Raine fronça les sourcils, concentrée comme si elle analysait une œuvre d'art.
- *Ce n'est pas une voiture des Foster, ça. Je les connais toutes.*
Elle en parlait avec l'assurance de quelqu'un qui a longtemps étudié sa cible. Pour gagner une place parmi les Foster, elle avait retenu jusqu'aux plaques minéralogiques.
Rosalind eut un rire sec.
- *Les Foster l'ont chassée. Ils ne bougeraient pas le petit doigt pour elle, sauf si elle rampait à leurs pieds pour s'excuser. Si elle monte dans une voiture pareille, c'est qu'elle a mis la main sur un type naïf ou friqué.*
- *Mais maman... comment on peut être riche et en même temps avoir un visage de petit blanc-bec ?*
Rosalind lança un regard mi-accablé, mi-hautain.
- *N'oublie pas que ta tante possédait des biens importants. Elle n'aurait jamais confié le moindre terrain à Chloé. La gamine doit avoir quelques économies héritées en douce. Avec ça, elle peut se payer n'importe quel gigolo qui lui sourit.*
Raine hocha la tête, soulagée.
- *Tant qu'elle ne remet pas les pieds ici, tout va bien. Et surtout qu'elle ne retourne jamais chez les Foster : elle ne mérite pas de respirer le même air qu'eux.*
Mais au fond d'elle, quelque chose se crispait.
La famille Foster représentait tout ce qu'elle voulait : prestige, lignée illustre, influence à l'échelle du pays, une dynastie déjà inscrite dans les livres d'histoire.
Elle avait dû gagner chaque regard, chaque mot, chaque opportunité auprès d'eux. Alors que Chloé Collins, débarquée de sa montagne, avait emménagé chez eux comme si le destin l'avait choisie. L'injustice la rongeait.
Rosalind reprit, confiante :
- *J'ai posé quelques questions après ce qui s'est passé hier. Cherry Foster a cru que Chloé l'avait dévalisée. Elle s'est trompée, mais peu importe : ils l'ont renvoyée quand même. Qu'est-ce que ça t'indique ?*
- *Qu'ils ne veulent pas d'elle,* s'exclama Raine avec un sourire ravi.
- *Exactement.* Rosalind posa la main sur l'épaule de sa fille. *Tu brilles à l'école, elle non. Tu maîtrises tout ce que tu touches, elle patauge partout. Toi, on t'a invitée dans l'atelier de parfumerie du jeune maître Foster. Elle, elle végétait chez eux. Votre avenir n'a rien en commun.*
Raine se détendit, ses traits s'adoucissant.
Elle était née pour créer des parfums, disait-on. Grâce au talent hérité de sa mère, elle avait reçu une récompense qui l'avait propulsée sous le regard attentif du jeune maître Foster. À dix-huit ans, elle travaillait déjà sur les créations de demain.
Redolence Perfumes, ancienne reine du marché, l'avait sollicitée afin de reprendre la tête face à LM, une marque jeune mais fulgurante, qui leur disputait la première place depuis deux ans.
Rien que d'y penser, une fierté tranquille se logea dans son regard.
Pourquoi perdre son temps à envier Chloé ?
Rosalind la contempla avec un plaisir vif.
- *Allez, fillette, va te préparer. La vente aux enchères de ce soir réunit tout ce que la capitale compte de notable. Ton œuvre doit briller plus que toutes les autres. On doit se battre pour l'acquérir. Ce sera TA soirée.*
Raine, ravie, se précipita vers la salle de bain.
-
Pendant ce temps, dans une voiture silencieuse, Chloé Collins parcourait une épaisse liasse de rapports.
Heijii, les mains sur le volant, jubilait.
- *Patron, LM vient encore de dépasser Redolence. Ils sont largués, c'est magnifique !*
Chloé termina la page, la rabattit calmement et répondit d'un ton égal :
- *On n'insulte pas le perdant, et on ne se surestime pas en gagnant.*
- *Oui, oui, évidemment ! Mais quel plaisir ! Qui aurait cru que Redolence tomberait si vite, eux qui dominaient depuis si longtemps !*
Profitant d'un feu rouge, il pivota légèrement pour la regarder, tout sourire.
- *Vous savez ce qui me réjouit le plus ? Le jour où tout le monde découvrira que la patronne de LM est... vous. Une lycéenne. Il faudra voir leurs têtes !*
Chloé ne réagit pas. Elle glissa les documents sur la banquette, sortit un carnet volumineux de son sac et l'ouvrit comme un vieux secret familier.
Les pages étaient jaunies par les années, couvertes de l'écriture méticuleuse de sa mère : recettes, essais, intuitions, odeurs mêlées, formules abandonnées ou prometteuses.
Un grimoire intime, témoignage d'une passion qui résonnait encore.
Elle parcourut quelques lignes, absorbée.
Heijii reprit la parole :
- *Patron, on dit que Maître Foster va transférer l'entreprise d'Emma. Personne ne sait à qui. Edgar Foster a déjà embauché du monde pour créer de nouveaux produits, mais Alexander Foster reste silencieux. Il doit chercher des experts.*
- *Et ça t'inquiète ?* demanda-t-elle sans lever les yeux.
Il éclata de rire.
- *Moi ? Impossible ! Avec vous, je dors tranquille. Même en fouillant tout le Grearon, ils ne trouveront pas un parfumeur à votre niveau !*
Elle tourna une page de son carnet.
- *Tu peux arrêter de flatter. Ce n'est pas ça qui augmentera ton salaire. Conduis juste correctement.*
- *Ah mais je n'ai rien demandé ! Je suis déjà payé comme un prince. Travailler pour vous, c'est le bonus !*
Il reprit plus sérieusement :
- *Vous comptez aller à la vente aux enchères ce soir ?*
Chloé referma son carnet et tendit la main.
- *Montre-moi la liste des lots.*
Heijii la lui passa immédiatement.
Elle parcourut les articles d'un œil rapide jusqu'à tomber sur un objet ancien, discret mais précieux pour qui savait ce qu'il valait.
Elle se redressa.
- *Très bien. On y va.*
-