La voix de la psychologue lui parvenait comme des bourdonnements. Un instant, l'adolescente aperçu de l'inquiétude dans le regard de sa mère. Sa respiration s'accélérait tandis que sa vision se floutait. La peur au ventre, elle perdit connaissance. Inquiets pour la jeune fille, personne ne prêta attention aux ampoules qui grésillaient faiblement. Désemparée, Léonor lui tapotait les joues tout en répétant son nom en vain.
- Léonor gardez votre calme, l'incita le Dr Camargo. Vous voyez bien qu'elle s'est évanouie. Vous emportez de la sorte ne l'aidera pas à aller mieux...
- Je... Je...
Impuissante, la jeune mère fondit en larme. Elle avait attendu si longtemps pour enfin retrouver sa fille. Cependant, elle ne s'y était jamais vraiment préparée. S'attendait-elle à une autre réaction de la part de Nanda après une nouvelle pareille ? Sa fille avait été léthargique si longtemps qu'elle n'avait pas pu vivre pleinement chaque étape de sa vie. Elle avait raté une partie de son enfance et de son adolescence. Et si la voir grandir ainsi avait souvent tourmentée Léonor, elle n'imaginait même pas la douleur de Nanda.
- Écoutez Léonor, reprit le neurochirurgien en l'éloignant du lit de l'adolescente. Ce qui arrive à votre fille est très inhabituel. Nous devrons la garder en observation encore un moment.
- Est-ce qu'elle ira mieux ? Est-ce qu'elle se souviendra de cette nuit-là.
- Et bien ça dépend, intervint la psychologue. Ce souvenir m'a l'air bloqué dans sa mémoire. Est-il lié à un événement traumatisant pour elle ?
Léonor repensa à cette soirée où sa vie et celle de sa fille avaient pris un tournant décisif. Cette nuit où, le lourd secret qui pesait sur leur famille avait explosé tel une bombe, détruisant toute relation sur son passage. La jeune femme se souvenait encore de la détresse de sa fille quand elle l'avait arrachée à son lit pour la traîner dans sa voiture...
- Oui, finit-elle par admettre. C'est cette nuit que notre famille est... partie en éclat.
- C'est ce dont j'avais peur...
Le Docteur Abrahāo ouvra la porte et les invita à sortir pour continuer leur conversation dans le couloir.
- Léonor, ce n'est pas tant la santé physique de Nanda qui me préoccupe. Dès son réveil, elle a eu à faire quelques pas. J'ai donc bon espoir de ce côté là. Je me trompes Renaldo ?
- Pas du tout ! Nous ferons juste quelques test et si tout va bien, elle devrait pouvoir rentrer très prochainement.
- Ce qui m'inquiète, ce serait que nous ne puissions pas assurer son bien-être mental et émotionnel.
- Que voulez-vous dire ?
- Se réveiller après avoir passé six ans de coma est déjà en soit effrayant. Mais votre fille se retrouve coincée dans le corps d'une adolescente alors qu'elle n'avait que onze ans à l'époque. Vous avez vous-même vu à quel point cette nouvelle l'a bouleversé.
- Oui, acquiesça Léonor tristement.
- Même si elle n'en a plus l'air, Nanda est encore une enfant dans son esprit. Il faut que nous arrivions à lui faire dépasser cet état sans la brusquer.
- Mais comment faire ?
- Pour un enfant ordinaire, l'équilibre familiale est le pilier d'un épanouissement complet. Dans le cas de Nanda, ce besoin sera encore plus accru... Léonor, je ne prétend pas connaître votre vie privée. Mais je suppose qu'actuellement, votre famille ne ressemble en rien à ce que Nanda a toujours connu.
- Non, en effet...
- Je ne pense pas qu'il serait judicieux de lui faire perdre tous ses repères du jour au lendemain. Votre fille me semble trop fragile et son cas trop singulier. Nous ne pouvons pas prendre le risque de lui imposer le moindre choc pour le moment. Tant que nous ignorons comment elle pourrait réagir nous devons faire très attention à ce que nous lui disons et comment nous le lui disons.
- Vous me conseillez donc de... lui mentir ?
- En quelque sorte oui ! Essayez de recréer l'ambiance dans laquelle Nanda se trouvait avant l'accident. Il faut qu'elle se sente à l'aise au sein de votre famille. Procurez lui tout l'amour, l'attention et la sécurité que son cas requiert. Puis, lorsqu'elle sera plus stable, vous lui avouerez tout doucement la vérité.
- La vérité ? murmura Léonor plus pour elle-même.
La vérité c'était qu'Humberto Cerqueira et elle avaient cessé de former une famille il y'a longtemps. Si après l'accident de leur fille Nanda, Léonor n'avait pas découvert qu'elle attendait un autre bébé, elle n'aurait jamais essayé de recoller les morceaux de leur couple. Mais leur relation avait été trop écorché et leur rupture définitive ne fut qu'une question de temps...
- Nanda aura besoin de beaucoup de soutien, reprit le Docteur Abrahāo, la sortant ainsi de ses pensées. De l'aide de spécialistes bien-sûr, mais surtout des siens. Il est donc impératif que vous et son père arriviez à vous mettre d'accord sur l'attitude à adopter. Je vais vous laisser maintenant.
Sur ces mots, les médecins conclurent leur entrevue et Léonor retourna dans la chambre de Nanda. Tout en l'observant, la jeune femme médita sur leurs propos. Sa fille avait été tellement heureuse autrefois. Cependant, toutes ces choses qui faisaient son bonheur n'étaient qu'un lointain souvenir. Et le fait qu'elle ne pourrait peut-être pas l'accepter terrifiait Léonor au plus au point...
Pour le bien-être de son enfant, Léonor était prête à mettre son égo et toute sa rancœur de côté. Elle était prête à simuler ce bonheur illusoire à ses dépends. Mais qu'en était-il des autres membres de leur famille ? Alinne et João la détestait plus que tout. Humberto réussirait-il à les garder sous contrôle ? Sa maison pouvait-elle redevenir un lieu sure pour leur fille Nanda ?
L'ampoule de la chambre finit par se griller. Léonor profita donc du fait que le concierge vint la changer pour sortir un moment. Elle devait informer tous ses proches du rétablissement de sa fille mais surtout, en discuter avec Humberto. Après une inspiration profonde, elle composa alors le numéro de son ex-mari.
La jeune femme se surprit à éprouver un sentiment de nervosité tandis que le téléphone sonnait à l'autre bout du fil. Depuis leur divorce, ils ne communiquaient que par le biais d'un intermédiaire : avocat, gouvernante ou chauffeur. Cela faisait alors presque quatre ans que Léonor ne lui avait pas parlé. Aurait-elle été émue s'il avait décroché ? Elle ne le su jamais, car elle tomba sur sa messagerie. Un long silence s'imposa avant que les mots justes ne lui vinrent...