L'Ascension du Loup Alpha
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L'Ascension du Loup Alpha

Dehec
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Chapitre 1 1

Certains se plaisaient à se croire tout-puissants, d'autres semblaient n'être que le prolongement des dieux eux-mêmes. Autour d'Eltanin, les prétendantes ne manquaient pas : princesses par dizaines, toutes prêtes à offrir leur main. Mais pour lui, l'idée même d'un mariage était insupportable.

- Je ne veux pas me marier ! lança-t-il à son père, Alpha Alrakis, avant de déchirer rageusement le portrait peint de la princesse des Pégases. Les morceaux de toile voltigèrent dans l'air, puis tombèrent à ses pieds. D'un pas brusque, il tourna les talons et quitta la bibliothèque.

Depuis des mois, Alrakis le pressait de se lier.

- Je te l'ai répété cent fois. Refuse encore, et tu plongerais dans des ténèbres dont nul ne revient. C'est ta vie qui vacille, mais aussi l'avenir du royaume. Prends femme. Si la première ne te plaît pas, rien ne t'empêche d'en changer.

Chez les rois, divorcer ou se remarier n'avait rien d'extraordinaire. Mais cette perspective n'apaisait pas la fureur d'Eltanin. Dans sa poitrine, la colère vibrait comme une bête enfermée, cherchant à déchirer sa cage. Ses poings tremblaient, la chaleur montait sous sa peau. Il sentait une force intérieure qui voulait jaillir, mais il l'étouffait encore. Les mâchoires serrées, il claqua la porte derrière lui et quitta la pièce, consumé par la rage.

Une semaine plus tard, dans la Grande Salle du Royaume de Draka.

Assis au bar, Eltanin dominait la foule. Ses yeux noirs brillaient, perçants comme ceux d'un faucon. Dans ses cheveux d'ébène, le diadème d'or avait glissé légèrement de côté. Autour de lui, des servantes attendaient un signe pour s'approcher, mais il ne leur accordait pas la moindre attention.

Tout son regard était happé par elle. À chaque mouvement de sa silhouette en mousseline blanche, il avait l'impression que l'air se contractait. Elle avançait comme une apparition, une fée égarée parmi des vipères. Sa robe simple, serrée à la taille et décorée de dentelle carrée au buste, possédait des manches longues en cloche qui ondulaient à chacun de ses gestes. Ses cheveux, d'un blond si pâle qu'ils semblaient argentés, retombaient sur son épaule. Un masque doré couvrait son visage, poudré de scintillements, ce qu'il n'appréciait guère.

Elle était petite, frêle, presque fragile à ses yeux. À peine arrivée dans son champ de vision, il avait eu le souffle coupé. Elle représentait la fraîcheur de l'aube, la pureté d'une neige vierge.

- À quoi songez-vous, mon seigneur ? intervint la princesse Eri d'Éridan, qui se tenait à ses côtés.

Elle détaillait son manteau de velours noir, brodé au col d'une constellation, ouvert pour laisser deviner la chemise défaite et la musculature ferme d'Eltanin. Sur son torse s'enroulait le tatouage de dragon que chaque enfant d'Araniea portait à la naissance. Chez les mâles, il marquait la poitrine ; chez les femelles, le haut du bras gauche.

Eri remplit à nouveau sa coupe d'un vin rouge sombre. Elle y avait glissé une poudre discrète, espérant l'affaiblir assez pour l'entraîner dans son lit. Depuis longtemps, elle guettait cette occasion.

- Seigneur ? reprit-elle.

Il ne lui répondit que par un grondement, comme pour la chasser. Son attention restait fixée sur l'inconnue en blanc. Eri serra les lèvres, vexée. Tout le monde savait qu'Eltanin était le loup le plus puissant d'Araniea, capable de tuer d'un coup de crocs. Elle se força à patienter : tôt ou tard, la drogue ferait son effet.

Eltanin, lui, songeait à sa compagne de destinée. Chaque loup-garou la sentait en atteignant dix-huit ans. Lui avait déjà traversé cinq siècles sans jamais reconnaître la sienne, et il en remerciait les dieux. Alors pourquoi cette inconnue le happait-elle à ce point ?

Elle tenait son verre de vin sans y toucher, ses doigts serrés autour du cristal. Soudain, elle leva les yeux vers lui. Leurs regards se croisèrent. Son souffle se bloqua, un grondement sourd monta de sa poitrine. Ses lèvres s'entr'ouvrirent, puis elle détourna la tête. Il la suivit des yeux, grognant d'agacement.

Autour de lui, la salle étincelait. Des dizaines de jeunes femmes s'étaient parées de robes luxueuses, d'or et de pierres. Les murs étaient couverts de tapisseries blanches et dorées, de tableaux rares. Des chandeliers suspendus répandaient la lumière de milliers de flammes. Les musiciens jouaient au fond, et les couples tournaient en cadence. Pourtant, tout ce faste lui semblait fade.

Cette réception avait été organisée pour honorer Rigel, prince héritier d'Orion et vieil ami d'Eltanin. Ensemble, ils avaient partagé guerres et victoires, loyautés et secrets. Rigel, fidèle à lui-même, avait déjà trouvé compagnie à l'étage, laissant Eltanin seul au banquet. Mais l'idée d'imiter son ami ne l'effleurait même pas : il était rivé à elle, à cette apparition qu'il voulait déjà posséder.

Un désir brutal l'envahit : la soustraire à la foule, l'emmener, la cacher dans une tour. La pensée était si violente qu'il vida d'une traite une gorgée de vin. Était-ce une obsession passagère, ou bien plus grave ? Il devait en avoir le cœur net. Et pour cela, il fallait qu'elle soit à lui ce soir.

Son regard la cherchait encore. Elle observait les décorations, les lustres, les musiciens. L'odeur du vin et de la myrrhe emplissait l'air. Tout semblait étinceler autour d'elle. Eltanin se rappela les mots d'Alrakis : il devait marquer son épouse, renforcer son pouvoir. Les Anciens eux-mêmes le pressaient de se marier.

Il n'avait jamais voulu se lier à personne. Mais ce soir, devant cette femme qui brillait plus que toutes les autres, il sut qu'il la voulait. Pas seulement pour une nuit. Pour bien davantage.

La nature prédatrice d'Eltanin avait toujours exercé un attrait certain sur les femmes. Pourtant, il ne s'était jamais engagé envers aucune d'elles et n'avait jamais pris la peine de s'inquiéter de leurs sentiments. Il obtenait ce qu'il cherchait, puis passait à autre chose.

Un voile de mousseline blanche attira soudain son attention : une silhouette féminine s'avançait de quelques pas, dépassant un petit groupe de jeunes femmes, les yeux rivés vers l'entrée avec une nervosité visible. Observait-elle un homme ? Cette idée fit bouillir son sang d'une jalousie brutale et irraisonnée. Il braqua son regard vers les portes, ses prunelles sombres étincelantes d'une colère absurde. Mais il n'y avait personne. Rien qu'un tour de son imagination. Il reporta donc son attention sur elle, et sa fureur se mua en une impatience troublante. L'envie de l'enfermer quelque part, de la retenir longtemps près de lui, l'effleura avec une intensité inédite. Ce frisson nouveau le secoua, lui échappa un souffle tremblant. Jamais encore il n'avait ressenti une telle chose.

La jeune femme se rapprocha de Petra, qu'il connaissait bien : l'une des princesses d'Aquila, seconde fille de la famille royale, courtisée par nombre d'hommes et candidate autoproclamée à sa main. Il tendit l'oreille malgré le vacarme de la musique et des conversations, cherchant à capter leurs paroles.

- Où est le prince Rigel ? demanda l'inconnue, jetant des regards anxieux vers la salle.

Petra fit tourner son verre entre ses doigts et répondit d'un ton mi-distrait mi-moqueur, tout en prenant une coupe de vin rouge d'un plateau qui passait. Elle la tendit avec une douceur feinte.

- Attends un peu. Il n'est pas encore sorti de ses appartements à l'étage, dit-elle avec un petit sourire. Et tu n'as pas le droit de monter, tu comprends.

Un pli dur apparut dans la mâchoire d'Eltanin. Cette question répétée sur Rigel attisait en lui une jalousie brutale. Qui était donc cette étrangère ? Il ne l'avait jamais croisée auparavant. Pourquoi cherchait-elle Rigel avec tant d'empressement ? Son regard s'assombrit, la colère lui montant aux yeux. Il serra les dents, perdu, désorienté dans cette soirée.

Puis il la vit boire une gorgée du vin que Petra lui avait offert. Ses lèvres s'humidifièrent, plus rouges encore. Elle porta la main à son cou, agitée, mal à l'aise.

- Pourquoi ne pourrais-je pas monter ? C'est réservé à une élite ? hasarda-t-elle.

Petra ricana, ironique.

- Rigel est sûrement bien occupé. Il a pour habitude de s'entourer d'un petit harem là-haut. Tu n'as aucune chance d'y accéder. Les gardes bloqueraient ton passage avant même que tu ne poses un pied sur la première marche.

Elle désigna d'un geste les deux soldats armés de lances, figés au bas du large escalier de marbre.

- Tu dois attendre qu'il se décide à descendre. Et crois-moi, ça n'arrivera pas avant un bon moment.

Elle vida son verre en riant doucement. La jeune fille, nerveuse, avala la sienne d'un trait, serrant le tissu de sa robe dans ses mains tandis qu'elle fixait les lourdes portes de bois comme si elles allaient s'ouvrir sur une révélation. Petra, amusée, fit signe qu'on leur apporte davantage de vin. Cette fois, elle choisit un Bordeaux plus corsé.

À quelques pas de là, Petra aperçut Eltanin accompagné d'Eri, qui se penchait vers lui avec ses murmures obséquieux. Elle connaissait parfaitement le manège d'Eri : tenter de le séduire afin de tomber enceinte et le piéger ainsi. Toute la cour en riait déjà dans son dos, sauf elle qui persistait dans son projet ridicule. Petra, narquoise, passa une main dans ses cheveux auburn et ajusta sa robe bordeaux. Puis, baissant la voix, elle glissa à l'inconnue :

- Tu veux absolument voir Rigel ce soir ?

La jeune fille hocha vivement la tête, les yeux brillants au-dessus de son masque doré.

- Oui !

- Alors je peux t'arranger ça, répondit Petra avec un sourire carnassier, tout en lançant un regard noir à Eri.

Intérieurement, elle jubilait : cette jeune écervelée serait l'outil parfait pour contrecarrer sa rivale. Jamais une roturière n'aurait dû imaginer approcher Rigel aussi facilement.

- Comment ? souffla l'inconnue, les lèvres entrouvertes, la voix tremblante.

Petra étouffa un rire derrière un geste de la main.

- Bois encore. Quand l'occasion se présentera, je t'emmènerai à l'étage.

Elle ricana, songeant qu'une fois entre les mains de Rigel, Eltanin perdrait tout intérêt pour cette fille. Deux problèmes réglés d'un seul coup. Ensuite, elle irait déjouer les plans d'Eri, consciente de la poudre empoisonnée qu'elle dissimulait dans son imposant anneau.

L'enthousiasme naïf de l'inconnue frôlait le ridicule. Elle manqua d'éclater de joie, ce qui arracha à Petra un sourire froid. La princesse porta instinctivement une main à sa taille et, du coin de l'œil, jeta un regard vers l'entrée, comme si une ombre s'y tenait.

Eltanin, lui, restait impassible, splendide et redoutable, incarnation même de la richesse et de la puissance d'Araniea. Les rumeurs évoquaient l'histoire de ses ancêtres, gardiens du pommier d'or confié à Héra, l'épouse de Zeus. Un dragon légendaire en protégeait les fruits. L'arbre, disait-on, se dressait quelque part dans les jardins secrets du palais, invisible à tous sauf à la famille royale. Eri, depuis toujours, rêvait d'en posséder un seul fruit.

Elle se tourna vers Eltanin avec un sourire venimeux.

- Souhaitez-vous quelque chose, monseigneur ? susurra-t-elle.

Depuis son arrivée au bal, voilà plus de deux sabliers, elle ne cessait de tenter d'attirer son attention. Obtenir son entrée ici avait même nécessité les suppliques de son père auprès de Fafnir pour décrocher une invitation.

Vêtue d'une robe écarlate aux manches de dentelle et au décolleté audacieux, Eri rivalisait de beauté avec Petra. Les deux princesses, chacune dans leur style, se disputaient depuis longtemps l'attention d'Eltanin, dressant piège contre piège. Petra savait manipuler avec subtilité, tandis qu'Eri agissait frontalement. Toutes deux étaient considérées comme des joyaux de beauté par leur peuple.

            
            

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