Les gendarmes arrivèrent, prévenus par le laitier qui passait par là. La victime, nommée Jacqueline Rochois, dit qu'elle n'avait pas vu son agresseur parce qu'il était venu de dos, par surprise. Aucune violence sexuelle. Sous les ongles des doigts de la victime, le médecin récupéra des bouts de peaux mélangés avec des poils, de la suie, quelques fibres textiles de couleur noire. Le microscope du service d'analyse montrera plus tard que ces filaments de tissu provenaient d'un pardessus de qualité supérieure.
Le samedi 11 septembre, Max, toujours au fait de l'actualité, apprit cette agression en lisant le journal Istres évènements. Il piochait, en effet, les faits divers dans les papiers locaux de ses confrères pour essayer de convaincre son patron d'aller voir sur place. Le directeur des publications accepta et, perspicace, rechercha aussitôt de l'aide pour Max...
II
Vérifications en terre provençale
Le dimanche 12 septembre, Max eut un petit rendez-vous discret avec un homme portant bien. Il s'appelait Robert Lançon. Il était chef de service à la Préfecture de Police de Paris. Max recueillit, sous le manteau, au propre comme au figuré, diverses informations sur l'attaque d'Istres avec la promesse de ne rien divulguer publiquement avant que l'affaire ne soit close : marché conclu !
Le lendemain, en milieu de matinée, Max descendit du train de nuit en gare de Miramas. Il retrouva François Friand, un nouvel et énergique collègue, âgé de quarante-cinq ans, correspondant itinérant, embauché au journal depuis le samedi 11. Il était arrivé à Miramas dimanche à dix heures du matin. Ce gars, en même temps qu'il avait signé son contrat, avait reçu un billet de train pour se rendre aussitôt dans le sud, à cinquante kilomètres de Marseille. François était assez petit, tout en muscle comme un lutteur de fêtes foraines. Ses origines gitanes devaient y être pour quelque chose... Sa ville native était Montpellier...Il est né les pieds dans l'eau ! Il gardait des liens profonds avec sa communauté. Il voyageait souvent pour rendre visite à sa grande famille qui était disséminée partout dans l'hexagone. Ses cheveux courts étaient blancs comme s'il avait soixante-dix ans ! Cela ne le gênait pas. Il disait que sa toison était signe d'argent ! Il avait décidé de les laisser pousser parce qu'il venait de trouver un emploi bien rémunéré...
François mettra, dorénavant, son esprit fouineur et ses yeux de lynx au service du célèbre quotidien : leJournal des Mille Nouvelles.
- Salut Max, as-tu fait bon voyage ?
- Bonjour François, excellent, merci, j'ai bien dormi et tout du long en plus... Alors, tu as des nouvelles de la victime, Jacqueline ?
- Oui et non, elle est choquée et se repose chez elle, dit François.
- Bon, on va la laisser tranquille, en revanche, j'ai des informations de première main, répondit Max... D'abord, les enquêteurs ne savent toujours pas où chercher le coupable. Ensuite, la fille s'est défendue, alors, l'agresseur doit être certainement marqué, peut-être aux mains ou bien au visage s'il est barbu. Et puis, il y a des traces de suie sur le col du manteau de Jacqueline. À ce propos, il y a eu une campagne de ramonage faite par l'entreprise Toit et Cheminée, Père et Fils dans le quartier, je pense que nous devrions aller les voir maintenant...
- Oui, allons-y... Ah, pardon, j'oubliais, je ne peux pas venir avec toi, je dois aller régler ma note d'hôtel. Je change de crèmerie pour que nous ayons chacun une chambre dans la même pension. Nous serons au Cours, tu franchis la Porte d'Arles et tu tombes sur la rue principale du centre-ville, c'est au numéro 20.
- Bon, je te rejoins là-bas plus tard. Dis-moi, je vois que tu es blessé !
- Oui, le chat de la propriétaire de l'hôtel m'a griffé, hier...
François réajusta le pansement sur son poignet droit.
La Porte d'Arles, Istres
Petits ramoneurs
Le patron voltigeurreçut Maximilien. C'était un grand escogriffe avec des épaules de déménageur : ne se serait-il pas trompé de profession ? Il gronda ses deux jeunes fils pour qu'ils aillent immédiatement chez madame Montjoies parce qu'elle attendait qu'on ramone sa cheminée... Les deux gamins aux visages rieurs prirent les outils et déguerpirent au plus vite.
- Monsieur, auriez-vous vu des choses inhabituelles qui se sont passées dans le coin ?
Le gaillard était habillé d'une tunique noire. Ses mains et son visage étaient recouverts de suie. Il devait certainement voler, comme une pie, de toit en toit et de cheminée en cheminée... Son sourire éclatait sur ses dents toutes blanches.
- Le 5 septembre, il y avait une fête au café de mon oncle, à deux rues de là. J'avais serré beaucoup de mains. Un client m'avait interpellé pour me demander comment on procédait pour accéder au sommet d'un immeuble. Je lui avais répondu qu'il y avait toujours une échelle au dernier étage pour atteindre le vasistas du toit.
- Pouvez-vous décrire cet homme ?
- Oui, je le dépassais de trente-cinq bons centimètres, il avait environ entre cinquante et soixante ans, dodu, cheveux blancs et courts sous un chapeau noir. Ses vêtements étaient tous de bonne qualité, cela se voyait à l'œil nu. Il s'exprimait en français avec un accent anglais. Il racontait de jolies histoires dignes de figurer dans une pièce de théâtre de Shakespeare ou de Molière.
- L'aviez-vous déjà vu avant le 5 ?
- Oui, un soir de la semaine précédente, il faisait la tournée des bars, plus précisément la navette, entre un bar de nuit, Les Déesses de l'Aubeet le café de mon oncle. Et depuis le 5, je ne l'ai pas revu.
- S'il revient dans le quartier, téléphonez-moi. Merci d'avance... Max fit un clin d'œil et lui donna sa carte de visite.
- Entendu, au revoir.
Max rejoignit François. Ils firent un débriefing. Max expliqua...
- En conclusion, je pense qu'on n'aura pas de nouvelle du ramoneur, car l'homme au chapeau doit être l'agresseur de Jacqueline. Il a dû partir certainement très loin, mais on ne sait jamais. Cet inconnu a deux liens avec l'agression : la suie et le vêtement de bonne qualité, c'est vraiment mince. Bon, on va partir là-dessus, on verra bien... Ce suspect est costaud, rase-motte, cheveux blancs et courts, bien habillé, parlant français très correctement avec un accent anglais, avec peut-être des marques de griffures sur ses mains ou sur son visage et pour finir, il a de la suie sur sa main droite, car il avait serré la main du ramoneur ! Notons qu'il n'avait pas voulu tuer sa victime. Il n'a pas été dérangé par le laitier, celui-ci était arrivé au moins dix minutes après l'attaque.
- Eh bien voilà, conclut François, plus rien à ajouter. Dis-moi, j'ai vu ton article sur Perros-Guirec...
- Ah, tu lis le journal, c'est bien. Perros-Guirec, oui, une affaire vite goupillée, le gars crie haut et fort qu'il est innocent. J'ai envie d'y retourner quand ce sera fini ici, pour avoir une interview. Qu'il m'explique... D'ailleurs et je ne sais pas si c'est une coïncidence, mais mon copain de la Préfecture m'a dit qu'une voiture 2CV Citroënverte volée à Perros-Guirec a été retrouvée sur le parking de l'agression, ici, à Istres...
- C'est bizarre, tu sais, Max, dans une investigation, le hasard n'existe pas ! Il faut franchement éclaircir ce fait : pourrais-je venir avec toi en Bretagne ? Je vais en causer au chef...