Il se tenait devant mon immeuble, riant avec Brandon, me traitant de « drama queen » et de « pot de colle », ignorant complètement que j'avais déjà emballé toute sa vie dans des cartons.
« Mais... qu'est-ce que c'est que tout ça, Cécile ? » balbutia-t-il, son visage passant de la stupeur à la rage en voyant ses affaires prêtes pour les déménageurs. « Qu'est-ce que tu as fait ? »
Je l'ai regardé droit dans les yeux, ma voix froide et stable. « C'est fini, Damien. Alors, ces cartons, ils vont chez toi, ou chez Brandon ? »
Chapitre 1
Mon téléphone a vibré sur le plan de travail. Un son qui, autrefois, faisait battre mon cœur. Maintenant, ce n'était plus qu'un bruit sourd qui me martelait les tympans. C'était lui, bien sûr. Damien. À peine une semaine qu'il avait choisi un séjour à Ibiza avec Brandon plutôt que notre couple. À peine une semaine que je lui avais dit que s'il franchissait cette porte, c'était terminé. Il l'a franchie.
Le message était simple, presque méprisant.
Damien : Salut, je suis rentré. Devine qui a une surprise pour toi ?
Une surprise. J'ai ricané. Un son sec, sans joie, qui m'a écorché la gorge. Il a toujours cru qu'il pouvait tout arranger avec une babiole, un grand geste qui coûtait de l'argent mais aucun effort.
Un autre message est apparu, une image cette fois. C'était la photo d'un sac à main noir, élégant, d'une grande marque. Exactement celui que j'avais admiré dans une vitrine des mois plus tôt. Je me souviens le lui avoir montré, faisant une allusion pour mon anniversaire, qu'il a promptement oublié. Il avait juste ri à l'époque, disant que c'était beaucoup trop cher. Maintenant, c'était son offrande de paix. Un pot-de-vin.
Mon téléphone a sonné. Un appel vidéo. J'ai laissé sonner. Il a réessayé. Et encore. Finalement, une notification de messagerie vocale. J'ai appuyé dessus, me préparant à l'inévitable.
« Cécile ? Décroche ce putain de téléphone », a tonné la voix de Damien, déjà chargée d'irritation. Il avait l'air fatigué, peut-être avec la gueule de bois, mais définitivement agacé. « T'es où ? Je n'arrête pas de t'appeler. Tu fais encore ton cinéma pour ce voyage à la con ? »
Il a soupiré de manière théâtrale, un son que je ne connaissais que trop bien. C'était sa façon de sous-entendre que j'étais la personne déraisonnable, le fardeau.
« Écoute, je t'ai pris un truc spécial », a-t-il continué, sa voix changeant, essayant un ton affectueux qui sonnait complètement faux. « Le sac que tu voulais. Le cher. Tu vois ? Je pense à toi. J'attends en bas. Brandon est avec moi, on vient d'atterrir. Il va me déposer. On pensait aller manger un morceau après que je t'aie vue. »
Sa voix s'est coupée brusquement, suivie du clic de la fin de l'appel. Il n'avait même pas pris la peine de terminer correctement le message. Il avait juste raccroché quand il avait fini de parler. Comme toujours.
J'ai regardé autour de moi dans le salon. Tout était soigneusement empilé : sa collection de vinyles vintage, son énorme fauteuil de gamer, la pile de livres qu'il n'avait jamais lus. Tout emballé dans des cartons, méticuleusement étiquetés. Mes mains avaient bougé avec une précision méthodique, presque chirurgicale, en triant notre vie commune. Chaque objet, un petit souvenir, n'était plus qu'une chose à déplacer.
Un calme étrange s'est installé en moi. Ce n'était pas du bonheur, pas exactement. C'était plutôt le silence après la tempête, quand les dégâts sont faits mais que l'air semble clair, à nouveau respirable. J'ai cliqué sur son image, le sac de luxe. J'ai fait une capture d'écran.
Puis, j'ai ouvert mes messages, trouvé son contact et lui ai envoyé la capture d'écran. En dessous, j'ai tapé une seule question, directe.
Cécile : Tu crois vraiment que c'est tout ce qu'il faut ?
J'ai attendu. Pas de réponse immédiate. Bien sûr que non. Il était probablement encore en bas, s'attendant à ce que je descende en courant, en larmes de gratitude pour son grand geste.
Cécile : Damien, c'est fini. Je l'ai envoyé. Juste pour être sûre.
Toujours rien. Bien. Qu'il marine. Je me suis dirigée vers la pile de cartons, sortant un rouleau de ruban adhésif. Il restait encore quelques affaires dans la chambre. Je devais finir avant l'arrivée des déménageurs demain.
Le dernier rayon de soleil a plongé sous l'horizon, peignant le ciel de teintes violettes et orangées, comme des ecchymoses. La douce lueur des lampes de l'appartement s'est allumée, illuminant les grains de poussière qui dansaient dans l'air. Le silence était profond, seulement brisé par le bruit rythmé du ruban adhésif qu'on déchire.
Puis, je l'ai entendu. Une portière de voiture qui claque. Des rires, forts et bruyants, montant de la rue. Deux voix familières. L'une, grave et résonnante – Damien. L'autre, aiguë et grinçante – Brandon. Ce n'était pas un simple dépôt. C'était une arrivée triomphale.
« Mec, tu lui as vraiment acheté ce sac ? » La voix de Brandon portait clairement, empreinte d'une moquerie familière. « Elle va fondre. Tu sais toujours comment la récupérer, hein ? »
J'ai entendu Damien glousser, un son qui autrefois me réchauffait mais qui maintenant me hérissait. « Elle va s'en remettre. Juste un peu de cinéma. Elle est comme ça. Elle a besoin d'un peu d'attention. »
J'ai jeté un œil à travers les stores. Ils étaient sur le trottoir, Brandon passant un bras autour des épaules de Damien, le serrant contre lui. Damien s'est appuyé, la tête renversée en arrière de rire. On aurait dit deux étudiants en école de commerce qui venaient d'échapper à un cours ennuyeux.
« Fais juste gaffe qu'elle redevienne pas pot de colle, mec », a dit Brandon, sa voix baissant d'un ton conspirateur, mais toujours assez forte pour résonner. « Tu sais comment elle est. Toujours à essayer de contrôler ta vie. On a passé un moment de dingue, non ? »
Damien s'est dégagé en secouant la tête. Il a donné une petite poussée amicale à Brandon. « Hé, elle n'est pas si terrible. Faut juste qu'elle apprenne à se détendre. Tu sais, me laisser un peu d'espace. » Il a fait un clin d'œil à Brandon.
Ils recommençaient leur petit jeu, cette complicité désinvolte, se rapprochant, se touchant presque. Ils flirtaient pratiquement. C'était une danse familière, que j'avais observée d'innombrables fois, toujours avec un nœud d'angoisse qui se serrait dans mon ventre. Autrefois, je me serais recroquevillée, blessée, me demandant ce qui n'allait pas chez moi pour que je ne puisse pas susciter ce genre d'affection facile de la part de Damien. J'aurais essayé plus fort d'être « moins pot de colle », de lui donner « plus d'espace ».
Mais pas ce soir. Ce soir, c'était différent.
Un son presque imperceptible s'est échappé de mes lèvres – une petite toux, un raclement de gorge. C'était suffisant.
« Damien ? » ai-je appelé, ma voix stable, coupant court à leurs rires faciles. « Tu as reçu mes messages ? »
Ils se sont figés. Leurs têtes se sont tournées brusquement, leurs yeux balayant les fenêtres de notre appartement. Ils n'avaient même pas réalisé que j'étais à la maison, et encore moins que je les observais.
Le sourire de Damien a vacillé, remplacé par une expression de surprise déconcertée. Puis, ses yeux se sont posés sur les cartons soigneusement empilés près de la fenêtre du salon. Sa mâchoire est tombée. Son visage, habituellement si expressif, est devenu complètement vide, puis a lentement viré au rouge de la colère.
Il a pointé un doigt tremblant vers les cartons. « Mais... qu'est-ce que c'est que tout ça, Cécile ? » Sa voix n'était qu'un murmure rauque, rempli d'incrédulité. « Qu'est-ce que tu as fait ? »
Il a bousculé Brandon, a pratiquement couru jusqu'à la porte de l'appartement, cherchant ses clés avec maladresse. Je n'ai pas bougé de la fenêtre. Je l'ai regardé entrer en trombe, ses yeux parcourant le chaos organisé de ses affaires emballées.
Il est entré dans la cuisine, son regard balayant les plans de travail étincelants, l'égouttoir vide. « Il est où le dîner ? » a-t-il exigé, sa voix montant. « Je t'avais dit que je rentrais ce soir. »
Il a ouvert la porte du frigo d'un coup sec. Il était presque vide, à l'exception d'une brique de lait et des restes de mon plat à emporter de la veille. « Cécile, putain, qu'est-ce qui se passe ? » a-t-il pratiquement hurlé.
« Elle est sûrement encore furieuse pour Ibiza, mec », a dit Brandon, entrant nonchalamment derrière Damien, un sourire forcé et conciliant sur le visage. Il a brandi le sac de luxe comme une offrande de paix. « Regarde, chérie, il t'a acheté le sac ! Il me disait justement en venant à quel point tu lui avais manqué, qu'il comptait se faire pardonner. » Brandon s'est tourné vers Damien, lui donnant un coup de coude. « Tu sais, tout ce discours que tu m'as fait sur Cécile qui est la seule pour toi, celle que tu allais épouser ? Dis-le-lui, mec. »
J'ai observé leur petite comédie, un sourire sinistre aux lèvres. Brandon, toujours le marionnettiste, tirant les ficelles de Damien. Damien, toujours si facilement manipulable, ayant toujours besoin de quelqu'un pour valider ses actions. C'était pathétique. C'était une farce. Et un jour, j'avais été prise au milieu de tout ça.
J'ai laissé tomber le rouleau de ruban adhésif sur le sol avec un bruit sec. Le son a percé le silence tendu.
« C'est fini, Damien », ai-je répété, ma voix plate, dénuée d'émotion. J'ai marché vers eux, m'arrêtant à quelques pas. Mon regard a glissé du visage stupéfait de Damien à celui, suffisant, de Brandon. « Il n'y a pas de 'se faire pardonner'. Il n'y a pas de 'me récupérer'. » J'ai ponctué mes mots d'un geste lent et délibéré de la main, englobant les cartons, le frigo vide, le vide émotionnel entre nous. « Et il n'y a certainement pas de 'mariage'. »
J'ai regardé Damien, mes yeux dans les siens. « Alors, ces cartons », ai-je dit en désignant sa vie emballée. « Tu les envoies chez toi, ou chez Brandon ? »