hommes qui cherchaient Ken sont sortis. Un jour, Hardin m'a dit qu'elle n'avait simplement pas eu les moyens de déménager. J'ai été surprise par la manière qu'il a eue de hausser les épaules devant ce problème, malheureusement et c'est vicieux, mais l'argent est roi. Il est ici, j'en suis sûre. Je m'avance jusqu'au petit pub et quand j'ouvre la porte métallique, je réalise que ma tenue est inappropriée. Dans ce genre d'endroit, je vais avoir l'air d'une folle vêtue de la sorte, mes chaussures à la main, ayant renoncé à les garder aux pieds il y a une heure. Je les laisse tomber et les renfile, grimaçant de douleur lorsque les lanières glissent sur la peau de mes chevilles à vif. Il n'y a pas beaucoup de monde dans le bar et ça ne me prend pas bien longtemps pour y repérer Hardin. Il est assis au comptoir, un verre aux lèvres. Mon cœur se brise. Je savais que je le trouverais comme ça, mais mon estime pour lui en prend un sacré coup. J'avais espéré de toutes mes forces qu'il n'irait pas jusqu'à noyer son chagrin dans l'alcool. Je prends une grande inspiration avant de l'approcher et je tape sur son épaule. – Hardin. Il pivote sur son tabouret pour me faire face et mon estomac se retourne. De grosses lignes rouges sang marbrent le blanc de ses yeux. Ses joues aussi sont rouges et l'odeur d'alcool est si forte que je pourrais quasiment la goûter. Ma bouche s'assèche et mes mains deviennent moites. – Regardez qui voilà ! Sa voix bafouille. Le verre dans sa main est presque vide, je recule lorsque je découvre devant lui, sur le bar, trois verres à shot vidés de leur contenu. – Et comment tu m'as trouvé ? Il jette la tête en arrière et avale d'une lampée le liquide brun de son verre avant d'appeler l'homme derrière le bar pour lui demander de lui en servir un autre. Je m'avance pour me placer face à lui et qu'il ne puisse pas détourner le regard. – Bébé, tu vas bien ? Je sais que ce n'est pas le cas, mais je ne sais pas comment me comporter avec lui tant que je ne saurai pas dans quel état il est ni quelle dose d'alcool il a absorbée. – Bébé... Son ton est mystérieux, comme s'il pensait à tout autre chose, puis il se reprend soudain et m'offre un sourire ravageur. – Ouais, ouais. Je vais bien. Assieds-toi. Tu veux un verre ? Prends un verre... Barman, un autre ! Le barman me regarde et je secoue la tête pour lui faire signe que non. Hardin n'a pas remarqué cet échange, il tire le tabouret à côté du sien et tapote l'assise. Je regarde autour de moi avant de grimper dessus. – Alors, comment m'as-tu trouvé ? Je suis confuse et sur mes gardes. Il est visiblement ivre, mais ce n'est pas ce qui m'inquiète ; c'est le calme olympien dans sa voix qui ne me dit rien qui vaille. Je l'ai déjà entendu comme ça, et jamais rien de bon n'en est sorti. – J'ai tourné en rond pendant des heures, et puis j'ai reconnu la maison de ta mère de l'autre côté de la rue, alors j'ai su... en fait oui, j'ai su que je te trouverais ici. Je tremble au souvenir des histoires qu'Hardin me racontait sur Ken, qui passait toutes ses soirées dans ce même bar. – Ma petite détective. Hardin lève doucement la main pour replacer une mèche de mes cheveux derrière mon oreille. Il ne faut pas que je tressaille, malgré l'anxiété qui me gagne. – Est-ce que tu veux me suivre ? J'ai envie de retourner à notre hôtel et nous pourrons partir demain matin. Juste à cet instant, le barman apporte son verre à Hardin qui regarde l'objet avec sérieux. – Pas encore. – S'il te plaît, Hardin. Je suis tellement fatiguée et je sais que tu l'es aussi. J'essaie d'utiliser ma faiblesse contre lui. Je me rapproche. – Mes pieds me font mal et tu m'as manqué. Christian a essayé de te trouver, mais il a échoué. Je marche depuis longtemps et j'ai vraiment envie de retourner à l'hôtel. Avec toi. Je le connais suffisamment pour être sûre que si je me mets à trop radoter sur n'importe quel sujet, il va s'emballer et son calme s'évaporera en quelques secondes. – Il n'a pas beaucoup cherché. J'ai commencé à boire dans le bar en face de l'endroit où il m'a déposé. Il lève son verre. Je me penche contre lui et avant que j'aie trouvé quoi dire, il reprend : – Prends un verre. J'ai une copine ici, elle va t'offrir un shot. (Il désigne les verres sur le bar.) On s'est croisés dans un autre établissement de qualité, mais comme on a eu l'impression de revivre un truc du passé, je l'ai conviée à me rejoindre ici. Comme au bon vieux temps. Mon estomac se retourne. – Copine ? – Une vieille amie de la famille. D'un mouvement de tête, il désigne une femme aux cheveux platine qui sort des toilettes. Elle semble aller sur la quarantaine. Je suis soulagée que ce ne soit pas une jeune, vu qu'Hardin semble boire avec elle depuis un bon bout de temps maintenant. Je tends la main pour attraper ses doigts. – Je pense qu'on devrait vraiment y aller. Il recule rapidement. – Judith, je te présente Theresa. – Judy. Elle le corrige au moment où je précise moi-même : – Tessa. Heureuse de faire votre connaissance. Je me force à sourire et me retourne vers Hardin. – Judy savait que ma mère était une grosse pute. – C'est pas ce que j'ai dit. La femme rit. Elle porte des vêtements qui ne sont pas de son âge. Son top est trop court, son jean trop serré, elle est trop vieille pour ça. – C'est ce qu'elle a dit. Ma mère déteste Judy ! L'étrange femme lui rend son sourire. – On se demande bien pourquoi. Je commence à me sentir comme exclue d'une blague, alors sans y réfléchir, je demande : – Pourquoi ? Hardin lui lance un regard d'avertissement et fait un geste de la main pour signifier que c'est sans importance, annulant du même coup ma question. Je dois faire appel à toute ma patience pour ne pas le faire tomber de son tabouret. Si je ne savais pas qu'il essaie de dissimuler sa douleur, c'est exactement ce que je ferais. – Longue histoire, ma jolie. Quoi qu'il en soit, tu as une tête à avoir besoin d'un petit verre de tequila. – Non, ça va. Merci. La dernière chose dont j'aie envie, c'est bien d'alcool. Hardin s'approche de moi. – Lâche-toi un peu, Bébé. Ce n'est pas toi qui viens d'apprendre que toute ta vie n'est qu'un putain de mensonge, alors laisse tomber et bois un verre avec moi. Mon cœur saigne pour lui, mais l'alcool n'est pas une solution. Je dois le faire sortir d'ici. Maintenant. – Tu préfères les margaritas avec de la glace pilée ou des gros glaçons ? C'est pas un bar chicos ici, il n'y a pas beaucoup de choix. – Putain, j'ai dit que je ne voulais rien boire. Judy écarquille les yeux à cette remarque fleurie, mais reprend vite contenance. Je suis presque aussi surprise qu'elle de mon éclat. À côté de moi, Hardin réprime un petit rire, mais je garde mon regard rivé sur cette femme qui, à l'évidence, se régale de son secret. – Ok, ça va. Il faut se détendre. Elle plonge les mains dans son énorme sac et en sort un paquet de cigarettes et un briquet. – Une clope ? À ma grande surprise, je le vois hocher la tête. Judy passe la main derrière mon dos pour lui tendre la cigarette qu'elle vient d'allumer. Nom de Dieu, mais c'est qui cette bonne femme ? L'infâme objet fumant aux lèvres, Hardin tire une latte. Des volutes de fumée s'élèvent entre nous, je couvre ma bouche et mon nez et l'assassine du regard. – Depuis quand tu fumes ? – J'ai toujours fumé. C'est juste que j'avais arrêté en arrivant à WCU. Il tire encore sur sa clope. Le bout incandescent de la cigarette me nargue et d'un geste, je l'attrape, lui retire de la bouche et la fait tomber dans son verre à moitié plein. – Tu te fous de ma gueule ? Son regard reste rivé sur son verre devenu imbuvable. – On y va. Maintenant ! Je descends du tabouret en attrapant sa manche pour le tirer vers moi. – Non. On reste. Il se dégage de ma prise et tente d'attirer l'attention du barman. – Il n'a pas envie de partir. Judy s'interpose d'une toute petite voix. Le sang bout dans mes veines, cette bonne femme m'horripile. Je plonge mon regard dans le sien, à peine discernable avec tout ce mascara qui l'englue. – Je ne me rappelle pas vous avoir demandé votre opinion. Occupez-vous de vos oignons et trouvez-vous un autre compagnon de boisson, parce que nous, nous partons. Mon ton est monté crescendo et j'ai fini par crier. Elle regarde Hardin, s'attendant à ce qu'il la défende et, à cet instant, je saisis la nature du lien monstrueux qui les unit. Ce n'est pas comme ça qu'une « amie de la famille » devrait se comporter avec le fils d'une copine qui a la moitié de son âge. – J'ai dit que je ne voulais pas partir. J'ai tout essayé, mais il ne m'écoute pas. Ma dernière option, c'est la carte de la jalousie. C'est un coup bas, surtout vu son état, mais il ne me laisse pas le choix. Je balaie le bar du regard, l'air théâtral. – Eh bien, si tu ne veux pas me raccompagner à l'hôtel, il va falloir que je trouve quelqu'un pour le faire. Mes yeux se posent sur l'homme le plus jeune du pub. Il est assis à une table avec des amis. Je donne quelques secondes à Hardin pour réagir, mais comme il reste muet, je me dirige vers leur table. La main d'Hardin m'enserre le bras immédiatement. – Putain de merde, jamais de la vie. Je me retourne et remarque le tabouret renversé dans sa hâte de me rattraper et la tentative ridiculement maladroite de Judy de le redresser. Je penche la tête de côté. – Alors, ramène-moi. – Je suis bourré. Comme si ça excusait toute cette scène ! – Je sais. On peut appeler un taxi pour nous ramener chez Gabriel et je conduirai la voiture jusqu'à l'hôtel. Je prie silencieusement pour que ma petite ruse fonctionne. Hardin plisse les yeux en me regardant quelques instants avant de marmonner, sarcastique : – Tu as tout prévu, hein ? – Non. Mais ça ne t'apportera rien de bon de rester ici, alors soit tu règles ta note et tu me ramènes, soit je pars avec quelqu'un d'autre. Il relâche sa légère prise sur mon bras et s'approche d'un pas. – Ne me menace pas. Moi aussi, je pourrais très bien repartir avec quelqu'un d'autre. La jalousie m'aiguillonne, mais j'ignore la sensation. Le dos droit et la voix posée, je lui lance ce défi : – Vas-y. Rentre avec Judy, alors. Je sais que tu as déjà couché avec elle. Ça se voit. Il me regarde, puis se tourne vers elle et sourit très légèrement. Je frémis, mais un pli vient barrer son front. – Ce n'était pas franchement génial. C'est à peine si je m'en souviens. Cette manière d'essayer de me réconforter me blesse plus encore. – Alors ? Tu préfères quoi ? – Bordel de merde ! Il titube jusqu'au bar pour régler sa note. J'ai l'impression qu'il vide ses poches sur le comptoir, que le barman en extrait quelques billets, puis qu'il fait glisser sa ferraille vers Judy. Elle le regarde, puis se tourne vers moi et se ratatine un peu, comme si elle se dégonflait au niveau de la colonne vertébrale. En sortant du bar, Hardin me précise : – Judy m'a demandé de te dire au revoir. Cette remarque me donne envie d'exploser. – N'ose même pas me parler d'elle ! Passant son bras autour de ma taille, il marmonne d'une voix d'ivrogne : – Serais-tu jalouse Theresa ? Putain, je hais cet endroit, ce bar, cette baraque. (Il fait un geste vers la petite maison, de l'autre côté de la rue.) Oh ! Tu veux savoir un truc marrant ? Vance a habité ici. Hardin désigne la maison en briques à côté du bar. Une lumière diffuse éclaire l'étage, une voiture est garée dans l'allée. Il continue : – Je me demande ce qu'il faisait le soir où ces hommes sont venus dans notre putain de maison. Il regarde intensément le sol et se penche en avant. Avant que je me rende compte de ce qui se passe, il a levé le bras derrière la tête, une brique dans la main. – Hardin, non ! Je crie et lui attrape le bras. La brique tombe par terre et rebondit sur le ciment. – Putain ! Il essaie de la reprendre, mais je m'interpose, ce qui le fait exploser. – Et merde ! Allez tous vous faire foutre, dans cette rue ! Dans ce bar ! Dans cette putain de maison ! Il titube encore en descendant la rue. – Si tu ne veux pas me laisser détruire cette maison... Sa voix s'étiole. Je retire mes chaussures pour le suivre de l'autre côté de la rue, dans le petit jardin de la maison où il a passé son enfance.

                         

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