Les larmes aux yeux, Léonor Brito n'arrivait toujours pas à y croire. Cela faisait plus de six ans que sa fille était plongée dans cette profonde torpeur. Elle avait tant prier pour pouvoir un jour la revoir autrement qu'allongée sur un lit, branchée à des machines, les paupières clauses. Mais l'état de sa fille, resté plus ou moins stable pendant toute la durée de son coma, s'était subitement empiré la veille. Nanda avait été mise en soins intensifs et les espoirs de sa mère s'était envolés. Quand le Docteur Camargo l'avait donc contacté, Léonor s'attendait à ce qu'il lui annonça le décès de sa fille comme il n'avait jamais cessé de l'y préparer. Mais à son grand bonheur, il l'informa du contraire. Laissant tout derrière elle, Léonor s'était précipitée jusqu'à l'hôpital pour y attendre le prochain éveil de son enfant. Et maintenant qu'elle l'avait en face d'elle, la jeune femme ne pu retenir ses larmes.
D'un pas hésitant, elle s'approcha de sa fille, la contemplant comme un magnifique papillon qui pouvait s'envoler au moindre geste brusque. Délicatement, elle lui caressa son visage harmonieux et ses longs cheveux noirs. Puis, elle l'étreignit avec tant de force que même si elle l'avait voulu, sa fille n'aurait pu se détacher d'elle. L'adolescente elle-même n'avait aucune intention de la lâcher. Elle referma ses bras autour de sa mère et lui caressa le dos en pleurant doucement sur son épaule.
- Maman, souffla Nanda entre deux sanglots.
Léonor remarqua que sa voix était encore légèrement enrouée. Ce ne fut pas surprenant vu le temps qu'elle avait passé sans utiliser ses cordes vocales.
- Tu m'as tellement manquée ma chérie...
- Maman... Qu'est-ce... Qu'est-ce qui se passe ?... Qu'est-ce que je fais à l'hôpital ?
- Tu ne t'en souviens pas ? demanda nerveusement Léonor en s'écartant de sa fille.
Elle la dévisagea longuement, espérant déceler une forme de compréhension. Cependant, Nanda secoua la tête confuse et le regard de sa mère s'assombrit.
- Je dois appeler le Docteur Camargo.
- Non, contesta Nanda en lui saisissant la main.
- Ne t'inquiète pas mon trésor, la rassura sa mère. Il ne te fera pas de mal, il doit juste t'examiner.
Bien que contrariée, Nanda acquiesça pour faire plaisir à sa mère. Après lui avoir demandé de ne pas bouger, Léonor sortit un moment avant de revenir avec le médecin et l'une de ses collègues. À leur entrée, l'adolescente les dévisagea longuement. Mais un coup d'œil à sa génitrice suffit à l'apaiser. Le Docteur Camargo céda la place à sa collègue sur l'unique chaise à côté de son lit. Elle sortit un bloc note et et stylo tandis que le neurochirurgien se chargea des présentations.
- Bonsoir Nanda, je suis le Docteur Renaldo Camargo, ton neurochirurgien et voici le Docteur Sofía Abrahāo, ta psychologue.
- Ta mère nous a dit que tu étais un peu perdue, intervint cette dernière. Tu veux bien nous raconter ton dernier souvenir pour que nous puissions t'aider à te repérer ?
L'adolescente leva les yeux vers sa mère en silence. Celle-ci lui sourit, l'incitant à s'exprimer librement.
- Mon dernier souvenir ? C'était hier...
Nanda se racla la gorge avant de reprendre :
- Papa avait trouvé le petit chiot que João, Alinne et moi, on avait adopté en cachette. Et comme on savait que maman n'en voudrait pas, on a supplié papa de la convaincre.
- Et c'est la dernière chose dont tu te rappelles ? insista la femme médecin les sourcils froncés.
- Je vous l'ai dit, elle ne se souvient pas de l'accident, s'emporta Léonor.
À ces mots, le cœur de Nanda s'emballa au même titre que son souffle.
- L'accident ?... Quel accident ?... J'ai eu un accident ?...
- Nanda, respires calmement, lui conseilla le Docteur Abrahāo.
- Et mon frère ?... Et ma cousine ?... Ils sont ici aussi ?
- Non mon trésor, c'est toi et moi qui avons eu un accident.
- Et tu vas bien ? s'inquiéta la jeune fille.
- Oui, répondit Léonor les larmes aux yeux. C'était-il y'a très, très longtemps.
- Très longtemps ?
- Oui, six ans, deux mois et quatorze jours pour être exact. Le jour où ton papa avait trouvé le chiot... Cette nuit-là, une voiture t'avait renversé et tu avais été grièvement blessée. Les médecins avaient dû te plonger dans un coma artificiel pour que tu puisses supporter l'opération. Mais après, tu n'avais plus repris connaissance. Tu as dormi très longtemps pour ne te réveiller que... maintenant. Nous sommes le 8 décembre 2022...
Léonor avait conscience que sa fille n'avait probablement pas saisit tout son récit. Elle alla donc sortir son miroir de son sac à main et le plaça devant le visage de la jeune fille. Une image valait mille mots...
Nanda saisit l'objet rectangulaire d'une main tremblante. Bouche bée, elle contempla son reflet. C'était ses longs cheveux noirs ondulés, ses yeux noisettes, son visage carré, son petit nez droit et ses pommettes légèrement saillantes qu'elle tenait de sa mère, sa faussete au menton qui lui venait de son père... Cependant, sa peau était si pale qu'elle aurait cru voir une revenante. Ses lèvres pulpeuses étaient blanches et gercées. Sous ses grands yeux noisettes en amandes qu'elle tenait de sa mère, d'énormes cernes trahissant sa fatigue. Mais par-dessus tout, elle paraissait beaucoup plus mature qu'autrefois...
Stupéfaite, l'adolescente laissa tomber le miroir sur ses cuisses tandis qu'une larme roula sur sa joue. Maintenant qu'elle y faisait attention, elle remarqua que sa mère aussi avait pris quelques rides en plus d'avoir coupé ses longues boucles noires à hauteur de ses épaules.
Petit à petit, Nanda sentait sa poitrine se comprimer et son air se rarifier. Comment était-ce possible ? Comment avait-elle pu rester inconsciente aussi longtemps ? Cesser de vivre pendant plus de six années ? La jeune fille ne parvenait même pas à se souvenir de cette nuit tragique. Elle avait beau essayer, seule l'image de son père lui rappelant que tout ira bien, envahissait son esprit.
C'était une belle journée... Pour la première fois, Nanda et les autres enfants avaient pu jouer avec le chiot dans le jardin. Après le diner, ils s'étaient réunis dans la chambre de João, attendant impatiemment le retour de sa mère et surtout, le verdict final. Cette dernière avait tant tardé que l'enfant qu'elle était à l'époque, avait fini par s'endormir. Comment par la suite s'était-elle alors retrouvée sur l'autoroute ? Elle n'en savait rien. Un trou béant remplaçait ce moment crucial de sa vie. Et, plus elle essayait de s'en rappeler, plus sa tête la faisait souffrir.
La jeune fille avait dormi d'un si long sommeil, un profond sommeil dépourvu de rêve. Pourtant, elle n'était pas la Belle au bois dormant. Elle n'avait pas cessé de vieillir et le monde autour d'elle ne s'était pas arrêté de tourner pour attendre son éveil. Quelles surprises lui réservaient son nouveau présent ?