Chapitre 5 UN MESSAGE INTERCEPTÉ

Londres, 08 décembre 2022, 22h40

Allongée sur un immense lit aux côtés d'Humberto, les yeux rivés sur son annulaire gauche, Vitória Araújo ne trouvait pas le sommeil. Non pas à cause des ronflements du vieil homme, elle y était habituée. Ce qui la maintenait éveillée, c'était la peur de réaliser au levé du jour, qu'elle avait rêvé cette journée-là. Car oui, son vingt-cinquième anniversaire avait été plus que parfait. Pour le célébrer, son patron et amant l'avait emmené à Londres dans un hôtel cinq étoiles. Il leur avait réservé deux semaines de vacances non seulement pour se retrouver mais également pour s'éloigner de Río. Il en avait d'autant plus besoin que l'état de santé de sa fille aînée s'était récemment détériorée. Alors qu'ils dînaient donc tranquillement dans un somptueux restaurant, Humberto lui fit la plus incroyable des surprises. Des violonistes accompagnés des serveurs, les bras chargés de fleurs et de champagnes, étaient venus jusqu'à leur table. Et sous les yeux émerveillés de tous, Humberto avait mis un genou au sol et sorti de la poche de sa veste, une bague qui valait une fortune. Vitória avait accueilli avec un bonheur incommensurable la proposition du vieil millionnaire. Elle le lui avait d'ailleurs démontré une fois de retour dans leur suite. Et tandis qu'Humberto, rassasié de ses caresses, avait rejoint les bras de Morphée depuis longtemps, Vitória contemplait son joyaux le cœur lourd.

La jeune femme avait un moment pressentiment. Comme si, faute de vigilance, elle s'apprêtait à perdre tout ce pourquoi elle avait bataillé ces six dernières années. Comme si quelqu'un s'apprêtait à lui arracher le futur radieux qu'allait lui offrir son richissime fiancé. Et ses doutes ne tardèrent pas à se concrétiser en un seul coup de fils. Ce fut le téléphone d'Humberto qui sonna. Adroitement, Vitória s'extirpa de ses bras et s'empara de l'appareil. La surprise se dessina sur son séduisant visage ovale marqué d'une fine cicatrice frontale, lorsqu'elle vit s'afficher le numéro de Léonor. Tout en baissant le volume pour éviter de réveiller son compagnon, la jeune femme se demandait pourquoi Léonor l'appelait qui plus était à une heure si tardive. Elle se doutait qu'en dépit du décalage horaire, il devait également faire nuit à Río. Y'avait-il une urgence qui l'obligeait à l'appeler maintenant alors qu'elle ne l'avait plus refait depuis leur séparation ? Cela ne pouvait qu'être un problème de plus dont Humberto pouvait se passer, pensa la jeune femme en sortant du lit.

Sans un bruit, Vitória alla s'enfermer dans la salle de bain pour intercepter l'appel de Léonor. Après tout, en tant qu'assistante personnel, elle se devait de filtrer ses conversations afin que seules les plus importantes lui parviennent. Et en tant que fiancée, elle ne voulait pas le laisser écouter la voix de la femme qu'il avait le plus aimé dans sa vie... Lorsque Vitória s'apprêtait à décrocher, le téléphone cessa de sonner. Néanmoins, elle patienta quelques minutes en faisant nerveusement les cent pas. De temps à autres, elle balayait du revers de la main ses splendides boucles dorées. La jeune femme avait l'intuition que Léonor rappellerai pour lui annoncer une mauvaise nouvelle. Mais à la place, ce fut un message vocal qu'elle laissa :

« Allô, Humberto... C'est Léonor.... Enfin, tu dois déjà le savoir. C'est peut-être pour cela que je parle toute seule... Et c'est mieux ainsi, surement... Comme tu dois le deviner, je ne t'appelle pas pour prendre de tes nouvelles. Je ne t'appelle pas non plus par erreur. A vrai dire, je n'aurais jamais cru devoir te contacter aujourd'hui pour la raison qui m'a amenner à le faire. Ce qui arrive est tellement inattendu, tellement incroyable que j'ai encore peur que ce ne soit qu'un rêve... C'est un miracle. Oui, un miracle... Dieu a écouté ma prière... Nanda, notre fille... Elle s'est réveillée, elle est sortie de son coma... »

A l'autre bout du fil, Léonor marqua une pause, incapable de retenir plus longtemps les larmes qui lui montaient au fur et à mesure qu'elle s'exprimait. Vitória quant à elle recouvrit sa bouche et ses yeux noisettes croisèrent son reflet choqué dans le miroir. Comment était-ce possible ? Pendant ces six dernières années, Nanda n'avait pas présenté l'ombre d'un rétablissement. Si Humberto avait cessé de financer son traitement, il y'a longtemps qu'elle ne serait plus de ce monde. Pour Vitória, leur acharnement à la maintenir en vie n'avait toujours été qu'un gaspillage d'argent, de temps et d'espoir. Mais contre toute attente, Nanda s'était réveillée et ce qu'allait lui annoncer Léonor par la suite était encore plus incroyable. Après un certain moment, la mère de l'adolescente se ressaisit avant de reprendre :

« Ce sont des larmes de joie que je verse mais mon bonheur n'est pas parfait. Nanda est éveillée, elle est consciente. Pourtant, elle n'est toujours pas tirée d'affaire... Si tu la voyais Humberto. Elle est si faible, si fragile... Les médecins s'inquiètent pour sa santé mentale. Ils ont peur que notre nouvelle situation soit le traumatisme de trop et qu'elle ne... Humberto je t'en supplie, si tu aimes encore notre fille fait un effort. Un effort pour lui redonner en apparence la vie qu'elle avait avant, la famille qu'elle avait avant. Ce ne sera que pour un certain temps évidemment. Jusqu'à ce qu'elle soit moins vulnérable. Jusqu'à ce qu'elle puisse supporter tous ces changements. Je t'en conjure... Je ne veux pas la perdre une nouvelle fois... Rappelles moi au plus vite, merci... »

Sans y réfléchir à deux fois, Vitória supprima non seulement ce message mais également l'appel qu'elle venait de manquer avant de bloquer le numéro. Cela ne faisait aucun doute qu'Humberto aimait sa fille Nanda plus que tout au monde. De tous ses enfants, ce n'était un secret pour personne qu'elle avait toujours été sa favorite. À la fois belle et intelligent, dynamique et douce, aimante et obéissante, elle était une enfant exemplaire ; le premier que lui avait donné son grand amour Léonor. La perdre dans cet accident avait été comme une tragédie et son divorce trois ans après l'avait achevé. C'était Vitória qui l'avait aidé à sortir de sa mélancolie. C'était elle qui l'avait soutenu et aimé comme personne. Cette bague qu'il venait de lui offrir, elle le méritait amplement. Tout comme elle avait le droit de se tenir à ses côtés. Elle ne comptait donc laissé ni Léonor ni sa fille venir le lui arracher.

Pour Vitória, l'ultimatum de Léonor n'était qu'un piège pour qu'elle puisse récupérer l'homme qu'elle lui avait jadis volé. Elle se doutait bien qu'en découvrant le rétablissement de sa fille bien aimée, Humberto s'y jetterait. Mais ce moment-là, la jeune femme voulait le repousser au maximum. Et même si la santé mentale de Nanda était réellement en jeu, Vitória comptait défendre ses intérêts avant tout...