Elle avait l'air si blessée, si fragile. Son regard humide se posait sur moi, implorant. "Je vais partir, Albane. Je ne veux pas vous causer plus de problèmes."
Julien, qui était resté silencieux jusqu'à présent, se précipita vers elle. "Non, Léda ! Tu ne bouges pas d'ici !" Il la retint, son bras se refermant autour de sa taille.
Leurs regards se croisèrent, un instant trop long. Quand Julien leva les yeux vers moi, ses muscles se contractèrent. Il relâcha Léda, comme s'il venait de toucher du feu.
Léda, sentant son opportunité, laissa échapper un petit soupir de déception. Une ombre d'agacement traversa son visage avant qu'elle ne la remplace par une expression de pure tristesse. "C'est embarrassant," murmura-t-elle, son regard balayant la scène, "vraiment embarrassant."
Les larmes commencèrent à couler sur ses joues, silencieuses, parfaites. Elle était l'image même de la vulnérabilité, une fleur délicate piétinée par la brutalité du monde.
Clara se jeta dans les bras de Léda, ses propres larmes rejoignant celles de ma cousine. "Tante Léda, ne pleure pas ! Ce n'est pas ta faute. C'est la faute de Maman !"
Elle se tourna vers moi, le visage déformé par la colère. "Maman est méchante ! Elle veut nous chasser !"
Je les observais, ces deux actrices, avec un détachement glacial. Leur performance était digne d'un prix.
Julien, lui, ne voyait que la fragilité de Léda, les larmes de Clara. Ses yeux, d'abord emplis de compassion, se tournèrent vers moi, se chargeant de fureur.
"Albane, tu as dépassé les bornes !" Il s'approcha, sa voix basse mais vibrante de rage. "Comment oses-tu parler comme ça à Léda ? Elle n'a nulle part où aller. Sa maison a brûlé, elle n'a plus rien. J'ai insisté pour qu'elle vienne ici. Notre maison est grande."
Il s'interrompit, son regard se faisant plus sombre. "Et puis, c'est pour que vous vous réconciliiez. Que tu cesses cette haine absurde envers elle."
Il désigna Clara, qui sanglotait toujours dans les bras de Léda. "Regarde-la ! Elle n'est qu'une enfant ! Tu la blesses avec tes paroles cruelles !"
Je ne pouvais plus écouter. La logique de Julien était une spirale, une absurdité sans fin.
"Tu as raison," dis-je, un sourire froid sur les lèvres. "Je vois que tu as une idée très claire de la compassion, Julien. Peut-être devrais-tu consulter un spécialiste. Ou une association de victimes. Tu pourrais y trouver de nombreux sujets à plaindre, et ils pourraient même te récompenser pour ton interprétation."
Je me tournai vers Léda et Clara, mon sourire s'élargissant. "Votre numéro est parfait. Vraiment. La mise en scène, les larmes, les accusations... C'est digne des plus grands théâtres."
Je pris mon sac, mon cœur battant d'une force nouvelle. "Julien, tu voulais savoir si je me souciais de cette maison ? Non. Elle est à vous. Vous pouvez la garder. Et vous pouvez garder la petite Léda aussi. Vous êtes faits l'un pour l'autre."
Son visage se figea. Il ne s'attendait pas à ça. Mon départ. Mon indifférence.
Il tenta de dire quelque chose, mais les mots restèrent coincés dans sa gorge. Il ne savait pas si je me moquais de lui, si j'étais sincère.
Je franchis le seuil, sans un regard en arrière.
Julien réalisa la vérité. Le divorce. C'était vrai. Et je n'avais aucun attachement à cette maison qui abritait désormais ma cousine et ma fille, volées.
Il se souvint d'il y a six mois. L'accident de voiture de Léda. Elle avait été blessée, son état avait été jugé grave. Clara, choquée par l'événement, avait eu des crises de panique, ne voulant plus rester seule.
Julien avait alors voulu installer Léda chez nous, pour qu'elle se remette de ses blessures et qu'elle puisse être là pour Clara.
J'avais refusé, catégoriquement. J'avais hurlé. J'avais cassé des objets. Je l'avais même menacé de me jeter par la fenêtre s'il osait la faire entrer. Il avait cédé.
Il m'avait punie par un long silence. Une punition cruelle, efficace. Puis, Clara était tombée malade. Une infection grave qui l'avait forcée à l'hôpital. On m'avait interdit de la voir, sous prétexte que mon état émotionnel risquait de la perturber.
J'avais dû m'excuser auprès de Julien, supplier. J'avais dû promettre de ne plus jamais faire de scandale. J'avais accepté Léda dans ma maison.
Quelque chose s'était brisé en moi ce jour-là. Une partie de mon âme s'était éteinte. Je m'étais pliée, docile, silencieuse. J'avais laissé Julien et Léda me reléguer au second plan, puis au troisième, puis à une ombre.
Il avait cru m'avoir domptée. Il avait cru m'avoir changée. Il n'avait jamais compris que je n'étais plus la même. Son amour s'était éteint en moi. La haine avait pris sa place. Et maintenant, elle avait gelé.
Julien tenta de me rattraper. "Albane !"
Mais un cri strident le stoppa net. Léda.
Il se retourna. Léda s'était évanouie. Elle était tombée, inerte.
Clara se précipita vers elle, secouant son bras. "Tante Léda ! Tante Léda, réveille-toi !"
"Papa, aide Tante Léda ! Elle ne respire plus !" cria Clara, paniquée.
Leur attention se détourna de moi, happée par le drame de Léda.
Julien souleva Léda dans ses bras et sortit en courant. Il ne me vit même pas.
Dehors, la neige tombait en gros flocons, le vent sifflait. La voiture de Julien disparut rapidement dans le tourbillon blanc.
J'étais seule. Sous la neige. Sans voiture, sans téléphone, sans rien. Ma jambe me lançait. J'avais oublié mon téléphone, mes clés, tout. Notre propriété était isolée, loin de tout.
Je traînais ma valise, le froid mordant mes joues. Chaque pas était une souffrance, mais je continuais, les yeux fixés sur l'horizon, le cœur vide et libre.