Point de vue d'Éléna Dubois :
Damien a rugi, un son de fureur brute et pure qui a vibré dans toute la pièce.
« Tu l'as frappée ? Tu as frappé une femme enceinte, Élena ? » Il m'a repoussée, ses mains tremblant de rage. Ses yeux, habituellement si calculateurs, étaient sauvages, remplis de haine. J'ai trébuché, me rattrapant au bord de la table basse. La douleur à mon poignet, puis à mes jambes, était une douleur sourde comparée à la piqûre aiguë de sa trahison.
Il s'est immédiatement tourné vers Brigitte, son attitude s'adoucissant. « Brigitte, ma chérie, ça va ? Oh, mon Dieu, ta joue. » Il a pris son visage dans ses mains, ses pouces caressant doucement la marque rouge que j'avais laissée. Son inquiétude pour elle était écœurante de sincérité.
Brigitte, toujours l'actrice, s'est dissoute en vraies larmes cette fois. « Elle... elle est devenue folle, Damien. J'essayais juste de m'excuser, de faire la paix pour toi. Et elle m'a attaquée. Je ne sais pas ce que j'ai fait de mal. » Elle a enfoui son visage dans son épaule, ses sanglots secouant sa silhouette élancée. « Je voulais juste que tout le monde soit heureux. »
Damien l'a serrée dans une étreinte étroite, me fusillant du regard par-dessus sa tête. Le regard dans ses yeux était un que je n'avais jamais vu dirigé contre moi auparavant : un dégoût absolu et venimeux.
« Excuse-toi auprès d'elle, Élena », a-t-il ordonné, sa voix basse et dangereuse. « Maintenant. »
Je l'ai fixé, mon sang se glaçant, puis bouillant. « M'excuser ? Pour avoir dénoncé ses mensonges ? Pour m'être défendue contre sa calomnie ? Elle le méritait. Chaque parcelle cinglante. »
Il a reculé, son visage se déformant. « Tu es malade, Élena. Vraiment malade. » Il a lâché Brigitte, s'avançant vers moi. « Qu'est-ce qui t'a pris ? Ce n'est pas toi. C'est une femme dérangée et méchante. »
Puis, incroyablement, il a levé sa propre main et s'est giflé, fort, sur le visage. Le claquement sec a résonné dans le silence stupéfait. Mes parents ont haleté. Éléonore et Richard ont regardé, horrifiés.
« Voilà », a étouffé Damien, sa voix épaisse de dégoût de soi, ou peut-être, de ruse. « Je me suis fait du mal, Élena. Es-tu satisfaite ? Vas-tu arrêter cette folie maintenant ? S'il te plaît, ma chérie, arrête. Je ne sais pas ce qui se passe avec toi, mais je vais te trouver de l'aide. On peut aller en thérapie, te remettre sous tes médicaments. Juste... s'il te plaît, arrête de nous punir tous. Arrête de me punir. »
Il m'a regardée, ses yeux suppliants, pleins de larmes. « Je t'aime, Élena. Je le jure, je t'aime. Quoi que ce soit, on peut le réparer. J'enverrai Brigitte loin. Je ferai n'importe quoi. Juste s'il te plaît, ne me quitte pas. Ne jette pas tout ce que nous avons construit. » Son désespoir était palpable, mais cela ressemblait à une performance. Une performance désespérée et manipulatrice.
« Non », ai-je dit, ma voix à peine un murmure, mais qui a résonné comme un rugissement. « Non, Damien. J'en ai fini. J'en ai complètement, irrévocablement fini. » Je l'ai regardé, mon regard inébranlable. « Je ne t'aime pas. Je te déteste. Je me sens étouffée par tes mensonges, par ton contrôle, par ta simple présence. Je ne peux pas respirer dans la même pièce que toi. »
Mes parents m'ont regardée avec horreur, leurs visages pâles. Éléonore et Richard ont échangé des regards choqués. Leur fils parfait, humilié. Leur vie parfaite, brisée.
Éléonore, son visage un masque de fureur aristocratique, a attrapé le bras de Richard. « Richard, nous partons. Je ne peux pas tolérer cette démonstration de... vulgarité. Damien, tu gères ça. Nous en discuterons plus tard. » Elle m'a lancé un regard de pur dégoût. « Tu le regretteras, Élena. Tu te retrouveras avec rien d'autre que ta méchanceté. » Sur ce, elle est sortie d'un pas raide, Richard la suivant, son expression sombre.
Mes propres parents sont restés en arrière, leurs visages gravés de déception. « Élena », a murmuré ma mère, sa voix empreinte de désespoir. « Tu es allée trop loin. Tu vas te retrouver toute seule. Tu le regretteras, crois-moi sur parole. »
Mon père a juste secoué la tête, ses épaules affaissées. « Quel dommage. Quel gâchis. » Eux aussi sont partis, leurs pas lourds, me laissant seule avec Damien et sa maîtresse.
Ils ne comprennent pas. Je ne voulais pas de leur pitié. Je ne voulais pas de leur protection. Je voulais juste la liberté. La liberté des mensonges, de la prétention étouffante d'une vie parfaite qui a été construite sur mon corps brisé et ses vœux rompus.
Je savais, avec une certitude glaçante, que ce serait une guerre. Et je devais être préparée.
Plus tard dans la journée, après avoir convaincu Damien de partir, en utilisant la menace d'une ordonnance restrictive, je me suis retirée dans mon bureau. Le bourdonnement silencieux de l'ordinateur était un baume pour mes nerfs à vif. J'avais passé les derniers jours, suite à la découverte de la présence de Brigitte, à installer secrètement de minuscules caméras dans des endroits discrets de la maison, et plus important encore, dans le bureau de Damien à la maison, où il pensait que ses dossiers étaient en sécurité.
J'avais également contacté un détective privé, un ancien collègue de mon cabinet d'architecture qui s'était reconverti dans le conseil en sécurité. Il était discret, efficace et me devait une faveur. Il avait discrètement enquêté sur les finances de Damien, les registres de son entreprise et, surtout, ses déplacements.
L'écran de l'ordinateur portable brillait, affichant un dossier marqué « Preuves ». À l'intérieur se trouvaient des photos, des captures d'écran de virements bancaires et des données de localisation. Le détective privé était minutieux. Mes doigts volaient sur le clavier, organisant, recoupant. C'était ma nouvelle architecture. Construire un dossier.
Soudain, la porte a grincé. J'ai sursauté, refermant l'ordinateur portable d'un coup sec, mon cœur martelant contre mes côtes. Damien se tenait là, les yeux injectés de sang, le visage pâle.
« Qu'est-ce que tu fais ? » a-t-il demandé, sa voix rauque.
« Ça ne te regarde pas », ai-je répondu, ma voix plus sèche que je ne l'avais prévu. J'ai essayé de paraître calme, mais mes mains tremblaient.
Il est entré plus loin dans la pièce, son regard balayant les livres, les vieux plans, les croquis de conception. Il s'est arrêté près de ma table à dessin, où un rendu inachevé d'un nouveau parc urbain reposait sous une feuille de protection.
« Pourquoi fais-tu ça, Élena ? » a-t-il demandé, sa voix plus douce maintenant, presque suppliante. « Pourquoi essaies-tu de me détruire ? Notre vie ? » Il s'est tourné pour me faire face, ses yeux remplis d'une tristesse familière qui me tordait autrefois les entrailles de culpabilité. « Est-ce parce que tu ne peux pas avoir d'enfants ? Est-ce pour ça que tu es si en colère ? »
Les mots étaient comme une gifle physique. Ils l'étaient toujours. Il connaissait ma blessure la plus profonde, et il la maniait comme une arme.
« Est-ce pour ça que tu as fait ça, Damien ? » ai-je contré, ma voix tendue de rage contenue. « Parce que je ne peux pas te donner d'enfant ? Dis-moi, Damien, comment est-ce arrivé exactement ? Ma stérilité. Rappelle-moi. »
Il a tressailli, ses yeux tombant au sol. Le souvenir de l'accident, la piste noire, ses insistances pour que j'aille plus vite, plus audacieuse, malgré mes supplications de prudence. Le craquement écœurant de la neige, la douleur fulgurante, les longs, interminables mois de convalescence. Les visages sombres des médecins, nous disant que les blessures internes étaient trop graves, que je ne porterais jamais d'enfant.
Il a marmonné quelque chose d'inintelligible. Sa culpabilité, habituellement enfouie sous des couches de charme et d'apitoiement, a fait surface un bref instant.
Juste à ce moment-là, mon ordinateur portable, que j'avais seulement fermé, pas verrouillé, a émis un léger ping. Une notification. Trop tard.
La tête de Damien s'est redressée d'un coup sec. Ses yeux, vifs et prédateurs, se sont fixés sur l'écran. La petite icône lumineuse indiquait un nouveau fichier audio.
Il a bougé plus vite que je ne m'y attendais, se jetant sur l'ordinateur portable. Je l'ai poussé, mais il était plus fort, alimenté par la panique. Ses doigts ont tâtonné sur le trackpad, cliquant sur la notification.
La pièce s'est remplie de son. Pas n'importe quel son, mais sa voix. Basse, intime, empreinte de désir.
« Non, bébé, ne le dis pas à Élena. Elle est trop fragile. Et de toute façon, elle ne comprendrait pas. Elle n'est tout simplement... pas comme toi. Tu es si vivante, si sauvage. Elle est brisée, Brigitte. Après l'accident, elle est juste... devenue une personne différente. Pas la femme dont je suis tombé amoureux. »
Puis, la voix de Brigitte, rauque et satisfaite. « Et tu l'aimes toujours, Damien ? Vraiment ? Parce que tes baisers racontent une autre histoire. »
La voix de Damien à nouveau, un petit rire grave. « Elle ne t'arrive pas à la cheville, mon amour. En rien. Elle ne m'excite plus. C'est un fardeau. Mais toi... tu es mon évasion. Mon adrénaline. Mon avenir. »
Les mots flottaient dans l'air, un témoignage grotesque de sa trahison. Chaque syllabe était un coup de marteau sur mon cœur, sur mon être même. Il m'avait appelée brisée. Un fardeau. Pas la femme dont il était tombé amoureux.
Damien s'est figé, son visage cendré, la couleur s'en drainant comme s'il venait de voir un fantôme. L'enregistrement continuait, sa voix, si intime, si aimante, pour une autre femme. La femme qui portait son enfant. C'était une symphonie vicieuse et brutale de mensonges.
Il a essayé de fermer l'ordinateur portable, ses doigts tremblants, mais j'ai été plus rapide. Je le lui ai arraché, le serrant contre ma poitrine.
« Un fardeau, c'est ça ? » ai-je murmuré, ma voix dépourvue d'émotion, un écho froid et vide dans la pièce. « Brisée ? Pas la femme dont tu es tombé amoureux ? » Je l'ai regardé, vraiment regardé, et j'ai vu le monstre sous la façade charmante. « Tu es vraiment une œuvre d'art, Damien Fournier. Un chef-d'œuvre de tromperie. »